J'ai proposé au Bureau qu'une délégation de la commission des finances se rende aux États-Unis pour étudier l'écosystème et le financement de l'innovation aux États-Unis et les raisons pour lesquelles les start-up françaises décident si souvent de partir pour la Silicon Valley. Nous souhaitions en outre étudier la fiscalité du numérique, au sens large : impôt sur les sociétés, TVA sur le e-commerce, et taxation des revenus de l'économie collaborative.
Au cours de ce déplacement, nous avons rencontré aussi bien des géants du numérique que de jeunes start-up, mais aussi des fonds d'investissement, des incubateurs, des universitaires ou encore des responsables publics. Nous ne revenons pas avec des solutions toutes faites, mais plutôt avec une série d'enseignements qui nous seront d'une grande utilité dans le cadre de nos travaux à venir. Des professions et des entreprises vont disparaître du fait du numérique - nous en avons eu l'exemple avec Kodak. En revanche, des métiers nouveaux vont émerger : nous devons nous y préparer, avec les conséquences que l'on imagine sur l'économie et la fiscalité.
Nos remerciements vont à nos interlocuteurs, mais aussi aux fonctionnaires du consulat général à San Francisco, et particulièrement à ceux du service économique. À Seattle, nous avons aussi bénéficié de l'aide de la chambre de commerce franco-américaine.
Beaucoup de nos interlocuteurs ont fait preuve d'une grande franchise, et d'un remarquable sens de la pédagogie. Je pense notamment aux jeunes entrepreneurs que nous avons rencontrés, comme le fondateur de la plateforme de gestion de contrats Concord, ou les fondateurs de Coinbase, qui ont su nous parler du bitcoin et des blockchains avec une grande clarté. Parfois, c'est plutôt la culture du secret qui dominait, et l'on nous lisait des présentations rédigées par des avocats.
Quelles sont, donc, les raisons qui font le succès du modèle américain ? Pourquoi s'installer dans la Silicon Valley, à San Francisco ou à Seattle, alors que les loyers sont vertigineux ? Voici les raisons qui, au fil de nos entretiens, nous sont apparues comme les plus importantes, et qui seront détaillées par mes collègues.
Premièrement, la taille du marché américain, à laquelle il est vrai que nous ne pouvons pas grand-chose.
Deuxièmement, la facilité avec laquelle il est possible de trouver des financements. En un quart d'heure, il est possible de lever 100 000 dollars. C'est le point le plus crucial, et le principal défi à relever pour la France. La prise de risque assumée aux États-Unis induit une facilité de financement que l'on ne retrouve absolument pas dans notre pays.
Troisièmement, l'écosystème dans son ensemble explique ce dynamisme.
En revanche, et au risque de vous surprendre, la fiscalité, du moins dans un premier temps, ne fait pas partie des critères majeurs. En outre, la France propose des dispositifs intéressants, comme le crédit impôt recherche (CIR), le crédit d'impôt innovation (CII) ou le crédit d'impôt jeux vidéo (CIJV). À tel point que des entreprises françaises implantées aux États-Unis conservent des centres de recherche en France, notamment grâce au CIR. C'est ainsi le cas de la société de « localisation » de jeux vidéo Exequo, que nous avons visitée à Seattle, alors même que 95 % de son chiffre d'affaires est réalisé aux États-Unis et au Canada. Bien entendu, de tels dispositifs sont coûteux pour les finances publiques : 5,5 milliards pour le CIR en 2016.
Il existe également en France différents dispositifs fiscaux visant à faciliter le lancement d'une jeune entreprise, à commencer par le régime du micro-entrepreneur.
Enfin, s'agissant du coût du travail, les charges sociales sont certes plus élevées en France, mais les salaires des ingénieurs sont incomparablement plus élevés aux États-Unis, notamment dans les grands groupes, si bien que cela pose de réels problèmes aux start-up qui ont du mal à fidéliser leurs cadres. Ainsi, des sociétés qui ne font pas de bénéfices sont rachetées par de grandes entreprises car elles sont à la recherche de matière grise.
Nous avons rencontré les mairies de San Francisco et de Seattle : les collectivités disposent d'une bien plus grande marge de manoeuvre fiscale qu'en France car elles peuvent moduler les taux de l'impôt sur les sociétés et celui des cotisations sociales. À San Francisco, une exonération de charges sociales entre 2014 et 2019 a été décidée afin d'attirer les entreprises du numérique comme Twitter ou Spotify. L'attractivité de Seattle, mais aussi la pression foncière, est la plus élevée des États-Unis.
S'agissant de l'optimisation fiscale des entreprises multinationales, Uber, Airbnb, Amazon, ou encore Google nous ont tous répondu que qu'il appartenait aux législateurs d'édicter les règles. Ces sociétés profitent des faiblesses et des failles de législation des États mais elles s'adaptent aux règles qui leur sont imposées. À l'inverse, un pays comme l'Estonie a conclu un accord avec Uber permettant à cette société de transmettre et de déclarer les salaires de ses chauffeurs.