Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 19 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre délégué auprès du ministre de l'economie et des finances chargé du budget

Bernard Cazeneuve, Ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget :

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre hospitalité et votre invitation.

Je suis ici à quelques heures de l'ouverture du débat devant le Parlement sur la loi relative à la fraude fiscale et la grande délinquance financière. Je connais la qualité du travail de votre Commission, dont j'ai parfois lu les comptes rendus d'audition sur les sujets les plus sensibles. Le Rapporteur de votre Commission est depuis longtemps impliqué sur ces sujets. Il a formulé un grand nombre de propositions sur des questions liées à la lutte contre la fraude fiscale. Je me réjouis de pouvoir engager l'échange avec vous sur ces propositions et sur celles contenues dans le projet de loi.

Je vais aller à l'essentiel pour prendre le temps du débat et répondre ainsi à vos questions légitimes. Vous m'excuserez à l'avance de ne pas pouvoir répondre aux questions relevant non pas de ma compétence, mais de celle de l'administration de Bercy. Le cas échéant, je vous proposerai de répondre par écrit dans les heures qui viennent aux questions qui requièrent une expertise technique complémentaire

Quelques chiffres permettent de comprendre « l'équation » du sujet. Entre 2011 et 2012, nous avons émis pour 2 milliards supplémentaires de titres de recouvrement et de pénalités à destination de contribuables auteurs de fraude fiscale. Ces titres et pénalités sont passés de 16 à 18 milliards d'euros entre 2011 et 2012. Sur ce montant global, environ 6 milliards d'euros résultent d'actes de fraude fiscale très significatifs. C'est dire l'importance de l'enjeu, de l'équation qui se présente à nous, et l'intérêt que nous avons à nous doter de moyens d'investigation, de contrôle et de recouvrement adaptés. Dans un contexte particulièrement difficile pour les finances publiques, l'effort de redressement des comptes doit obliger ceux qui ont oublié depuis longtemps d'exercer leur devoir de citoyen et de contribuable à régulariser leur situation.

Nous avons déjà pris de nombreuses dispositions pour renforcer les dispositifs de lutte contre la fraude fiscale dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 et de la loi de finances initiale pour 2013.

D'abord, pour les particuliers qui ont déposé des avoirs à l'étranger et qui ne peuvent rétablir devant l'administration fiscale la traçabilité des fonds, un prélèvement à hauteur de 60 % des montants déposés pourrait intervenir.

Nous avons, de plus, pris des dispositions pour lutter contre les transferts de bénéfices de la part d'entreprises vers des pays fiscalement avantageux. Jusqu'à présent, quand les raisons du transfert suscitaient un doute, l'administration fiscale devait établir la preuve de ses interrogations. Aujourd'hui, c'est au contribuable d'indiquer les raisons de ce transfert lorsque l'administration s'interroge. En particulier, pour éviter une double optimisation fiscale avec les transferts de bénéfices et des déductions de charges en France, il a été décidé de modifier la fiscalité applicable aux intérêts d'emprunts contractés par des entreprises.

Nous sommes allés encore beaucoup plus loin dans le cadre de la loi bancaire, en obligeant les banques et leurs filiales à déclarer de façon très détaillée l'ensemble de leurs activités à l'étranger. Nous devons nous doter d'une meilleure expertise et d'une meilleure visibilité sur ces activités. Les banques qui constatent des mouvements de fonds suspects doivent communiquer à Tracfin toute information relative à ces mouvements.

Par ailleurs le dispositif existant sera renforcé avec la loi présentée à partir de demain au Parlement. Il s'agit d'abord de renforcer les moyens de l'administration fiscale et de la justice en réarticulant leurs rôles, afin de permettre plus grande efficience de la lutte contre la fraude. Quand des contribuables indélicats ont recouru à des sociétés écrans ou à des comptes à l'étranger, la police judiciaire d'enquête fiscale pourra mobiliser des dispositifs de garde à vue, d'infiltration et d'écoutes, dans le respect des règles. Jusqu'à présent, elle ne pouvait pas recourir à ces dispositifs. Nous avons en outre décidé d'inscrire dans la loi des dispositions qui permettront à l'administration fiscale, quand une liste lui a été communiquée de façon licite, de l'exploiter totalement même si son origine, elle, n'est pas licite. Jusqu'à présent, la Cour de Cassation refusait que les éléments communiqués à l'administration de façon licite puissent être exploités dès lors que cette origine n'était pas licite.

Le recouvrement des sommes dues sera plus facile dès lors que les contribuables fraudeurs ont été identifiés et que les pénalités commencent à leur être appliquées. Si une personne morale s'est livrée à des actions de blanchiment de fraude fiscale, elle pourra voir la totalité de ses biens saisis. Quand il s'agira de saisir les biens d'un auteur de fraude fiscale, ce dernier pourra se voir saisir jusqu'à son assurance-vie.

Ces quelques exemples montrent que le renforcement de l'arsenal juridique est considérable. Le dispositif sera plus répressif qu'actuellement, puisque les amendes pourront s'élever jusqu'à 2 millions d'euros, et les peines d'emprisonnement à 7 ans.

Une plus grande coordination est nécessaire sur les plans européen et international, faute de quoi le dispositif français sera inefficace. Nous avons donc décidé de mettre en place des conventions automatiques d'échanges d'informations. L'objectif est qu'elles garantissent à chaque Etat d'obtenir des autres Etats des informations très précises sur les avoirs détenus à l'étranger par des contribuables de son ressort territorial. Cette proposition a été actée durant le G8. Nous voulons la mettre en oeuvre au sein de l'Union européenne (UE), à la faveur de la renégociation des directives Epargne et de la directive Anti-blanchiment n°IV. Il s'agit de s'assurer que des conventions automatiques d'échanges d'informations harmonisées sont établies entre l'ensemble des Etats membres, et que l'UE puisse signer avec des pays tiers des conventions de type FATCA. Il s'agit par ailleurs d'obtenir une liste des Etats et territoires non coopératifs (liste ETNC). La manifestation d'une volonté au niveau de l'UE sera toujours plus forte qu'une initiative nationale. D'autres sujets doivent faire l'objet de travaux, comme l'élaboration des registres des trusts. Nous ne sommes pas allés aussi loin que nous l'aurions souhaité sur ce sujet considérable.

Je voudrais enfin m'exprimer sur la régularisation des fraudeurs. Je lis en la matière des choses très contrastées, comme si nous voulions entretenir la confusion ou la polémique sur ces sujets. Le gouvernement sait très clairement ce qu'il veut faire. Nous n'allons pas tomber dans le travers qui consisterait à indiquer aux fraudeurs qu'au motif qu'un durcissement de l'arsenal répressif et pénal est opéré, nous allons attendre de les confondre pour récupérer les sommes dues. Une approche exclusivement pénale serait absurde, alors que le durcissement peut inciter les fraudeurs à régulariser leur situation de leur propre initiative. Il nous importe ici qu'ils paient leurs impôts et que ce qu'ils doivent au pays puisse être acquitté dans un contexte de redressement des comptes. Ce processus requiert des conditions de droit commun et de transparence, ainsi que la possibilité pour le Parlement de connaître les conditions de régularisation.

Par droit commun, j'entends que les contribuables souhaitant se régulariser doivent pouvoir le faire auprès des services de l'administration fiscale sans qu'une structure particulière ne soit créée pour les accueillir. Les structures adéquates existent déjà, et elles fonctionnent. Je pense notamment à la Direction nationale de vérification des situations fiscales. Le droit commun signifie aussi que les textes votés par le Parlement, et qui définissent le niveau des peines, doivent pouvoir être appliqués à ces contribuables qui viennent se conformer au droit. Je tiens à rappeler que ceux des contribuables qui ne se régularisent pas mais sont confondus au terme des enquêtes se voient appliquer un niveau de pénalités de 80 %. Il est normal que ceux qui se présentent à l'administration fiscale d'eux-mêmes se voient appliquer des pénalités, elles aussi définies par le législateur, moins importantes. Ces pénalités ne peuvent pas être laissées dans le flou, ce qui donnerait le sentiment que des transactions opaques sont opérées. Les règles doivent exister, reprendre ce que le Parlement a voté, et s'appliquer à tous les contribuables dans les mêmes conditions. Le principe d'égalité devant l'impôt doit être respecté. C'est pourquoi j'ai indiqué que le droit commun signifie non seulement le passage devant les structures compétentes, mais aussi l'application des barèmes votés par Parlement, précisés dans leur application par une circulaire que je prendrai, et dont le Parlement aura à connaître annuellement. Je rendrai compte en effet chaque année des conditions dans lesquelles ces procédures ont été appliquées : combien de dossiers, de personnes, de fonds récoltés, quelles conditions de traitement des dossiers. Tout sera fait en toute transparence. Aucune remise sur le montant des impôts ne sera opérée. Enfin l'anonymat ne sera pas de mise. Ceux qui viendront devant l'administration viendront eux-mêmes, sans le truchement d'un conseil.

Je me tiens maintenant à votre entière disposition pour répondre à vos questions.

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