Intervention de Thierry Mandon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 4 novembre 2015 à 9h30
Loi de finances pour 2016 — Audition de M. Thierry Mandon secrétaire d'état chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche

Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je formulerai une remarque générale sur l'évolution de l'enseignement supérieur. L'accroissement programmé des effectifs combinée à la nécessité absolue d'une exigence qualitative très grande implique de repenser le modèle économique de l'enseignement supérieur en allant au-delà de la question des dotations de l'État. Certes, celui-ci repose pour partie sur les dotations de l'État. Mais ce modèle économique repose également sur les ressources propres des universités, qui représentent quelques 17 % de leurs budgets et qui sont issues de recherches partenariales et de contributions aux programmes de formation continue à vocation professionnelle. Au regard des défis qui sont ceux de l'enseignement supérieur, ce troisième pilier doit être développé ; le second pilier étant constitué des frais d'inscription que la France n'a pas décidé d'augmenter à l'instar de nombreux pays dans le monde et en Europe, comme l'Allemagne. Ce n'est pas une question idéologique ! Pour relever les défis de demain, il faut que la nation repense le contrat qu'elle a avec son enseignement supérieur. Lorsque la nation lui fixe des objectifs nouveaux, comme ceux de la nouvelle stratégie pour l'enseignement supérieur qui vise à scolariser et à faire réussir plus de jeunes au niveau de l'enseignement supérieur, elle doit accompagner ce mandat nouveau. L'augmentation de 165 millions d'euros annoncée dans le budget pour 2016 y participe. La réponse est aussi dans le développement des ressources propres des universités.

Il faut garder à l'esprit un troisième élément dont je trouve qu'on ne parle pas suffisamment, à savoir la révolution pédagogique très profonde que va induire la transformation de l'enseignement supérieur par le numérique. Dans les dix ans qui viennent, on va apprendre différemment, utiliser davantage encore le numérique, ce qui devrait changer énormément de choses en matière de pédagogie, comme la pédagogie inversée. Un tel bouleversement concernera également le modèle économique susceptible d'amener plus de personnalisation, et par conséquent de qualité, tout en réalisant des économies d'échelle. C'est là un sujet inhérent au modèle économique pris dans sa globalité.

Je reviens à vos questions. Ces 165 millions d'euros apportent un démenti au prétendu écart entre les déclarations et les actes ! Vous soulignez, avec raison, les conséquences pour les établissements de la baisse de la taxe d'apprentissage. C'est en effet un véritable choc pour les écoles d'ingénieurs, les écoles de commerce et certaines branches universitaires. Les écoles d'ingénieurs vont ainsi perdre, de manière globale, quelques 17 millions d'euros de taxe d'apprentissage, dès cette année. Les écoles de commerce perdront, quant à elles, 40 millions d'euros ! Je n'ai pas de réponse immédiate, mais nous devrions constituer prochainement un groupe de travail sur ce thème avec les acteurs concernés.

Je vous confirme qu'en 2016, l'enseignement supérieur privé demeure dans une situation stable.

Les COMUE ne sont-elles pas vouées à devenir des ensembles trop importants ? La réponse française à la question de la taille nécessaire à des établissements qui soient à la fois performants et ancrés dans leur territoire, repose sur l'articulation de deux modèles. D'une part, un modèle de forte pénétration des établissements dans leur tissu local respectif. Nous aurons en effet 73 universités d'ici à la fin 2016 et en même temps, certains regroupements peuvent s'opérer sur une base volontaire. Ce modèle permet de conjuguer une grande diversité avec la recherche d'économies d'échelle. De ce point de vue, ce modèle me paraît particulièrement adapté au contexte marqué par les pouvoirs des COMUE qui vont monter en régime progressivement.

En matière de recherche et de moyens mobilisés par la stratégie nationale de la recherche, vous soulignez la faiblesse des crédits dont bénéficie l'ANR et nous partageons votre point de vue. Si l'on veut qu'une agence existe, il faut que celle-ci soit dotée de moyens suffisants et je trouve très bien que sa dotation ait été reconduite. Il faut avoir à l'esprit que la stratégie nationale de la recherche bénéficie de financements pérennes et d'autres types de financement tels que les appels à projets, notamment européens. J'estime que nous pouvons être meilleurs dans ce domaine. Le 16 décembre prochain, je recevrai d'ailleurs le commissaire européen compétent sur ces questions et les COMUE sont en mesure de jouer un rôle d'accompagnement des laboratoires mixtes des universités, dans leurs démarches pour obtenir des financements européens. Le taux de réussite des dossiers français est satisfaisant, c'est le nombre de dossiers adressés à la Commission européenne qui est insuffisant. La recherche collaborative doit également être développée. Tout comme vous, je pense qu'un inventaire lucide s'impose, dix ans après la création des nombreux outils qui devaient développer l'innovation dans le pays. Il peut exister quelques redondances et certains outils, dont la légitimité était pleinement compréhensible en phase de démarrage, comme ceux qui avaient vocation à aider les laboratoires publics à acquérir la culture nécessaire pour aborder, de manière satisfaisante, les discussions avec les partenaires privés, ont, pour partie, rempli leur mission. Comment doivent-ils évoluer ? Quels moyens doivent leur être consacrés ? C'est une réflexion en cours. Je ne suis pas certain que la recherche publique reçoive le juste retour des efforts qu'elle a consacrés au développement de produits nouveaux par les acteurs privés. Cette culture de transfert de la valorisation est, me semble-t-il, acquise et irréversible. Si l'on veut qu'elle repose sur des bases durables et mutuellement profitables, il faut peut-être revoir un certain nombre d'éléments.

Le calendrier qu'on s'est fixé pour atteindre ces objectifs devrait nous conduire à rédiger un rapport d'étape en janvier prochain. J'aurai, à cette occasion, plaisir à lire toute contribution de parlementaire qui considère que, sur ce sujet, des améliorations sont possibles.

Les relations entre les PIA et l'ANR sont un sujet en soi, car un certain nombre de programmes relevant des investissements d'avenir sont communs avec l'Agence. De telles inscriptions peuvent ainsi apparaître comme complexes alors qu'il s'agit d'assurer la fluidité entre les opérateurs dans le respect de la règle selon laquelle les PIA ne peuvent être utilisés pour de la débudgétisation.

Sur l'innovation et le décalage dans notre pays entre recherche fondamentale et pratique, je constate que le comportement des entreprises pose problème. À l'examen des chiffres, il apparaît que les entreprises, très souvent de très grande taille, conduisent de véritables stratégies d'innovation, Mais, pour le moment, nous n'avons pas encore trouvé les moyens de diffuser auprès des PME-PMI le potentiel d'innovation de nos laboratoires publics. Certes, certains exemples locaux, comme à Grenoble, de transferts à des PME-PMI constituent des réussites. Mais en dépit des outils qui ont été créés, comme les plateformes collaboratives qui fonctionnent plutôt bien, de telles démarches demeurent rares. De réels efforts restent à conduire pour intégrer l'innovation dans la stratégie des entreprises. Le nombre des contrats de recrutement de docteurs, voire de doctorants, constitue un indicateur intéressant. Celui-ci est notoirement insuffisant, car les entreprises préfèrent recruter des ingénieurs, qui sont en mesure de réfléchir sur les processus de fabrication, mais pas de faire de l'innovation. En convainquant les entreprises d'embaucher des chercheurs, je suis persuadé qu'on augmentera la part de l'innovation dans ces sociétés.

Le crédit d'impôt recherche est une mesure fiscale qui relève, en tant que telle, du ministère du budget. Néanmoins, celui-ci doit s'inscrire, au-delà des mesures budgétaires immédiates, dans une réflexion de long terme. En effet, malgré des efforts soutenus, la France consacre 1,5 % du PIB à la recherche privée, tandis que l'Allemagne y consacre 2 % ainsi que les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud 3 %. Le Président de la République s'est engagé sur la stabilité du crédit impôt recherche pendant les cinq prochaines années. Mais, sur le long terme, il nous faut répondre à la question de la bonification de la recherche privée dans notre pays. Comment faire embaucher nos jeunes chercheurs dans les entreprises ? Tel me paraît l'enjeu majeur pour le pays qui dépasse les seules problématiques du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour concerner, entre autres, le ministère de l'industrie.

En outre, alors qu'on vient de souligner qu'il faut plus de financement pour la recherche et l'enseignement supérieur, je réponds que les 165 millions d'euros sont une première étape vers les 250 millions d'euros à venir.

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