Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord, au nom du Gouvernement, saluer l’initiative de M. Yung, qui porte devant la représentation nationale le sujet extrêmement sensible des enlèvements internationaux d’enfants et, plus précisément, celui des enfants binationaux enlevés par leur parent japonais.
C’est un monde qui vient séparer ces enfants de leur parent non japonais sans que la loi, hélas, parvienne à les protéger. Ces situations de très grande souffrance naissent et perdurent en raison d’une culture et d’un cadre juridique divergents par rapport à la France en matière familiale. Notons en particulier que le droit familial japonais ne reconnaît pas l’autorité parentale partagée en cas de divorce ou de concubinage.
Votre proposition de résolution, monsieur le sénateur, a deux objectifs auxquels le Gouvernement s’associe pleinement.
D’une part, il s’agit de s’assurer du respect des droits fondamentaux des enfants franco-japonais au centre d’un conflit parental, dans le respect de la souveraineté du Japon.
D’autre part, elle vise à réaffirmer le soutien des parlementaires aux parents français privés de tout contact avec leurs enfants.
Je tiens d’emblée à affirmer que cette situation est bien connue du Gouvernement et fait l’objet d’un suivi constant des services de la Chancellerie et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, que ce soit à Tokyo ou à Paris.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs – beaucoup parmi vous l’ont rappelé –, la France a sollicité officiellement, notamment dans une lettre adressée le 4 octobre dernier par le Président de la République au Premier ministre japonais, la réactivation d’un comité de dialogue ad hoc qui avait été mis en place bilatéralement avant l’entrée en vigueur au Japon de la convention de La Haye, ce pays l’ayant ratifiée en 2014.
Nous avons récemment relancé les autorités japonaises à ce sujet. Elles nous ont assuré qu’elles allaient rapidement examiner notre demande ; néanmoins, au moment où je vous parle, cela n’a pas encore été fait.
Par ailleurs, comme plusieurs orateurs l’ont également souligné, nous œuvrons pour que des actions soient menées à l’échelon européen. Je peux d’ores et déjà indiquer que la situation des parents européens privés de contact avec leurs enfants japonais a été abordée le mois dernier à l’occasion de la réunion du comité mixte chargé de la mise en œuvre de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Japon. Nous avons aussi demandé que cette question soit mise à l’ordre du jour du Conseil de l’Union européenne sur les questions consulaires, afin qu’une stratégie commune soit adoptée.
Eu égard à cette situation, et animés que nous sommes de la volonté d’agir, nous serons évidemment très attentifs à l’application dans les mois qui viennent de la nouvelle législation japonaise, qui devrait permettre l’exécution forcée des décisions de justice, en particulier des décisions concernant le retour en France de ces enfants, y compris lorsque le parent japonais s’y oppose. Nous attendrons de la part des autorités japonaises une exécution effective des décisions judiciaires de retour.
Nous sommes parfaitement conscients des difficultés que nous rencontrons actuellement pour faire appliquer la convention de La Haye au Japon. C’est pourquoi, de façon plus générale, il nous paraît indispensable de déployer tous les efforts nécessaires pour prévenir et combattre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants, quels que soient les pays concernés.
Nous entretenons ainsi des relations et nous organisons des réunions régulières avec les pays avec lesquels nous disposons d’un instrument de coopération, qu’il s’agisse de la convention de La Haye ou de conventions bilatérales. Ces rencontres nous permettent de mener une coopération plus fluide et de régler les difficultés qui peuvent se présenter.
Nous avons donc, chaque année, des réunions avec l’ensemble des pays de l’Union européenne pour discuter de questions générales ou de dossiers individuels, ce qui nous permet dans un certain nombre de cas de lever des difficultés concrètes. Nous avons également des rencontres annuelles avec les principaux pays avec lesquels nous disposons d’une convention bilatérale, tels que l’Algérie, la Tunisie, ou encore le Maroc. Enfin, nous organisons des rencontres ou des visioconférences avec l’ensemble des autres pays, soit de façon régulière et institutionnalisée – tel est le cas pour la Russie –, soit en cas de nécessité, par exemple avec Israël, le Brésil, ou le Japon.
Face à ces difficultés, les tentatives de nouer des liens et de trouver des lieux de dialogue sont bienvenues. Je me félicite donc, tout comme vous, du rôle que jouent des associations comme Sauvons nos enfants Japon, dont les représentants ont été reçus il y a quelques semaines par mon cabinet.
Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais à quel point vous êtes attachés à promouvoir l’efficacité de la diplomatie parlementaire avec le Japon. Le Gouvernement ne peut que s’en féliciter et encourager les échanges avec les parlementaires japonais sur les évolutions envisageables du droit de la famille japonais qui permettraient de consacrer l’égalité réelle des droits parentaux, ainsi que le maintien effectif des liens familiaux en cas de séparation.
Comme plusieurs d’entre vous l’ont indiqué, l’une des principales difficultés tient à l’application du principe de continuité, consacré par le droit et la coutume japonais, selon lequel, lors d’une séparation, un seul des parents est investi de l’autorité parentale. Ce principe conduit malheureusement à exclure l’autre parent de la vie de l’enfant, qu’il soit étranger ou japonais.
La société japonaise elle-même s’accommode de plus en plus mal de ce principe, et le gouvernement japonais a récemment lancé une réflexion sur l’introduction possible du partage de l’autorité parentale, voire de la garde alternée. Le ministère de la justice français, comme il a déjà eu l’occasion de l’indiquer lors de la mission conjointe qu’il a menée à Tokyo en mai dernier avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, est tout à fait disposé à partager son expérience avec le ministère de la justice japonais sur ces questions.
Je souhaite in fine préciser deux éléments. J’ai noté avec beaucoup d’attention l’invitation faite dans cette proposition de résolution à mieux sensibiliser les magistrats français aux particularismes de ces déplacements internationaux d’enfants vers le Japon. Ces éléments spécifiques pourraient effectivement être intégrés au sein de formations assurées à l’École nationale de la magistrature, sans pour autant vouloir orienter les décisions de nos autorités judiciaires.
J’ai par ailleurs demandé à mes services d’expertiser les possibilités d’extension de la zone de compétence du magistrat de liaison de Pékin, spécifiquement pour ce qui concerne l’entrée de civils au Japon.
En conclusion, je tiens à réitérer le soutien du Gouvernement à cette proposition de résolution qui vient rappeler ce qui peut paraître une évidence, mais parfois à tort dans les faits : ce qui doit toujours primer sur toute autre considération, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est ce que je rappellerai prochainement à mon collègue, le ministre japonais de la justice, puisque je dois me rendre au Japon au mois d’avril.