Intervention de Jacques Chiron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 septembre 2016 à 10h00
Compte rendu du déplacement effectué par une délégation du bureau de la commission aux états-unis du 10 au 15 mai 2016

Photo de Jacques ChironJacques Chiron :

Lors de notre déplacement, nous avons accordé une grande attention aux regards croisés sur la France et les États-Unis, dans une perspective de comparaison et d'inspiration. Nous avons par exemple discuté avec les associés de Partech Ventures, un fonds transatlantique qui possède des bureaux à Paris, à Berlin et à San Francisco, mais dont le portefeuille est géré par une seule et même équipe. Sur ses quelques 300 participations, pour une valeur totale de 850 millions de dollars, on compte de nombreuses pépites françaises, comme la société Sigfox, que certains de nos collègues ont visitée à Toulouse et qui opère un réseau à bas débit pour objets connectés, Made.com (mobilier en ligne), Sensee (lunettes), Lendix (prêts participatifs) ou encore le fabricant des Sea Bubbles, ces véhicules qui volent sur l'eau et dont s'est récemment dotée l'administration des douanes. Partech Ventures a vendu BusinessObjects à SAP en 2008, et Dailymotion à Orange en 2011.

Je vous cite ces exemples pour souligner que la France a de nombreuses raisons d'être optimiste. Une étude vient de placer Paris en troisième position mondiale parmi les villes les plus attractives pour l'innovation, juste après San Francisco et Londres. Au Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, la délégation française était cette année encore la plus importante, avec 210 entreprises dont 190 start-up labellisées French Tech.

L'une des autres particularités de la France est l'importance des aides publiques à l'innovation. Il y a d'abord, les multiples aides accordées par l'État, les collectivités et leurs partenaires, les subventions, les avances remboursables, les prêts bonifiés, etc... Tout cela forme un ensemble certes un peu confus, mais très utile pour faire ses premiers pas. Bien sûr il faut savoir ensuite s'en affranchir, car il s'agit de procédures chronophages pour des petites sommes - un « piège à start-up pour 10 000 euros », comme nous l'a dit sans ambages le jeune entrepreneur de Concord.

Mais surtout, le grand changement de ces dernières années est la structuration d'une véritable offre publique de capital-risque et de capital-investissement. Nous devons ces progrès à une institution, Bpifrance, dont le succès a invariablement été souligné par nos interlocuteurs. L'activité « Innovation » de Bpifrance regroupe une série de dispositifs assez classiques, mais tout de même accordés avec vigilance à des projets innovants ayant des perspectives concrètes de réalisation. Ces aides ont atteint 1,3 milliard d'euros en 2015 au titre de ces outils, en hausse de 20 % par rapport à 2014. Surtout, Bpifrance intervient sous forme de prêts dans son activité « Financement », et en tant que véritable fonds de capital-risque au titre de son activité « Fonds propres ». Les investissements directs en innovation ont ainsi connu une hausse de 33 % en 2015, pour s'établir à 1,1 milliard d'euros, avec des opérations notables dans Parrot (drones) et dans Ingenico (solutions de paiement), deux belles réussites françaises. Bpifrance investit aussi indirectement, via des fonds de fonds, au côté de partenaires tels que Partech Ventures.

Grâce à Bpifrance, la France s'est dotée d'un écosystème de financement de l'innovation très performant en amorçage, et pour tout dire bien meilleur que celui des États-Unis. Il est bien plus facile de se lancer en France qu'aux États-Unis, mais c'est à l'étape suivante que surgissent les difficultés.

Autre particularité : Bpifrance est également présente aux États-Unis, où la banque publique dispose d'un représentant, ancien consul général à San Francisco, que nous avons rencontré à Paris juste avant notre départ. Sa mission est double : d'un côté, il aide les start-up françaises à lever des fonds aux États-Unis, en les mettant en contact avec des investisseurs potentiels et des partenaires commerciaux. Sa connaissance des deux pays est un atout précieux pour nos jeunes pousses. Ces investisseurs ont une connaissance parfaite du marché et ils sont reconnus par les grands groupes. Lorsqu'une start-up française a été accompagnée par ces fonds, ils acquièrent une grande crédibilité sur le marché américain. Sur les trois premiers mois de 2016, 142 start-up françaises se sont implantées dans la Silicon Valley, dont plusieurs ont été admises à Y Combinator.

D'un autre côté, le représentant de Bpifrance s'efforce de convaincre les fonds de capital-risque américains d'investir en France, au fil de rencontres et d'événements qui témoignent du dynamisme de la French Tech. Et apparemment, cela fonctionne. Dans ce milieu, on se plait à rappeler les mots du PDG de Cisco, John Chambers, en 2015 : « Demain, tout se passera en France ».

À vrai dire, cette seconde mission recouvre en partie celle de Business France, ou plus précisément de l'ancienne Agence française des investissements internationaux (AFII), mais, en pratique, Bpifrance et Business France travaillent main dans la main et dans les mêmes bureaux à San Francisco.

Business France, institution récente sur laquelle nous menons actuellement un contrôle avec Bernard Lalande, joue aussi un rôle majeur pour aider nos entrepreneurs à partir à l'assaut du marché américain. Depuis la fusion entre Ubifrance et l'AFII en 2015, une véritable révolution culturelle s'est opérée, du moins aux États-Unis. Business France veut se positionner comme une véritable entreprise publique de conseil, avec une offre professionnelle, constituant une alternative crédible aux grands cabinets privés et aux prestations des chambres consulaires. En conséquence, la facturation a été adaptée, avec un modèle à trois étages : d'abord, un accompagnement collectif gratuit des entrepreneurs dans la prospection des clients et des partenaires, puis une facturation à 50 % pour la phase d'amorçage, et enfin, une facturation à coût complet avec marge pour les services récurrents. Cette évolution se reflète dans le budget de l'établissement public : dès 2015, ses recettes commerciales ont compté pour presque la moitié de ses ressources, et continuent à croître. Cela peut sembler contre-intuitif, mais l'irruption sur le marché concurrentiel a permis d'envoyer un signal très positif aux entreprises, qui considèrent maintenant qu'elles en ont pour leur argent - ce qui en retour contribue à la motivation et à la professionnalisation des agents.

Le programme phare de Business France aux États-Unis, monté en partenariat avec Bpifrance, est l'incubateur Ubi i-o, un programme intensif de dix semaines à San Francisco et à New York, pour lequel seize start-up ont été sélectionnées pour l'édition 2016, après huit en 2014 et huit en 2015. Les réussites d'Ubi i-o sont nombreuses. Parmi celles-ci, on peut citer l'exemple de Concord, une start-up qui propose une solution dématérialisée de gestion de contrats (négociation, signature, suivi des échéances, etc.). Alors que la plupart des entreprises continuent à envoyer des contrats scannés et à suivre laborieusement les échéances, Concord propose une solution entièrement dématérialisée de gestion des contrats sur tout leur cycle de vie. Tesla, Bosch, Siemens, Lagardère utilisent ces types de contrats. Cette entreprise travaille avec HEC Paris, ce qui permet à cette dernière de recruter un certain nombre de ses professeurs. Je vous laisse imaginer les gains de productivité que nos collectivités locales pourraient réaliser avec cette dématérialisation.

Voilà donc ce qui a changé en France ces dernières années, grâce à la structuration de notre offre de financement et de soutien à l'internationalisation : aujourd'hui, nos start-up partent vendre leurs produits, plutôt que de partir pour se vendre elles-mêmes.

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