Intervention de Nicolas de Rivière

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 janvier 2020 à 9h35
Audition de M. Nicolas de Rivière ambassadeur représentant permanent de la france auprès de l'onu

Nicolas de Rivière :

Sur l'Inde, je partage votre diagnostic. La réalité est que les Nations unies ne se sont pas trop mêlées de la question qui est d'ordre intérieur. Le seul sujet dont elles discutent est le Cachemire, à l'ordre du jour du Conseil de sécurité depuis 1948. Il y a une petite opération de maintien de la paix le long de la frontière indo-Pakistanaise depuis 1949. C'est tout. Les Chinois, alliés du Pakistan, ont soulevé la question de la situation du Cachemire devant le Conseil de sécurité. En réalité, notre position est assez claire : nous encourageons l'Inde et le Pakistan à discuter en bilatéral. Le Conseil de sécurité ne cherche pas à imposer son action sur le dossier. Il faut espérer que la situation s'apaise.

Si les Chinois oppriment les musulmans du Xinjiang, il est très difficile de mobiliser aux Nations unies sur le sujet, y compris les pays arabes musulmans. Les Chinois n'aiment pas la confrontation, donc je pense qu'il faut se mobiliser de manière collective sur les questions des droits de l'Homme pour faire pression. Taïwan n'est pas membre observateur de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), mais les Chinois avaient laissé l'OMS intervenir à Taïwan pendant l'épisode du SRAS.

Concernant la MINUSMA, dont le mandat sera renouvelé en juin, il y a une certaine frustration. Sur le volet militaire, la situation s'améliore, même si c'est l'opération de maintien de la paix la plus meurtrière. Mais les militaires ne peuvent tout résoudre seuls. Nos alliés américains commencent à se lasser du Mali. La MINUSMA souhaite rendre la force plus mobile : il faut peut-être moins de soldats et plus de mobilité. Ce sont les deux enjeux, mais de nombreux partenaires éprouvent de la lassitude. Cette absence de progrès sur le plan politique explique l'absence de réponse sur le volet terroriste.

Sur l'aide humanitaire transfrontalière en Syrie, la négociation a été assez terrible. En réalité, les Russes ont décidé que nous étions passés à une autre phase. Le régime ayant repris le contrôle de l'ensemble du territoire, il ne peut y avoir d'accès humanitaire transfrontalier sans son accord, même si, on le sait, depuis 2011, Assad empêche l'aide humanitaire de parvenir à ses opposants. Après avoir opposé leur veto à la reconduction du dispositif précédent, les Russes ont accepté le maintien d'un dispositif comportant deux points d'accès vers Idlib. Il s'agit d'un pis-aller : 80 % de l'aide humanitaire existante est maintenue jusqu'en juillet, ce qui est mieux que rien. Les Américains et les Britanniques se sont abstenus, alors que la France a voté en faveur de cette solution. En réalité, c'est une posture : notre voix positive leur a offert le confort de pouvoir afficher leur désaccord. Nous avons voté comme les autres Etats européens, nous n'avons pas à en rougir.

Sur les îles Éparses, il n'y a rien de nouveau. Nous suivons la situation. En automne, la délégation de la Polynésie française est venue expliquer la situation avec les autonomistes. La difficulté avec les Nations Unies est qu'elles se sont construites sur la décolonisation, ce qui est compréhensible. Nous organisons un dialogue avec nos territoires, comme au travers du vote de la Nouvelle-Calédonie.

À quoi sert l'ONU ? Il faut en effet se poser la question tous les jours. Les résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies n'ont pas une portée juridique contraignante, mais une portée politique. C'est de la soft law. Il n'y a pas de moyen d'imposer ces décisions. Concernant le Conseil de sécurité, l'article 25 de la Charte indique que toutes ses résolutions s'imposent. Certes, certains États n'appliquent pas toutes les résolutions, dont les États-Unis. C'est inacceptable. Mais si des États refusent d'appliquer ces résolutions, il n'y a guère de moyens de leur imposer.

Sur le droit de veto, le débat est récurrent. C'est le compromis politique qui a été trouvé en 1945 en tirant les leçons des difficultés de la Société des nations. C'est un système un peu inégalitaire, mais il y a un consensus assez fort pour ne pas y toucher. Et on ne peut le faire sans l'accord des membres permanents. Depuis une quinzaine d'années, la France a lancé un code de bonne conduite consistant à renoncer à l'usage du droit de veto en cas de crimes de masse. Nous essayons de promouvoir cette initiative, qui est très populaire : plus de 105 États membres y sont favorables. Le Royaume-Uni soutient plutôt cette proposition, la Russie, la Chine et les Etats-Unis s'y opposent en revanche fortement. La dernière fois que la France a utilisé seule son droit de veto, c'était en 1976, et en accord avec d'autres membres permanents, c'était dans les années 1980. Nous ne l'avons donc pas utilisé depuis 31 ans. Il ne faudrait d'ailleurs pas que cet usage tombe en désuétude !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion