Intervention de Jean-Marc Sauvé

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 3 juillet 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Marc Sauvé vice-président du conseil d'état président de la commission pour la transparence financière de la vie politique

Jean-Marc Sauvé :

Nous avons tous de multiples intérêts. Mais tous les intérêts ne sont pas générateurs de conflits. Ces intérêts peuvent être patrimoniaux, professionnels, personnels, ou même découler d'activités d'intérêt général. En tant que président ès-qualités du conseil d'administration de l'Ecole nationale d'administration (ENA), je serais en situation de conflit d'intérêts si, comme président de la juridiction administrative suprême, je me prononçais sur des contentieux relatifs à des admissions à concourir ou des redoublements décidés par l'ENA. Rappelez-vous qu'en 1953, le secrétaire d'Etat à la fonction publique avait interdit à certains jeunes gens soupçonnés d'appartenir au parti communiste de se présenter au concours de l'ENA, ce qui a donné lieu à l'arrêt Barel du 28 mai 1954. Si la question se posait aujourd'hui, je ne pourrais pas siéger.

Les intérêts de nature personnelle et affective permettent d'approcher des limites des intérêts générateurs de conflits. Il ne doit pas être obligatoire, dans les déclarations d'intérêts, de nommer ses proches, ni ses rapports de proximité. Mais leurs activités peuvent rentrer en conflit avec l'exercice de certaines fonctions publiques. Sans qu'il soit besoin de les nommer, il convient donc de tirer les conséquences de ces intérêts, dès lors qu'ils sont significatifs, sur l'exercice des fonctions publiques. Mon épouse est employée par le rectorat de Paris, et mes enfants respectivement par un cabinet de conseil, une réserve naturelle et un laboratoire pharmaceutique : j'ai en conséquence, dans ma déclaration d'intérêts, dressé la liste des sujets sur lesquels, dans mes fonctions, je m'abstiendrais de siéger ou de me prononcer. Les anciennes activités professionnelles peuvent aussi constituer une autre catégorie potentiellement génératrice de conflits, au moins pendant une certaine durée (trois, voire cinq ans).

En revanche, je considère que les opinions politiques, philosophiques, religieuses, syndicales des agents publics et les activités qui s'y rattachent ne peuvent en aucun cas constituer des intérêts qu'il faudrait déclarer et qui pourraient être générateurs de conflits, sauf pour les mandats et fonctions publiquement exercés dans ces domaines. La France a une tradition de liberté d'opinion et d'expression. Lorsque l'Italie et le Royaume-Uni ont obligé leurs juges et leurs agents publics à déclarer leur appartenance à la franc-maçonnerie, la Cour européenne des droits de l'homme a constaté un manquement à la liberté d'opinion et d'expression. En revanche, des mandats et fonctions dans l'ordre religieux, politique, philosophique ou syndical, qui sont publiquement exercés, méritent d'être déclarés. Je rappelle que les déclarations d'intérêt devront être remises par l'agent public à son supérieur hiérarchique : déclarer la simple appartenance à un parti ou à une religion risquerait par conséquent de nous ramener à une période encore plus ancienne que celle de l'affaire des fiches ! Les opinions doivent donc être mises à part. Nous sommes un pays de liberté et nous entendons le rester.

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