Intervention de Isabelle Raimond-Pavero

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 janvier 2020 à 9h30

Photo de Isabelle Raimond-PaveroIsabelle Raimond-Pavero, rapporteur :

Ce déplacement nous a permis de constater par nous-mêmes que le multilatéralisme était bel et bien fragilisé et attaqué.

Alors que les États-Unis avaient historiquement porté et garanti le système onusien, l'administration américaine sous la présidence de Donald Trump assume un discours critique à l'égard du multilatéralisme et multiplie les décisions négatives qui affaiblissent l'ordre international : retrait de l'accord sur le nucléaire iranien et de l'accord de Paris sur le climat, arrêt des subventions à l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa), retrait du Conseil des droits de l'homme, de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), etc.

Washington devient un partenaire difficile au sein du Conseil de sécurité, menaçant d'user de son veto sur un nombre croissant de dossiers tels que le conflit israélo-palestinien, la Syrie ou le Venezuela, y compris sur des sujets prioritaires pour la France : le G5 Sahel, le Mali, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), etc. Les États-Unis adoptent de plus en plus des positions à la carte, en fonction de leurs intérêts. Ils réinterprètent le droit international, en considérant désormais, par exemple, comme légales les colonies israéliennes en Cisjordanie.

Enfin, ils cherchent à réduire leurs engagements financiers vis-à-vis de l'ONU, dont ils sont, de loin, le premier contributeur. Cela se traduit par des pressions sur les opérations de maintien de la paix, dont ils discutent âprement le renouvellement des mandats. N'étant pas parvenus à obtenir la reconnaissance du principe d'un plafonnement de leurs contributions, ils l'imposent de facto, en ne les payant pas, provoquant des arriérés qui ont pour conséquence une crise de trésorerie de l'ONU. Ainsi, l'activité s'arrête le soir à dix-huit heures afin d'économiser sur les frais de fonctionnement.

Le deuxième facteur d'affaiblissement du multilatéralisme se trouve dans le positionnement de la Russie, basé sur une défense virulente des principes de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures des États. Cette ligne de conduite se traduit par un large recours au veto au Conseil de sécurité, utilisé vingt-quatre fois depuis la fin de la Guerre froide, dont quatorze fois sur la Syrie, et par une méfiance à l'égard des sanctions internationales. La menace d'un veto russe sur toute résolution concernant la crise ukrainienne au Conseil de sécurité a pour conséquence un report des initiatives de l'Assemblée générale sur ce dossier. L'attitude inamicale de Moscou vis-à-vis de la France s'agissant de la République centrafricaine, concomitante à une montée de la présence russe dans ce pays, a constitué, pour nous, une préoccupation. Les tensions tendent cependant à s'atténuer depuis quelques mois, comme en témoigne le renouvellement à l'unanimité du mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca). Enfin, la Russie se montre particulièrement méfiante à l'égard des références aux droits de l'homme, considérant que ceux-ci sont instrumentalisés par les pays occidentaux à des fins politiques.

En cela, elle est sur la même ligne que la Chine, laquelle promeut une vision alternative des droits de l'homme, centrée sur l'intérêt collectif, la société et le progrès économique plutôt que sur l'individu. Elle suit notamment avec beaucoup d'attention les débats au sein de la troisième commission de l'Assemblée générale. Comme la Russie, elle s'oppose fermement à toute ingérence dans les affaires intérieures des États.

La Chine se montre de plus en plus active dans le système onusien, y affirmant sa présence de manière désinhibée. À cette fin, elle ne lésine pas sur les moyens qu'elle consacre à l'institution, dont elle couvre désormais 12 % du financement. Elle a pris le contrôle de quatre organes de régulation - l'emportant notamment sur le candidat français pour la présidence de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) - et a fortement accru sa présence parmi les personnels du Secrétariat général.

Cette montée en puissance a des aspects positifs : outre sa participation accrue aux opérations de maintien de la paix et à leur financement, la Chine est un partenaire constructif dans les négociations sur le changement climatique, mais elle nous inquiète dans la mesure où elle s'ajoute au retrait américain, à l'affirmation d'autres acteurs contestant le multilatéralisme - comme le Brésil - et à la montée des conservatismes de par le monde, et contribue ainsi à l'émergence d'un ordre mondial éloigné des valeurs fondatrices de l'ONU.

Sur de nombreux sujets - droits de l'homme, droits sexuels, santé, droits de l'enfant, etc. -, la tendance est à la régression et nombre de conventions internationales adoptées il y a quelques années ne pourraient plus l'être dans les mêmes termes aujourd'hui. Dans ce contexte, qui rend périlleuse l'ouverture de négociations de nouveaux textes, l'enjeu est de consolider les traités en vigueur et d'éviter leur renégociation à la baisse. La France et l'Union européenne sont en première ligne dans ce combat pour la préservation des valeurs universelles et progressistes.

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