Intervention de Arnaud Leroy

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 5 février 2020 à 9h30
Audition de M. Arnaud Leroy président du conseil d'administration de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ademe

Arnaud Leroy, président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie :

Nous vivons un moment historique de bascule à l'échelle européenne. Nous devons nous préparer à batailler pour faire valoir nos points de vue et tirer profit de cette manne financière.

J'ai rencontré les instances européennes la semaine dernière. Elles m'ont tout de suite rassuré : sur ces 1 000 milliards, il y a beaucoup de recyclage... Quand il est question de transition écologique, on parle toujours de budget et d'investissement. Or, il existe aussi un problème de projets. Les crédits ne font pas la qualité des projets. L'ANCT aura justement pour rôle d'améliorer les projets portés par les collectivités territoriales, de les faire gagner en maturité.

Peut-être faudrait-il aussi arrêter d'investir dans l'économie dite « brune » ou « carbonée ». Chaque année, on investit un peu plus dans cette économie. Commençons par stopper cette pompe avant de déclarer vouloir basculer vers l'économie verte. Accompagner les secteurs industriels vers la transition a certainement un coût, mais peut-être faut-il commencer par ne plus investir dans des énergies dont on sait qu'elles ont un impact négatif en termes de climat. Les banques financent des parcs éoliens ou solaires chez nous et des centrales à charbon ailleurs. Au final, tout cela n'est pas très cohérent.

J'ai demandé à nos équipes de repartir à l'assaut des financements européens sur des projets complémentaires des nôtres et de chercher des partenariats. Nous avons gagné quelques appels à projets depuis un an, ce qui permet de contourner certaines règles de réduction des effectifs. Si mon projet est financé à 100 % par de l'argent européen, j'ai le droit d'embaucher directement des ETP. Ce n'est pas toujours très simple, mais nous travaillons intelligemment avec Bercy.

Nous nous sommes replongés dans l'écosystème européen. Je suis assez favorable au Green Deal, mais encore faut-il savoir comment il sera décliné. Nous avons reçu pas mal de documents, le calendrier annoncé est assez ambitieux. Il est important de ne pas perdre de temps.

En ce qui concerne la production électrique d'origine renouvelable, je crois que l'Europe va encore nous pousser à faire mieux, notamment dans le temps II des PCAET.

Comment mettre en oeuvre les objectifs de la loi sur l'économie circulaire si je ne dispose pas des effectifs suffisants ? Par bonheur, la commission mixte paritaire a conservé la disposition exemptant les effectifs sous plafond de l'Ademe d'intégrer cette nouvelle instance. Cela me permet d'opérer un recrutement « à côté ». Il nous faut d'ailleurs trouver une dénomination pour cette nouvelle instance qui n'est pas une autorité administrative indépendante. Nous avions initialement chiffré les besoins à 45 ETP. En nous montrant moins généreux, la fourchette de 18 à 20 ETP nous semble raisonnablement acceptable.

Nous sommes dans la phase de démarrage. Il s'agit d'assurer le suivi des filières REP existantes et de lancer les nouvelles, ce qui suppose d'établir les cahiers des charges, de travailler sur la régulation, de gérer la concurrence entre les éco-organismes, comme cela se fait ailleurs en Europe, et de répondre aux autres demandes des collectivités locales, notamment en matière de suivi des données de collecte qui conditionneront, à terme, la mise en oeuvre de la consigne.

Il s'agit d'un travail conséquent et j'ai milité pour que l'Ademe en soit chargée. Mais encore faut-il que nous dispositions des moyens suffisants. La demande des acteurs économiques est forte. La question des données est un vrai sujet, pour les collectivités comme pour les citoyens qui ont besoin de savoir pourquoi ils paient une redevance. L'économie circulaire suppose des instruments de pilotage et donc des données de bonne qualité.

Nous avons déjà commencé à travailler sur les cahiers des charges de lancement des études sur les consignes. Le calendrier est assez serré. Nous commençons aussi à préfigurer cette instance et à réfléchir à d'éventuels conflits d'intérêts - nous sommes en effet financeurs des centres de tri, par exemple.

Nous avons été entendus par le Parlement sur la question des effectifs. Attendons de voir si cette disposition survivra au prochain projet de loi de finances. Je pense que notre ministère de tutelle comprend notre besoin. Le secteur économique concerné n'est pas anodin. Il ne s'agit pas que de Suez ou Veolia, par exemple, mais aussi de grands acteurs régionaux. L'économie circulaire est un réel sujet sociétal. Nous parlons de faire basculer notre modèle de production.

L'Europe nous observe. La France a une longueur d'avance sur bon nombre d'aspects de l'économie circulaire. Nous avons une obligation de résultat. Nous sommes prêts et nous allons nous donner les moyens d'y arriver. Mais si je n'ai pas les effectifs suffisants, je devrai opérer un choix. Je dispose de 200 millions d'euros de crédits pour intervenir sur les équipements en déchetterie ou pour lancer des études pour l'écoconception, par exemple. Je prendrai sur ces crédits, au grand dam des collectivités que nous accompagnons sur ces questions. J'espère ne pas devoir en arriver à cette extrémité.

J'ai longuement discuté avec les éco-organismes. Tous ont besoin d'un interlocuteur régulier. Beaucoup de questions sont restées sans réponse sur l'interprétation de tel ou tel dispositif. Ils se tournent vers nous, mais ce n'est pas notre rôle. Nous donnons quelques conseils, mais c'est du ressort de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR). Il faut clarifier tout cela et faire vivre cette instance.

Nous avons arrêté de financer les PCAET à partir du moment où le dispositif est entré dans le droit positif. La réalisation et la mise en oeuvre de ces plans a pris du retard, notamment sur le volet adaptation. Beaucoup de bureaux d'études sont passés à côté de cette problématique. La question est aujourd'hui de savoir comment articuler et donner corps à ces documents.

Je me réjouis d'apprendre que le Sénat se saisit de la question numérique. Comme cette pollution ne se voit pas, nous sommes dans le ressort de l'impensé. Or, la moindre donnée envoyée à notre voisin parcourt 15 000 kilomètres. Il s'agit de l'un des rares secteurs, avec le transport aérien, dont les émissions de gaz à effet de serre explosent dans des proportions inquiétantes. D'ici à 2025, les émissions du secteur numérique équivaudront à celles de l'Inde, le quatrième émetteur mondial.

Nous nous sommes engagés à utiliser plus longuement notre matériel informatique, à essayer de localiser nos data centers au plus proche et à chercher à les refroidir de manière naturelle. Le ministère nous a demandé de montrer la voie aux autres établissements publics sur ce sujet. Nous essayons d'élaborer un cahier des charges sérieux. C'est un vrai débat qui va emporter des conséquences importantes sur nos comportements.

En ce qui concerne la dépollution des sols, l'Ademe opère pour le compte de l'État sur les friches dites orphelines, c'est-à-dire celles dont le propriétaire est inconnu. Dans ce cas, nous nous substituons au dernier propriétaire et nous chargeons de la mise en sécurité et parfois de la dépollution. Nous travaillons en lien étroit avec les préfectures. C'est une mission forte de l'Ademe, quasiment régalienne, à laquelle nous sommes très attachés. Elle prend une dimension importante avec le déploiement des énergies renouvelables.

Beaucoup de collectivités ont racheté des friches sans connaître exactement leur niveau de pollution. Nous ne pouvons que les orienter vers tel ou tel bureau d'études, car nous n'intervenons que sur les friches orphelines...

S'agissant du service public de l'énergie (SPÉ) évoqué par le sénateur Bigot, le CLER, dans ses analyses, ne pointe que le « gratin » de la rénovation ; or il existe une multitude de niveaux de rénovation, et notamment beaucoup d'autorénovation : vous et moi allons chez Leroy Merlin pour acheter du matériel et procédons nous-mêmes à la rénovation. L'Ademe a noué un partenariat avec Leroy Merlin pour former ses vendeurs sur le sujet de la réparation.

On est loin des 500 000 logements énergétiquement rénovés, mais on s'en approche. Le SPÉ, qui sera embarqué dans le programme Sare, est aujourd'hui financé via un programme de certificats d'économie d'énergie que l'Ademe met en oeuvre avec les régions, et qui est doté de 200 millions d'euros. Les fonds que nous pouvons mettre annuellement à la disposition des collectivités pour financer le fonctionnement et l'ouverture des plateformes territoriales de la rénovation énergétique et des espaces info énergie sont donc multipliés par trois. L'idée est de couvrir les zones qui en sont dépourvues ; mais la balle est principalement dans le camp de la région : c'est la région, vu le chef de filât que lui confère la loi NOTRe, qui peut créer de tels dispositifs et s'assurer de bonnes relations avec les EPCI.

Nous avons réussi à rassurer l'ensemble des acteurs, mais nous rencontrons un problème de main-d'oeuvre : il est difficile de trouver des artisans pour faire ce travail, qui ne compte pas parmi les priorités du secteur du bâtiment. Le sujet n'est pas simple à traiter, mais j'espère que les choses vont se décanter. Nous avons signé la semaine dernière une première convention Sare avec la région Bretagne ; un comité de pilotage est prévu en mars : le dossier fait son chemin.

J'en viens à la loi Décentralisation, différenciation et déconcentration, dite loi 3D. Les régions - pas toutes - ont des velléités sur certaines missions exercées par l'Ademe. Il faut avant tout faire la chasse aux doublons. Quoi qu'il en soit, tout le monde loue l'existence d'une structure nationale capable d'une expertise de très haut niveau. Je milite à la fois pour maintenir l'implantation de l'Ademe à l'échelle de l'ancienne carte d'avant la loi NOTRe et pour permettre aux régions d'entrer pleinement dans leurs nouvelles compétences, tout en veillant à ne pas laisser les EPCI sur le bord de la route.

Nous avons proposé la création d'un contrat de transition écologique régional (CTER), qui nous permettrait d'animer l'ensemble des contrats de transition écologique (CTE) qui continuent de fleurir sur le territoire et de travailler sur la gouvernance, sur la gestion déléguée de certains crédits et sur la définition d'objectifs communs État-régions par exemple. Voilà pour le volet « décentralisation ».

En matière de « différenciation », certaines collectivités sont beaucoup plus mûres et volontaires que d'autres ; nous sommes prêts à travailler différemment selon les régions.

Dernier volet : « déconcentration ». J'essaie d'expliquer aux préfets de département qui veulent tous avoir un bout d'Ademe dans leur département qu'à l'échelle d'une grande région, comme celle de Nouvelle-Aquitaine, je n'ai pas les moyens de mettre de l'expertise polyvalente à disposition de chaque département.

Il faut malgré tout que nous parvenions à travailler en bonne intelligence avec les collectivités. Les choses vont plutôt dans le bon sens, mais cela suppose de réels changements dans les méthodes de travail. Une communauté de travail est en construction entre les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), les directions départementales des territoires (DDT), l'Ademe et l'ANCT. De ce point de vue, il faut surtout éviter les soubresauts réglementaires en matière d'organisation de l'État dans les territoires.

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