Intervention de Adrien Taquet

Commission des affaires sociales — Réunion du 5 février 2020 à 9h00
Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022 — Audition de M. Adrien Taquet secrétaire d'état auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé :

Je vous remercie pour l'organisation de cette audition et je suis ravi, près d'un an après avoir été auditionné à la suite de ma nomination comme secrétaire d'État auprès de la Ministre de la santé et des solidarités, de venir devant vous pour détailler les travaux qui ont été engagés et les mesures qui ont été prises. Je vous avais déjà décrit les chantiers structurants de mon action en 2019. J'avais évoqué le Pacte pour l'enfance avec ses trois piliers. Le volet prévention est essentiel, avec cette idée que protéger les enfants consiste parfois à mieux accompagner les parents : c'est le sens de la démarche sur les 1000 premiers jours de la vie de l'enfant. La commission de scientifiques présidée par Boris Cyrulnik, qui a été installée par le Président de la République en septembre dernier, rendra ses travaux au printemps. Nous pourrons ainsi présenter avant l'été la première véritable politique publique dans notre pays consacrée aux premiers jours de la vie de l'enfant, de la grossesse jusqu'à l'âge de deux ans.

Deuxième pilier, la lutte contre les violences faites aux enfants. L'actualité nous rappelle chaque jour qu'il reste beaucoup de chemin à faire, même si je pense que les choses progressent et que la parole se libère. Notre action s'inscrit dans la continuité du plan de Laurence Rossignol, que je salue, qui se concentrait sur les violences intrafamiliales. Nous avons élargi le champ. Le 20 novembre dernier, à l'occasion du 30e anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, nous avons présenté un plan de 22 mesures visant à protéger les enfants, partout et tout le temps, avec des mesures de prévention et de sensibilisation, des mesures permettant une meilleure prise en considération de la parole de l'enfant, ou des mesures de lutte contre la pornographie ou la pédocriminalité. Nous renforçons les peines de prison pour la consultation de sites pédocriminels et prévoyons l'inscription automatique au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), alors que ce n'était le cas, auparavant, que sur décision du juge, et que, dans 50 % des cas, les auteurs n'étaient pas inscrits - 500 personnes environ pouvaient donc postuler pour travailler auprès d'enfants dans une crèche, sans que leur passé judiciaire puisse être retracé ! Ce ne sera désormais plus possible. Nous lançons, par ailleurs, le 17 février, avec la garde des sceaux, une grande mobilisation pour nous assurer que l'ensemble des administrations, des établissements sous leur tutelle et des collectivités locales ont bien connaissance de la loi et de la nécessité de consulter le Fijaisv. Nous devons aussi garantir l'effectivité de cette consultation. Il faut parfois six mois pour obtenir une réponse. Ce n'est pas normal. Nous pourrions nous inspirer des ministères de l'éducation nationale et des sports qui ont revu leurs procédures parce qu'ils doivent contrôler chaque année de nombreuses personnes.

J'en viens à la stratégie de prévention et de protection de l'enfance. Celle-ci a été élaborée à l'issue d'une concertation de trois mois avec l'ensemble des acteurs : les départements, les associations d'anciens enfants placés, les ministères de la justice, de l'éducation nationale, de la santé, des sports, de la culture. Tous les services de l'État doivent être mobilisés et chacun doit assumer ses responsabilités, d'où l'importance de la dimension interministérielle.

Six groupes de travail ont été créés sur les assistants familiaux, la qualité de service, la sécurité des enfants, le handicap - sujet important puisque 30 % des enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sont concernés - ou la gouvernance. Ils nous ont remis leurs conclusions et, le 14 octobre dernier, nous avons dévoilé notre stratégie de prévention et de protection de l'enfance.

Je vous présenterai sa philosophie et son contenu au prisme de ma vision de l'État et de sa relation avec les collectivités territoriales, parce que l'État a des responsabilités à assumer. L'État doit d'abord être un pilote et un stratège qui fixe les grandes orientations des politiques publiques, tout en étant aussi le garant des droits fondamentaux. Les lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 constituent à cet égard des socles importants, mais elles doivent être approfondies : c'est pourquoi j'ai annoncé ma volonté de réformer d'ici à janvier 2021 la gouvernance nationale de la protection de l'enfance par un rapprochement des organismes existants sur ce champ pour mieux assurer le pilotage. Le Conseil national de la protection de l'enfance doit être renforcé dans ses missions et pourrait jouer un rôle de pilotage, plus important qu'aujourd'hui. Nous pourrions peut-être nous inspirer de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie dans le domaine du handicap. Nous proposons le rapprochement entre le Conseil national de protection de l'enfance (CNPE), le Groupement d'intérêt public enfance en danger (Giped), l'Agence française de l'adoption (AFA), tout en pensant l'articulation avec le Conseil national d'accès aux origines personnelles (Cnaop). Notre stratégie ne peut donc pas se résumer à la contractualisation.

Il faut aussi poser la question de la connaissance ; on possède très peu de données sur la protection de l'enfance : il faut mieux articuler la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), et les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE). L'idée n'est pas de placer les ODPE sous la tutelle de l'ONPE, mais de mieux les articuler et de faciliter la remontée des données des territoires. On compte 80 ODPE, contre 50 lorsque je suis arrivé. L'objectif est que chaque département compte un ODPE.

Nous avons renforcé les moyens du 119 du Giped en lui allouant 400 000 euros supplémentaires, répartis à parts égales entre l'État et les départements : l'organisme a pu ainsi recruter cinq écoutants supplémentaires, rendre accessible le service aux sourds et aux malentendants, développer un forum et un site internet pour démultiplier les canaux de contacts.

Un mot sur les assistants familiaux. Cette profession est traversée de doutes, d'interrogations. Les profils des jeunes ont changé et sont plus complexes. Les assistants se sentent très seuls. La pyramide des âges est très défavorable, avec de nombreux départs à la retraite et les départements ont beaucoup de mal à recruter. Dans certains départements, ils sont très intégrés dans l'équipe chargée de la politique de l'enfance et bénéficient de formations ; dans d'autres, ils ne participent même pas à la rédaction du projet pour l'enfant. Le chantier est donc vaste et un groupe de travail de la concertation était consacré à ce sujet. Nous allons lancer, le 27 février, des négociations collectives sur les assistants familiaux, pour revoir les conditions d'exercice, les agréments, la formation, la revalorisation financière, statutaire et symbolique.

Vous avez aussi évoqué des reportages à la télévision. Ils soulignent certains problèmes, mais pas les plus structurants. L'ASE est sans doute le seul secteur dont les établissements ne sont soumis à aucune norme, contrairement à la toute petite enfance, qu'il s'agisse du taux d'encadrement, des qualifications et de la formation des professionnels, etc. J'ai saisi le CNPE pour qu'il me fasse des propositions de normes minimales d'encadrement dans les lieux et services d'accueil des enfants protégés. Là encore, l'État est dans son rôle d'impulsion et de pilote.

L'État assure aussi une fonction de contrôle pour garantir la mise en oeuvre concrète des dispositions. Ce sont les départements qui sont les premiers responsables de l'accueil et de la sécurité des enfants qui leur sont confiés, mais il ne faut pas oublier que l'État garde une compétence fondamentale de protection des personnes et dispose juridiquement de leviers de contrôle.

Le documentaire de M6 mettait en évidence certaines lacunes. Par ailleurs, dans les Hauts-de-Seine, au mois de décembre, un enfant hébergé dans un hôtel au titre de l'ASE a tué un autre enfant. Chacun, départements comme État, doit assumer ses responsabilités. J'ai demandé aux préfets de se rapprocher des présidents de départements et de me faire remonter, dans les trois mois, les procédures d'alerte en cas d'événements indésirables, mises en place par les présidents de département, car c'est une obligation légale, et de m'indiquer les plans de contrôle des départements sur leurs établissements. Nous pourrons ainsi apprécier si ces dispositifs sont de nature à assurer la sécurité des enfants. Si cela ne semble pas satisfaisant, nous établirons notre propre plan de contrôle ; c'est notre responsabilité.

J'ai aussi demandé à l'Inspection générale des affaires sociales de mener une mission sur la politique de l'enfance dans les Hauts-de-Seine et sur le meurtre que j'évoquais, pour savoir ce qu'il s'est passé, et une autre mission sur la question des enfants dans les hôtels. Ils n'abritent pas que des mineurs non accompagnés, on y trouve aussi des enfants dits « complexes », « terribles », ou « incasables ». Ces enfants finissent à l'hôtel car on ne sait pas comment les prendre en charge. Je voudrais donc savoir combien d'enfants sont concernés, quel est leur profil, etc. Nous ne pouvons plus laisser de côté ce sujet.

L'État ne peut cependant pas se contenter de ces deux fonctions. L'État se doit d'être aussi un partenaire, notamment pour les conseils départementaux. L'ASE est une compétence partagée. L'État a eu un petit peu trop tendance à se désengager depuis la décentralisation. Or, l'État doit assumer ses responsabilités. C'est pourquoi nous oeuvrons dans le champ de compétences étatiques pour améliorer la situation des enfants.

L'État ne peut renvoyer la responsabilité des difficultés qui traversent la protection de l'enfance aux conseils départementaux. Je prendrai l'exemple des dispositifs de prise en charge des enfants qui présentent des troubles de santé mentale. Depuis trente ans, la psychiatrie est délaissée dans notre pays et nous en payons les pots cassés. Mme Agnès Buzyn a présenté une feuille de route pour la santé mentale. Un délégué interministériel a été nommé. Une enveloppe de 100 millions d'euros a été débloquée, dont 20 millions d'euros ont été fléchés sur la pédopsychiatrie ; le 30 décembre, nous avons sélectionné 35 projets émanant des territoires et qui vont pouvoir se réaliser : création d'une équipe mobile, création d'un service d'éducation spécialisée et de soins à domicile, de places de places de jour, etc. Un fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie a été constitué, doté de 10 millions d'euros, qui a permis de financer 19 projets pour les enfants et les adolescents. Nous avons créé 20 postes de chef de clinique en pédopsychiatrie, avec l'objectif de disposer d'au moins un poste de praticien hospitalier par faculté de médecine. Nous essayons ainsi de reconstruire une filière.

En ce qui concerne plus spécifiquement l'aide sociale à l'enfance, nous avons instauré, fin 2019, un bilan de santé obligatoire à l'entrée dans l'aide sociale à l'enfance, sur la base d'une consultation complexe. Nous avons expérimenté des parcours de soins coordonnés des enfants confiés à l'ASE dans trois départements et nous allons étendre cette initiative à sept nouveaux départements en 2020. Cette initiative représente un engagement de 10 millions d'euros supplémentaires pour l'assurance maladie.

J'en viens enfin au volet relatif à la contractualisation avec les départements. La stratégie participe du même esprit que la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. Pour éviter le saupoudrage, nous avons fait le choix de concentrer les moyens dans 30 territoires, avant d'étendre la démarche en 2021 et de la généraliser en 2022. Pour être éligibles à la contractualisation, les départements devront respecter certaines conditions, comme par exemple disposer d'un ODPE. Les projets déposés par les départements doivent aussi comporter un volet sur la protection maternelle et infantile (PMI), très belle institution à laquelle on a demandé de plus en plus ces dernières années, sans forcément lui donner les moyens correspondants. En outre, les départements doivent aussi présenter des projets sur la prise en charge des enfants en situation de handicap. Dans le documentaire de M6, la jeune Francine, déficiente mentale, ne devrait pas être là ! Nous devons inventer une nouvelle forme d'accompagnement de ces enfants qui sont au croisement du social et du médico-social. Pour cela, il est indispensable de cesser de réfléchir en silos.

La stratégie de prévention et de protection de l'enfance comporte quatre chapitres et est dotée d'une enveloppe de 80 millions d'euros. Il appartient aux départements de nous soumettre des projets. J'ai écrit à l'ensemble des présidents de département en novembre dernier. En un mois, 62 d'entre eux m'ont proposé leur candidature sur la base de projets argumentés et répondant aux engagements de la stratégie nationale. Nous en avons retenu trente, sur la base de la qualité des projets présentés, de leur cohérence par rapport à l'analyse partagée des besoins des enfants dans les territoires. Nous avons souhaité valoriser des propositions intéressantes et innovantes, comme le développement d'une offre dédiée d'interventions renforcées à domicile pour les 0-6 ans dans la Meuse.

Nous avons été attentifs aux territoires touchés par des vulnérabilités sociales importantes, notamment en termes de taux de pauvreté et de précarité socio-économique, qu'ils soient plutôt urbanisés, comme le Nord, ou au contraire plus ruraux, comme la Creuse ou les Ardennes. Je souhaitais aussi que des territoires aux besoins spécifiques comme les outre-mer ne soient pas oubliés. Ainsi les départements de la Guyane ou de La Réunion ont été retenus, comme la Corse.

L'enjeu maintenant est de rédiger les contrats, adaptés à chaque territoire avant la fin juin. Nous voulons enchaîner très vite sur la prochaine contractualisation, afin qu'avant le 31 décembre les projets suivants aient été sélectionnés et les contrats rédigés.

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