Intervention de Brigitte Klinkert

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 23 janvier 2020 : 1ère réunion
Table ronde « patrimoine historique des collectivités territoriales : quels moyens d'action pour les maires

Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin et vice-présidente de l'Assemblée des départements de France :

Merci monsieur le président. Je vous remercie pour votre invitation. Je suis très heureuse de représenter l'ADF pour cette audition. Suite à son congrès 2018, au cours duquel ont été abordées des questions patrimoniales, l'ADF a mis en place un atelier Culture, que j'ai l'honneur de présider. Les présidents et les élus des conseils généraux ont en effet estimé que ce sujet était d'une grande actualité.

Je rappelle que parmi les compétences obligatoires des départements figurent les archives, la sauvegarde du patrimoine, les bibliothèques, ainsi que les musées départementaux. Les départements soutiennent ainsi de manière stable la culture et le patrimoine. En 2014 ou 2015, certains d'entre eux ont peut-être baissé les dépenses qu'ils y consacrent, mais elles apparaissent désormais stables ou en hausse, qu'il s'agisse de dépenses de fonctionnement ou d'investissement. Entre 2016 et 2018, elles ont ainsi augmenté de plus de 10 %. De plus, la moyenne des dépenses liées à la culture dans les budgets des départements atteint désormais 3 %. Cela n'est pas surprenant, considérant que la première de leur mission est la solidarité.

Outre l'obligation de préserver le patrimoine, sa valorisation permet le développement des territoires, notamment d'un point de vue économique. Je préside par exemple l'association Les Dominicains de Haute-Alsace, qui gère un centre culturel de rencontre dans la ville de Guebwiller. Situé dans une ancienne vallée textile enclavée, ce centre permet aux entreprises du secteur de recruter plus aisément. Ainsi, différentes études ont démontré qu'un euro investi dans le patrimoine génère pour le territoire de 28 à 31 euros.

Les contributions des départements au patrimoine sont très hétérogènes. Le département est un échelon de proximité, ce qui lui permet de remplir un rôle de coordonnateur des actions culturelles territoriales. Néanmoins, il existe trois formes de participation des départements dans ce domaine. Ainsi, certains d'entre eux se concentrent principalement sur leurs compétences obligatoires : les archives ; la lecture publique ; les schémas d'enseignement artistique. Certains s'investissent davantage sur la solidarité humaine et territoriale, estimant que leur priorité doit être le renforcement du lien social et le développement culturel des territoires. C'est le cas par exemple du département du Puy-de-Dôme ou de l'Eure.

Certains, tels le Rhin, la Dordogne, la Charente, ou l'Allier ont conservé un investissement global dans tout le champ de la culture. Ils estiment devoir pallier un déficit de l'offre culturelle, et travailler à un maillage équitable entre leurs différents territoires. Il convient de souligner une nette tendance des départements à investir dans le patrimoine. Le Haut-Rhin a par exemple adopté en 2018 un plan patrimoine doté de 9 millions d'euros, sur un budget total légèrement inférieur à 800 millions d'euros. Quant à lui,au le département de la Vienne, il a annoncé un rehaussement de son plan patrimoine. L'Eure a pour sa part consacré plus de 20 % de son budget culture au patrimoine.

Nous ressentons également le besoin d'une meilleure association des départements aux décisions qui impactent les politiques locales de conservation du patrimoine. Le projet de loi de finances pour 2020 confirme les crédits dédiés au patrimoine, qui demeurent relativement stables. Néanmoins, ces crédits restent inférieurs de 5,6 % à ceux du budget exécutoire de 2012. Il convient également de souligner que les crédits des monuments historiques ont augmenté d'environ 4 % entre 2018 et 2019. Néanmoins, ceux alloués aux archives connaissent une baisse significative, de l'ordre de 18 %.

Ce programme témoigne de la priorité accordée au patrimoine des monuments historiques, et en particulier aux grands projets. AÀ ce titre, il est possible d'évoquer les grands chantiers, tels que ceux du Grand Palais (60 millions d'euros), ou du château de Villers-Cotterêts (55 millions d'euros). Dans le même temps, la restauration des monuments historiques, hors grands projets, n'augmente que de 1,3 %. Les départements s'inquiètent donc de ces orientations.

Je salue également l'initiative de Stéphane Bern avec le loto du patrimoine. Celui-ci permet de mettre en lumière la diversité du patrimoine monumental français, mais également de lutter contre sa dégradation. Des investissements d'ampleur en la matière s'avèrent en effet nécessaires. Les départements encouragent donc cette initiative, dont les montants apparaissent néanmoins insuffisants pour constituer une aide significative. En effet, le loto du patrimoine en 2018 a généré 200 millions d'euros de recettes en 2018. Sur cette somme, seuls 22 millions d'euros ont été destinés au patrimoine, alors que 14 millions d'euros ont été prélevés en taxes. La proposition du Sénat de supprimer ces taxes dans le projet de loi de finances pour 2020 s'est heurtée à l'opposition de l'Assemblée nationale. Les départements ne peuvent que déplorer le maintien de cette taxation, qui leur fait craindre une baisse des montants destinés du patrimoine.

Je souhaiterais également évoquer la mission Bern et la Fondation du patrimoine. Cette mission, qui vise à soutenir des restaurations patrimoniales, a mobilisé 148 millions d'euros en 2018, et 78 millions d'euros en 2019. Mes collègues et moi-même regrettons l'absence des élus lors de l'identification et du choix des projets, alors même que les collectivités sont très investies dans ces dossiers. Il s'agit généralement de soutien au patrimoine en milieu rural ou isolé. La collaboration entre la Fondation du patrimoine et les conseils départementaux permet l'identification des projets patrimoniaux par les départements. Par exemple, le département de l'Yonne et la Fondation du patrimoine ont noué un partenariat très fort depuis 2006. Depuis 2015, 390 projets ont pu être soutenus dans ce cadre.

De plus, le label Fondation du patrimoine est un indicateur important. Il permet notamment de sensibiliser les acteurs économiques locaux. Malheureusement, il est encore perçu par les départements comme non transparent, compliqué à obtenir, voire inaccessible. La proposition d'élargir ce label au patrimoine non protégé dans les zones rurales vise à faire bénéficier ces territoires de l'attention dont elles ils ont besoin.

Par ailleurs, le département est une collectivité innovante en termes de préservation du patrimoine historique, en particulier pour celui qui n'est pas protégé. Il peut en effet apporter un soutien en matière de financement, mais également en matière d'ingénierie. Celle-ci apparaît essentielle pour l'entretien et la promotion du patrimoine. L'état du petit patrimoine exige en effet une vigilance particulière, notamment dans les zones rurales, d'autant que les budgets des communes apparaissent de plus en plus contraints. De plus, il peut s'avérer difficile pour des équipes municipales réduites d'établir des dossiers, et de savoir à qui les adresser.

En 2020, la Charente-Maritime a ainsi mis en oeuvre un plan patrimoine prévoyant des fonds pour le patrimoine non classé. Ce plan, voté en décembre 2019, vient compléter les actions préalables menées dans ce département en la matière. Il avait notamment mobilisé 1,5 million d'euros en 2018 en faveur des lieux de mémoire emblématiques, et des sites patrimoniaux remarquables.

L'incendie de Notre-Dame a très fortement marqué les esprits. De nombreux départements se sont alors mobilisés. Plus de 25 déclarations d'intention ont ainsi été identifiées par l'ADF, pour proposer un soutien exceptionnel à la reconstruction de la cathédrale. Ce soutien a par ailleurs souvent été associé à des efforts de consolidation des budgets dédiés à la conservation des monuments et du patrimoine locauxlocal. Par exemple, le département de la Vienne a fait voter une augmentation du plan de préservation des édifices de la ville. De même, le département du Rhin, dont le plan patrimoine était déjà ambitieux (9 millions d'euros sur trois ans), a mis en place un partenariat avec les compagnons du devoir, notamment pour inciter les jeunes à s'intéresser aux métiers liés à la préservation du patrimoine.

Les départements mettent également en oeuvre des initiatives participatives. Je prendrai l'exemple du département de l'Eure, qui a mis en place une plateforme de crowdfunding pour la restauration du petit patrimoine. Les départements lancent également des appels à l'engagement citoyen pour des actions de petite restauration, ou de veille de l'état des monuments. Le département de l'Allier propose ainsi des chantiers participatifs pour la restauration du petit patrimoine. Le département du Rhin a pour sa part mis en place un programme de veilleurs de châteaux. L'Alsace dispose en effet d'un patrimoine de châteaux forts tout à fait exceptionnel. Des bénévoles consacrent ainsi leur temps pour veiller à ce que les châteaux ne se dégradent pas davantage. Lorsqu'ils constatent des dégâts, ils contactent les propriétaires qui peuvent ainsi engager des travaux.

En matière d'ingénierie, le département des Yvelines a créé un pôle sauvegarde et transmission des patrimoines. Ce pôle a été rattaché à une agence départementale indépendante. Il vise à accompagner les acteurs dans la restauration du patrimoine, notamment par le recensement, la documentation des oeuvres, des actions de proximités de valorisation du patrimoine, ainsi que la gestion des oeuvres du département. Cette agence, Ingéniery, peut assister les communes de manière globale, et dispose entre 2018 et 2021 d'une autorisation de programme avec un budget d'1,2 million d'euros.

Je prendrai également l'exemple du département du Haut-Rhin, qui dispose de l'Agence départementale d'aménagement et d'urbanisme du Haut-Rhin (ADAUHR). Lorsqu'une petite commune engage une campagne de restauration du patrimoine, elle s'adresse généralement aux conseillers départementaux du canton, qui les mettent alors en relation avec l'ADAUHR.

En 2020, la Charente-Maritime lancera un plan patrimoine, avec un fonds départemental à destination du patrimoine de pays non classé. Il s'agit en effet d'une question importante. Il allouera pour ce faire 1,5 million d'euros.

Je conclurai sur la question de la valorisation. La restauration du patrimoine est essentielle, mais ce patrimoine doit si possible redevenir un patrimoine vivant. Les départements valorisent le patrimoine en permettant sa découverte et son appropriation, à travers des programmes culturels et éducatifs transversaux. Pour ce faire, ils peuvent utiliser des outils numériques, ainsi que des parcours mixtes (sport, patrimoine, culture). Ces démarches apparaissent importantes pour donner envie aux jeunes de s'intéresser à notre patrimoine. Je songe également au patrimoine immatériel, qui comprend notamment les archives. Dans le Haut-Rhin, nous avons ainsi présenté aux collégiens l'histoire des Alsaciens entre 1919 et 1925 à travers l'itinérance d'un dôme numérique. Il s'agit d'un projet réalisé entièrement en interne par le département. Le fait de présenter cette histoire à travers des photos d'archives a permis de susciter un vif intérêt chez les collégiens. Je songe notamment au témoignage d'une élève du collège de Bourtzwiller, jeune réfugiée, qui après avoir visionné ce film m'a dit : « L'histoire de l'Alsace ressemble beaucoup à l'histoire qui est la mienne, et à l'histoire du pays que j'ai dû quitter ». Je vous remercie.

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