Il ne faudrait cependant pas dresser un tableau complètement noir de l'état du multilatéralisme. Notre déplacement, notamment les discussions que nous avons eues avec l'ambassadeur de France sur ce point, nous a permis de constater que dans bien des domaines, celui-ci continue à fonctionner et démontre son utilité.
Le secteur humanitaire en est l'illustration. Les grandes agences comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) ou la FAO sont ainsi en première ligne dans les grandes crises humanitaires et de développement et mènent une action efficace et indispensable sur le terrain.
Si le Conseil de sécurité est entravé sur certains dossiers comme la Syrie, il reste efficace sur de nombreux sujets. Ainsi, son soutien à l'envoyé spécial des Nations unies au Yémen a débouché, en décembre 2018, sur l'accord de Stockholm par lequel le gouvernement yéménite et les rebelles houtis ont convenu de cesser les combats après quatre ans de conflit.
Un consensus relatif prévaut aussi sur les dossiers africains, qui représentent environ la moitié de l'activité du Conseil de sécurité. Ainsi, le renouvellement des opérations de maintien de la paix en Afrique s'est fait récemment sans grande difficulté, alors que des tensions avaient marqué l'année dernière le renouvellement de la Minusca, marqué par l'abstention de la Russie et de la Chine.
Les membres du P5 s'accordent également dans la lutte contre le terrorisme. En mars 2019, sous présidence française, le Conseil de sécurité a ainsi adopté une résolution encourageant les États membres de l'ONU à prévoir des dispositions visant à empêcher le financement du terrorisme.
Enfin, il faut souligner les succès obtenus pour désamorcer les crises naissantes et prévenir les conflits. Tout récemment, l'envoi d'un représentant spécial du Secrétaire général en Bolivie a permis d'apaiser les tensions provoquées par les irrégularités constatées lors de la réélection contestée de M. Evo Morales et de relancer un processus électoral dans des conditions maîtrisées. Une telle mesure n'est toutefois possible qu'à la demande du pays concerné.
L'entretien que nous avons eu avec M. Adama Dieng, conseiller spécial pour la prévention du génocide, nous a permis de mesurer le travail de veille et d'alerte conduit par les équipes entourant le Secrétaire général et les initiatives variées sur lesquelles ce travail peut déboucher ou non. Ainsi, une référence aux droits de l'homme a été incluse dans le projet de résolution sur le Yémen, en revanche le refus de la Chine a provoqué un blocage sur la question des Rohingyas.
S'agissant des droits de l'homme, la surveillance exercée par les organes spécialisés de l'ONU permet de faire pression sur les États concernés, particulièrement lorsqu'aucune action n'est possible au niveau du Conseil de sécurité. Ainsi, l'évocation de la question des Ouïghours au Conseil des droits de l'homme de l'ONU a eu le mérite d'obliger la Chine à se justifier, même si celle-ci se contente d'invoquer la lutte contre le terrorisme et la déradicalisation.
Les Nations unies demeurent un cadre indépassable pour la régulation des sujets d'intérêt mondial, qu'ils soient nouveaux ou traditionnels, mais elles devraient intervenir plus fortement dans le domaine du développement. Plusieurs interlocuteurs ont insisté, à cet égard, sur la nécessité d'adopter une approche intégrée des opérations de maintien de la paix, combinant sécurité, développement et appui aux États.
Enfin, les Nations unies constituent toujours un forum mondial où tous les pays se rencontrent, se parlent et s'expriment. L'Assemblée générale est ainsi un véritable Parlement du monde dans lequel chaque État a un poids égal. Cette fonction tribunitienne est particulièrement perceptible lors de la semaine de haut niveau qui marque l'ouverture de la session annuelle.
Un des enjeux pour l'avenir du multilatéralisme est la question de l'élargissement du Conseil de sécurité. Cette réforme est surtout portée par les États dits du G4 - Allemagne, Brésil, Inde, Japon -, qui briguent un siège de membre permanent. Il existe cependant des revendications concurrentes de la part d'autres groupes d'États qui, ajoutées aux réticences de certains membres du P5 comme les États-Unis, la Russie et surtout la Chine, bloquent toute avancée. Nous avons pu assister à un débat en plénière à l'Assemblée générale sur ce sujet, à l'occasion duquel la France, qui soutient l'Allemagne, a estimé qu'il était temps de passer aux actes et a appelé à négocier sur la base d'un texte. C'est aussi le souhait de l'Allemagne, qui espère des progrès sur ce dossier à l'occasion du soixante-quinzième anniversaire des Nations unies en 2020.