Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 5 février 2020 à 15h00
Enfants franco-japonais — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution vise à résoudre une question difficile à plus d’un titre : difficile, car elle touche aux droits des enfants, en l’occurrence des enfants issus de couples franco-japonais qui, à la suite d’un divorce ou d’une séparation, se retrouvent privés de tout contact avec leur parent français ; difficile également, car elle relève de la souveraineté d’un État aux traditions juridiques et culturelles bien différentes de celles que nous connaissons dans nos sociétés occidentales.

En effet, j’ai pu le mesurer lors de mes déplacements au Japon et au cours de mes échanges avec des parlementaires japonais, le gouffre culturel d’abord, judiciaire ensuite, qui nous sépare dans le traitement de ces affaires familiales est réel et profond. J’ai souvent été très surprise de constater que ces situations étaient tout à fait normales pour de nombreux Japonais, qui ne parvenaient pas à mesurer notre incompréhension devant ce qui représente pour nous une injustice flagrante.

C’est un point que j’estime important : ces séparations douloureuses ne concernent pas seulement les couples binationaux ; elles sont au contraire profondément inscrites dans la société japonaise et touchent en premier lieu les familles japonaises, dont les séparations, lorsqu’elles ont lieu, sont, de notre point de vue, aussi violentes.

Cette différence culturelle qui nous oblige à la prudence pour ne pas heurter la sensibilité de la partie japonaise, ne doit cependant pas nous empêcher de défendre avec force le droit de nos ressortissants. Je tiens à rendre hommage aux associations comme Sauvons nos enfants Japon, dont l’engagement continu auprès des parents français doit être salué.

Le Sénat a toujours été sensible à cette question ; en 2011 déjà, nous avions adopté à l’unanimité une proposition de résolution destinée à appeler l’attention des autorités nippones sur la nécessité de reconnaître aux enfants franco-japonais au centre d’un conflit parental le droit de conserver des liens avec chacun de leurs parents.

Notre diplomatie joue également un rôle important. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a multiplié les interventions, tout comme notre poste diplomatique au Japon, dont l’action auprès de nos ressortissants et de la partie japonaise est plus que précieuse.

Néanmoins, il serait important qu’à l’avenir les visites consulaires soient rendues réellement effectives. En effet, actuellement, lorsqu’un enfant français est retenu au Japon, l’ambassade française peut uniquement solliciter une visite auprès du parent japonais, qui est libre de la refuser, ce qui, malheureusement, se produit dans la majorité des cas.

D’autres États sont touchés et tentent, eux aussi, de sensibiliser le Japon à cette question. Je pense notamment aux États-Unis, dont la Chambre des représentants a adopté une résolution en 2010 et dont le département d’État a, en 2018, choisi de classer le Japon parmi les pays qui ne se conforment pas aux obligations qui leur incombent en vertu de la convention de La Haye.

L’Organisation des Nations unies, par l’intermédiaire de son comité des droits de l’enfant, s’est également penchée sur les manquements du Japon à ses obligations conventionnelles et a fait récemment, le 1er février 2019, des recommandations aux autorités japonaises.

Toutes ces démarches ne sont pas restées vaines, et le Japon a dernièrement pris des mesures qui, si elles ne sont pas spectaculaires, vont au moins dans le bon sens. Nous devons donc continuer ce combat, et je souscris pleinement à la demande exprimée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères de rétablir le comité consultatif franco-japonais relatif à l’enfant au centre d’un conflit parental, qui avait été institué en 2009 et qui avait cessé ses travaux au mois de décembre 2014 à la suite de l’adhésion du Japon à la convention de La Haye.

L’instauration de ce comité, tout comme la création d’un poste de magistrat de liaison à l’ambassade de France au Japon, serait un pas important. En effet, pour prendre l’exemple d’un autre pays que je connais bien, je sais combien la mise en place d’un magistrat de liaison français en Allemagne, sur l’initiative d’Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, avait permis une meilleure compréhension du point de vue français en Allemagne. Cette mesure avait considérablement amélioré le traitement de la garde des enfants lors du divorce de couples franco-allemands.

Ce dialogue constant entre les deux parties et les mesures récentes prises par le Japon sont positifs et résultent peut-être aussi d’un changement de la société japonaise au sein de laquelle l’équilibre familial semble connaître une évolution, avec une plus grande implication des pères dans l’éducation de leurs enfants. Pour preuve, le ministre de l’environnement japonais, Shinjiro Koizumi, a annoncé mercredi 15 janvier son intention de prendre un congé de paternité, une décision symbolique qui va à l’encontre des conventions du monde du travail au Japon, mais dont il espère qu’elle donnera l’exemple à tous les pères de l’archipel.

Cette évolution lente des mentalités, tout comme notre action, permettra, je l’espère, à l’avenir de mettre un terme à ces drames humains qui brisent les familles. Récemment encore, nous avons pu mesurer, avec deux cas très médiatisés, l’ampleur de ces drames.

Les orateurs précédents l’ont évoqué, Louis, âgé de 4 ans, né d’un père japonais et d’une mère française, a quitté Salles-d’Aude le 26 décembre dernier sur décision de justice pour vivre au Japon avec son père. Sa mère a refusé jusqu’au bout de le laisser partir – mes collègues Roland Courteau et Gisèle Jourda connaissent bien ce drame, qui s’est produit dans leur département.

Scott McIntyre, un journaliste australien, vient, lui, de passer quarante-cinq jours en détention pour avoir seulement tenté d’apercevoir sa fille et son fils.

On peut mesurer les conséquences de ces séparations sur la santé d’un jeune enfant et le traumatisme qu’elles peuvent entraîner à court et à moyen terme. Bien souvent, elles s’accompagnent d’un bannissement total de l’autre culture, de l’autre langue, et coupent l’enfant de ses racines culturelles.

C’est pour tenter de mettre fin à ces drames que le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de résolution, dont je salue l’équilibre et la justesse. Enfin, je tiens à remercier mon collègue Richard Yung de son travail de longue date sur cette délicate question.

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