Notre délégation s'est non seulement intéressée à la fiscalité des bénéfices, mais aussi à la question de la TVA sur le e-commerce et de l'imposition des revenus tirés de l'économie collaborative par les particuliers.
Sur le premier sujet, nous n'avons hélas pas appris grand-chose. La France connaîtrait un manque à gagner de TVA évalué à 11 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien comparé à nos déficits que l'on nous demande de réduire. Il est à craindre que la fraude soit toujours aussi massive et qu'il soit difficile de la cerner.
Chez Amazon, nous avons appris que 47 % des produits vendus le sont désormais sur la place de marché de la plateforme, c'est-à-dire par des tiers, dont on ne sait rien ou presque. Il faut dire que les États-Unis sortent à peine d'un autre combat : assujettir Amazon à la sales tax, l'équivalent de la TVA, sur ses propres ventes. Les négociations ont débuté en 2012 et seuls vingt-huit États ont réussi à passer un accord avec ce groupe pour récupérer les sommes en jeu.
Inutile de dire que la proposition formulée par notre groupe de travail, c'est-à-dire le paiement à la source de la TVA, par un système de paiement scindé sous la responsabilité des intermédiaires de paiement, n'enchante pas vraiment les entreprises que nous avons rencontrées. Il suffirait pourtant d'instaurer cette règle du jeu au niveau européen pour que ces entreprises s'y plient.
Nous avons en revanche appris des choses très intéressantes sur la taxation des revenus de l'économie dite collaborative. Tout le monde a entendu parler d'Uber ou d'Airbnb. À San Francisco, nous avons rencontré le fondateur - français - de la plateforme Upwork, qui met en relation des entreprises et des travailleurs indépendants, ou freelances, pour des missions ponctuelles : création d'un logo ou d'un site web, étude de marché, traduction, etc. Les millions de travailleurs indépendants inscrits sur le site, souvent très qualifiés, sont payés à l'acte ou à l'heure. Les 25 000 personnes qui exercent à temps plein gagnent environ 100 000 dollars par an. Des entreprises ont massivement recours à ces plateformes collaboratives - Upwork est une entreprise qui emploie elle-même 10 000 indépendants. Il s'agit donc d'une transformation du marché du travail et il serait urgent que nous nous en préoccupions.
Concernant les revenus de l'économie collaborative, nous avons essayé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 puis du projet de loi pour une République numérique, de faire avancer les choses. Malheureusement, la secrétaire d'État chargée du numérique, Axelle Lemaire, ne voulait pas aborder les sujets qui fâchent et brouiller ainsi la vision positive qu'elle souhaitait donner de l'économie collaborative. Pourtant, si nous ne faisons pas en sorte que les entreprises nous transmettent les informations qui nous permettront de taxer cette économie, l'État continuera à perdre de l'argent. Pour l'anecdote, j'ai récemment pris un taxi qui déclare 50 000 euros de revenus bruts par an, soit 1 000 euros de revenus nets par mois. Un de ses collègues s'est mis à son compte et utilise une des grandes plateformes, ce qui lui permet d'empocher 20 000 euros non déclarés par an.
Nous voulons donc instaurer des déclarations automatiques, proposition reprise par notre collègue Pascal Terrasse. Reste à convaincre les futurs Gouvernements à s'engager sur ce terrain-là.
Aux États-Unis, pourtant, un dispositif assez proche existe : le formulaire 1099-K, qui retrace la totalité des revenus bruts perçus par un contribuable particulier via une plateforme en ligne. Ce formulaire doit être rempli par les tiers de paiement, une catégorie qui couvre à la fois les opérateurs traditionnels de cartes de paiement (Visa, Mastercard etc.), les services de type PayPal, et les plateformes en ligne. Il est adressé à l'administration fiscale, et au bénéficiaire des paiements, qui l'utilise pour remplir sa déclaration fiscale annuelle. Airbnb, Uber ou encore Upwork nous ont confirmé qu'ils remplissaient bien le 1099-K pour leurs utilisateurs. Ceci montre que la déclaration automatique est possible et que les plateformes savent comment faire.
Ceci dit, le système américain est loin d'être parfait, et nous estimons qu'il faut aller plus loin. Une étude publiée en mai 2016, après notre retour des États-Unis, montrait que 61 % des utilisateurs ayant perçu un revenu via une plateforme en ligne n'avaient jamais reçu de formulaire 1099-K. Ensuite, encore faut-il que ces personnes déclarent leurs revenus à l'administration fiscale.
Si les grandes plateformes jouent le jeu, il n'en va pas de même pour la multitude de petites plateformes qui représentent une part considérable de l'activité. C'est la même chose en France : Airbnb envoie depuis longtemps à ses hôtes un récapitulatif annuel de leurs revenus, mais nous ne savons pas ce que ces hôtes en font.
Deuxièmement, le formulaire 1099-K ne doit être rempli que si les paiements excèdent 20 000 dollars par an et 200 transactions par an, ce qui exclut une très grande partie de l'économie des plateformes en ligne.
Troisièmement, le formulaire 1099-K ne constitue pas une déclaration pré-remplie, mais un simple élément d'information pour encourager le civisme fiscal des contribuables.
L'autre leçon de notre déplacement est le rôle important des autorités locales en la matière : le Tax Department de la Ville de San Francisco mène ainsi une politique très offensive, parfois même contre la volonté du maire qui n'a pas autorité sur les finances de la ville, celles-ci relevant d'un trésorier élu et indépendant.
D'abord, la location d'appartements par les particuliers. La taxe de séjour, soit 14 % du prix de la chambre, peut être collectée par les plateformes en ligne, comme Airbnb, à l'instar de ce qui se fait dans certaines villes françaises depuis octobre 2015 sur des montants plus modestes. Le système fonctionne bien, et rapporterait près d'un million de dollars par mois à la ville. D'après le responsable du Tax Department, le système fonctionne parce qu'il est indépendant des autres politiques. Ainsi, les données collectées ne sont en aucun cas transmises aux autres départements de la Ville, chargés par exemple de la sécurité ou de l'urbanisme. Cette « muraille de Chine » n'est pas anodine, dans le contexte du référendum sur la « Proposition F », rejetée par les habitants de San Francisco, qui visait à limiter à 75 nuits par an les locations par des particuliers.
Nous faisons le contraire de ce que font les Américains : nous rechignons à nous donner les moyens de taxer mais nous autorisons les communes à mettre en place des procédures de déclarations.
Deuxième exemple du volontarisme de San Francisco. Le jour même de notre visite, le 15 avril dernier, le trésorier de la ville avait envoyé une lettre aux quelques 37 000 chauffeurs Uber et Lyft, les enjoignant, sous peine de sanctions, d'obtenir une licence professionnelle pour exercer leur activité en tant que travailleurs indépendants, et d'acquitter les impôts et charges dont ils sont redevables. En trois semaines, 8 000 chauffeurs avaient répondu. Ce qui peut se faire en Californie peut sans doute aussi se faire en France.
En guise de conclusion, nous pouvons tirer deux grands enseignements de ce déplacement.
Le premier est que la première place des États-Unis dans l'économie des nouvelles technologies ne tient nullement au hasard, ni même au seul facteur culturel, mais bien à un ensemble de dispositifs et de politiques publiques dont nous gagnerions souvent à nous inspirer. Quand les américains financent une start-up, ils lui imposent de venir s'installer chez eux, ce qui nous pose un problème.
Le second enseignement est que la France a malgré tout de bonnes raisons d'être optimiste : en peu de temps, elle a su se doter d'un environnement très favorable aux jeunes entreprises innovantes, et d'un système de financement efficace en amorçage.
Espérons que les futurs ministres comprendront l'urgence de la situation et de la nécessité d'agir.