Intervention de Nicolas de Rivière

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 29 janvier 2020 à 9h35
Audition de M. Nicolas de Rivière ambassadeur représentant permanent de la france auprès de l'onu

Nicolas de Rivière :

Le traité d'interdiction des armes nucléaires a un niveau juridique équivalent au TNP. Mais le TNP a trois piliers, dont un sur le désarmement nucléaire. Nous sommes opposés au traité d'interdiction qui ignore les réalités concrètes de la prolifération actuelle. Nous réaffirmons notre attachement au TNP dont le bilan global est très positif. Son cadre reste pertinent et permet un désarmement nucléaire pragmatique. Ainsi, la France ajuste son arsenal de dissuasion depuis des années.

Si le système multilatéral est affaibli, la France souhaite défendre l'approche multilatérale et elle a la capacité d'entraînement et de conviction pour le faire, notamment en Europe. Nous arrivons à progresser. Mais aux Nations unies, avoir une position forte ne suffit pas sur les sujets clivants : la seule bonne méthode consiste à avoir des alliances variées, notamment avec les pays africains et arabes. Par exemple, la France va accueillir en juillet prochain à Paris le Forum Génération égalité sur les droits de femmes et la parité. Sur un tel sujet, la France ne peut s'adresser aux seuls pays européens : elle doit viser les pays où les droits des femmes ne sont pas respectés. Il faut bâtir des coalitions ad hoc et casser des blocs. L'Union européenne est nécessaire mais pas suffisante.

Il est vrai qu'au Conseil de sécurité, la France et le Royaume-Uni sont extrêmement actifs : les deux tiers des résolutions découlent d'initiatives franco-britanniques. Le Conseil de sécurité a toujours été l'endroit où nos deux pays, les deux « petits membres permanents » s'entendaient le mieux. Notre poids géopolitique nous oblige à avancer. C'est dans notre intérêt de bien nous entendre à New York et cela continuera à l'être après le Brexit. Nous allons conserver une relation extrêmement dense avec le Royaume-Uni sur tous les sujets. C'est souhaitable et possible.

Sur la Minusma, je reviens sur la position des États-Unis. Ils nous ont aidés depuis 2013, ils sont présents au Sahel et nous avons besoin d'eux. Les militaires américains ont de l'admiration pour ce que l'armée française fait sur place. Ils s'interrogent actuellement sur le redéploiement de leurs troupes dans d'autres zones et l'abandon du Sahel à la France. Mme Parly était hier à Boston pour tenter de conserver l'appui des États-Unis dont nous avons besoin d'un point de vue opérationnel. La Minusma ne peut pas non plus faire du contre-terrorisme, ce n'est pas sa mission. Le sommet de Pau a été une piqûre de rappel efficace. Il existe aux Nations unies une frustration concernant le G5, du fait d'un effet de ciseau entre la dégradation du climat sur place et la réaction des autorités qui ne paraît pas à la hauteur. Le Secrétaire général des Nations unies est très conscient des enjeux et très impliqué. Notre défi est de mobiliser l'ensemble des acteurs car les solutions militaires ne suffisent pas.

Taïwan n'est pas membre de l'ONU et n'est pas prêt de le devenir. Il a un bureau aux Nations unies, mais c'est assez compliqué. Pendant des années, les Taïwanais avaient un réseau de soutien diplomatique en Afrique. Aujourd'hui, la tendance s'inverse, avec, comme conséquence, l'isolement diplomatique de Taïwan. Haïti par exemple reconnaît Taïwan, ce qui d'ailleurs complique parfois l'attribution de l'aide à cet Etat.

Sur l'élargissement du Conseil de sécurité, le débat est récurrent. Il est déjà passé de 11 à 15 États membres en 1963, donnant lieu à révision de la Charte : il y a donc un précédent. La France est favorable à l'élargissement. Mais pour réviser la charte, il faut réunir deux tiers des votes à l'assemblée générale des Nations unies, et la ratification des deux tiers des États membres dont les cinq membres permanents (sachant que le Sénat américain doit lui-même ratifier avec deux tiers de votes positifs). Actuellement, la majorité des deux tiers dépend beaucoup des Etats africains, qui sont fréquemment en désaccord. Nous n'en sommes pas là, l'élargissement n'est pas à l'ordre du jour. Le sommet de septembre 2020 n'a pas, d'ailleurs, de volet institutionnel.

L'Union européenne est très engagée en faveur du soutien au multilatéralisme. Les objectifs des Nations unies ressemblent à ceux qu'elle défend : l'Etat de droit, la démocratie, les libertés... L'UE finance près de 40 % des Nations unies, pourtant elle pèse peu : elle est considérée comme une sorte d'ONG généreuse, dont les préoccupations éthiques sont souvent ignorées par les Etats bénéficiaires. L'enjeu n'est certes pas d'imposer un agenda européen, mais de faire en sorte que l'UE ait un meilleur retour sur investissement par rapport à ce qu'elle dépense.

La mer de Chine méridionale est un vrai sujet. Nous continuons à y patrouiller. Mais si les pays d'Asie manifestent régulièrement leur mécontentement, ils ne déposent pas de résolution. En 2016, les Philippins ont gagné l'arbitrage de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye sur les Paracels. La bonne stratégie consiste à créer de la jurisprudence internationale pour montrer que l'occupation chinoise est illégale.

Les Nations unies sont mobilisées au Venezuela sur l'aspect humanitaire. Les enjeux humains et migratoires sont considérables, il faut soutenir la population et les réfugiés. Sur le volet politique, la stratégie mise en oeuvre par les Etats-Unis en présentant une résolution au Conseil de Sécurité n'a pas été très efficace. La Russie et la Chine ont mis leur veto, le Conseil de sécurité a été paralysé et Nicolas Maduro en a profité pour se ressaisir. A cet égard, tant que le régime actuel bénéficiera du soutien de l'armée vénézuélienne, M. Guaidó aura du mal à s'affirmer. La crise humanitaire appelle toutefois une réponse massive des Nations unies.

Sur la réforme de l'Organisation, nous avons soutenu toutes les réformes d'António Guterres. Les Nations unies avaient beaucoup de progrès à faire en matière d'aide publique au développement, notamment à cause des doublons parmi les agences. Le Secrétaire général a donc mis en place un système dans lequel les coordinateurs lui sont directement reliés. L'approche est pertinente, même si elle coûte un peu d'argent. Il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Il faut que les Nations unies s'efforcent de fonctionner de manière plus intégrée.

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