Dans la crise ukrainienne, le refus de l'Europe de prendre en compte les préoccupations russes dans l'accord de libre-échange a été géré de manière extrêmement bureaucratique et a laissé des traces. Une mesure de confiance à l'égard de la Russie serait de n'avancer avec l'Ukraine ni vers l'OTAN ni même vers l'Union européenne.
La Russie existe sur la scène internationale sans avoir les moyens économiques de pays tels que la Chine. En Afghanistan, la Russie est reconnue comme l'un des trois partenaires dans la négociation. La Russie n'est aujourd'hui qu'au douzième rang mondial en termes de PIB, mais, selon les projections de la Banque mondiale, elle pourrait atteindre le sixième rang en 2030 - ce ne sont cependant que des prévisions ! La Russie reste très dépendante de son secteur énergétique, avec des mastodontes peu novateurs et très fonctionnarisés comme Gazprom - même si elle compte aussi des entreprises très impressionnantes comme Novatek, qui a coopéré avec Total. Mais Vladimir Poutine est moins intéressé par l'économie ; il a une logique soviétique de la puissance donnée par les armes, c'est la nostalgie de l'époque de la Guerre froide. Les Russes excellent dans le domaine des hautes technologies avec des mathématiciens remarquables et le laboratoire Kaspersky par exemple : le partenaire de Larry Page pour créer Google était russe ; Yandex, créé un an avant Google et parfois plus efficace, c'est l'héritage de l'URSS.
Vladimir Poutine n'a pas fait de grandes réformes économiques, malgré la pression de libéraux, car il existe une forte préférence pour la stabilité et la sécurité, dans un pays qui a connu deux violentes révolutions en 100 ans. Il y a aussi la crainte de la zastoï, la stagnation de l'époque de Brejnev.
La France a la chance de disposer de l'énergie nucléaire qui lui permet d'être indépendante. Le gaz que nous importons devrait être moins cher avec le nouveau gazoduc Nord Stream, qu'en passant par l'Ukraine.
Le contrat sino-russe dit « du siècle » dans le domaine gazier a été signé à un prix très favorable aux Chinois. Quant à l'idée d'une invasion chinoise en Sibérie, celle-ci relève du pur fantasme.
La Russie est un partenaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme. Depuis le réengagement de la France, nous obtenons des informations beaucoup plus précises qu'avant. Les États-Unis le savent et reconnaissent que la relation avec la Russie fonctionne bien sur la Syrie et en matière de contre-terrorisme. Il est donc très important de maintenir cette relation.
Certes, les États-Unis ont soufflé sur les braises au Moyen-Orient, mais ils laissent aussi toute sa place à la Russie, dont le dirigeant est beaucoup plus prévisible.
Une partie des personnels du Quai d'Orsay, classés comme « néo-conservateurs », a une approche très négative de la Russie, soutient les sanctions - toutefois celles-ci ne pourront être levées que si les conditions prévues sont remplies - et n'était pas favorable à la rencontre « 2+2 ». Mais les hauts fonctionnaires, et les diplomates en particulier, sont loyaux dès lors que les instructions sont claires.
La rencontre « 2+2 » a été très utile, car c'est le ministre de la défense russe - et non le ministre des affaires étrangères - qui est en charge de la question syrienne.
Les Russes se sont certes adaptés aux sanctions, mais ils restent inquiets des sanctions futures, car on compte aujourd'hui 970 sanctions américaines contre la Russie et chaque semaine de nouvelles sanctions sont adoptées. L'ancien ambassadeur américain en Russie, Jon Huntsman, qui a quitté ses fonctions en octobre dernier, a publié depuis un article dans lequel il estime que les sanctions sont contre-productives.
Ces sanctions visent les Européens, alors que la Chine et les États-Unis augmentent leurs parts de marché. Les Européens ont été incités à boycotter le forum de Saint-Pétersbourg ; or la délégation la plus importante était américaine. L'OFAC - Office of Foreign Assets Control - accorde des autorisations aux projets américains et les refuse aux projets européens : c'est donc une guerre qui est faite aux Européens !
L'OFAC s'est trompé en sanctionnant Rusal, car, à l'époque au moins, les États-Unis ne disposaient d'aucun expert sur la Russie, qui était considérée comme peu influente. Dès qu'ils ont pris conscience des conséquences de leur erreur, ils ont engagé une longue procédure de delisting. Aujourd'hui, Rusal est également contrôlé par les Américains, qui dominent largement son conseil d'administration. Souvenez-vous, un Français, M. Jean-Pierre Thomas, avait été choisi, mais les États-Unis ont exigé qu'il démissionne. Il s'agit donc bien d'une politique de guerre commerciale et d'influence anti-européenne.
Dès lors, que faire ? Durant la réunion du Conseil économique, financier, industriel et commercial franco-russe (Cefic), M. Bruno Le Maire a annoncé qu'il reviendrait avant la visite du Président de la République pour évoquer ces questions et qu'il faisait appel, d'ici là, aux instances économiques, en particulier à BpiFrance, qui n'est pas exposée aux Etats-Unis et ne se livre donc pas à la surconformité, contrairement aux banques privées. Yamal, le plus gros projet franco-russe a ainsi dû être financé par les Chinois.
L'Union européenne doit acquérir une indépendance ; Instex, la société mise en place pour commercer avec l'Iran, apparaît comme une bonne formule de principe, mais, malheureusement, elle ne fonctionne pas pour le moment. C'est pourtant ainsi qu'il faut assurer notre autonomie, en utilisant davantage l'euro dans les contrats, même si cela ne suffit pas, en raison de l'American Nexus qui permet aux Américains d'imposer leur souveraineté.