Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en préambule, j’associe à cette intervention M. Olivier Cadic, sénateur des Français de l’étranger qui, durant plusieurs années, a porté ce combat avec détermination.
Une affaire récente a particulièrement marqué l’opinion française. Ce fait divers est aujourd’hui connu de tous : initialement, il s’agit d’une histoire familiale, donc personnelle et intime, mais elle s’est soldée par un déchirement humain et un écho médiatique retentissant.
Après son mariage en 2008 à Toulouse, un couple décide de s’installer au Japon. En 2015, son fils, Louis Kudo-Verhoeven, naît à Tokyo. Deux ans plus tard, alors qu’elle est en France avec son fils, la mère souhaite divorcer et ne plus rentrer au Japon.
Le 26 décembre dernier, le petit Louis, âgé de 4 ans, est reparti dans sa terre natale, après une demande de retour de son père. Le départ a eu lieu entouré de gendarmes et sous l’œil des caméras. La mère de Louis – française – a pourtant apporté les preuves qu’elle n’aurait vraisemblablement plus la possibilité de voir son fils jusqu’à la majorité de celui-ci, fixée au Japon à 20 ans.
En effet, elle ne possède pas de visa lui permettant de résider au Japon, la législation nippone étant extrêmement restrictive en termes d’obtention de ce type de document, notamment durant une procédure de divorce.
De plus, l’autorité parentale partagée n’existant pas en droit japonais et l’autorité exclusive ayant été octroyée par la justice au père japonais, la mère de Louis ne pourra très probablement pas bénéficier d’un titre de séjour en qualité de parent, puisque ce statut est directement lié à l’autorité parentale.
En un mot, la situation est inextricable.
Louis risque donc de se voir coupé de tout lien avec sa mère et sa famille française, alors même qu’il était scolarisé en France et menait une vie tranquille et sans histoire, que tous les enfants de 4 ans devraient avoir.
Louis n’est malheureusement pas le seul enfant dans ce cas, et les médias font régulièrement état de la situation de parents désespérés, en France, mais aussi chez nos voisins.
Une telle séparation « légale » d’un parent et de son enfant constitue un véritable traumatisme pour toutes les personnes impliquées, en premier lieu pour les enfants eux-mêmes.
Mes chers collègues, nous ne pouvons plus permettre que de tels drames continuent à avoir lieu.
Je remercie Richard Yung de son initiative afin que le Gouvernement agisse pour trouver des solutions avec le Japon. Je sais que son combat est ancien ; je veux l’assurer de tout le soutien du groupe socialiste dans sa démarche.
En visite au Japon le 27 juin 2019, le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est engagé à agir en faveur de ces pères français et, plus largement, des parents non japonais. Il a évoqué les « situations inacceptables » vécues par des enfants binationaux et leur parent français avec le Premier ministre japonais, Shinzo Abe.
Nous saluons cette prise de position officielle, car le besoin concret de la France se fait sentir, afin que parents et enfants ne soient plus privés les uns des autres.
Le Japon est un pays ami, un allié, avec lequel ont été passés de très nombreux accords dans tous les domaines, des échanges commerciaux à la fiscalité en passant par la sécurité sociale. Dès lors, pourquoi est-il si difficile de s’entendre sur ce sujet si sensible pour les familles concernées ?
Le plus absurde est que ces drames perdurent malgré la ratification par le Japon, le 24 janvier 2014, de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, puis la création, à Tokyo, d’une autorité centrale chargée d’assister les parents d’enfants enlevés. En effet, c’est sur une adaptation en droit japonais de la convention de La Haye, favorable aux parents japonais, que se fondent les décisions des juridictions nippones.
À cela s’ajoute l’incapacité de la justice à faire appliquer les rares ordonnances de retour qui ont été prononcées à ce jour. Il est impératif que les jugements français soient respectés par les juridictions japonaises, et que les divorces prononcés par les tribunaux français soient intégralement retranscrits là-bas.
Le ministère des affaires étrangères a plusieurs fois indiqué qu’une réflexion spécifique aux conflits familiaux au Japon était menée en lien avec les autorités japonaises, afin d’explorer les possibilités de faciliter la résolution de ces situations douloureuses.
Il s’agit d’obtenir des autorités japonaises la mise en place d’une instance de dialogue ad hoc, fonctionnant sur le modèle de celle qui a été créée en 2009, puis supprimée après l’adhésion du Japon à la convention de La Haye en 2014.
Où en est-on de cette réflexion, madame la ministre ?
Bien sûr, la France n’est pas le seul pays concerné par de telles situations. Au mois de janvier 2018, dans le cadre du rapport du groupe de travail des Nations unies sur l’examen périodique universel sur le Japon, le Canada et l’Italie ont questionné le Japon sur la mise en place de ces mécanismes juridiques le contraignant à faire respecter le droit de visite et permettant d’entretenir des liens réguliers avec les deux parents. Au mois d’avril suivant, les États-Unis ont inscrit le Japon dans la liste des pays qui ne respectent pas la convention de La Haye de 1980.
Malgré ces actions symboliquement fortes, la situation ne s’améliore pas – ou si peu ! La mention d’une coopération européenne dans la proposition de résolution est donc la bienvenue. Il nous faut en effet peser de tout notre poids diplomatique pour qu’une solution soit trouvée le plus rapidement possible. Nous espérons vivement que le Gouvernement se saisira véritablement de la question, afin que cette initiative soit suivie d’effets. Nous soutiendrons évidemment cette proposition de résolution, mais nous resterons vigilants quant aux suites qui y seront données.