Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 février 2020 à 14h00
Suivi des résolutions européennes : examen du rapport

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Après la présentation du rapport sur le suivi des positions européennes du Sénat à laquelle je vais procéder, je souhaite que nous ayons un échange sur le Brexit, qui doit faire l'objet d'un débat en séance publique. En effet, le nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni prendra sans doute la forme d'un traité mixte, mais les parlements nationaux n'auront guère leur mot à dire, ce qui risque de susciter le même type de réactions que pour le CETA. Commençons toutefois par le rapport d'information sur le suivi des positions européennes du Sénat - résolutions européennes, avis motivés et avis politiques -, que je vous présente pour la cinquième année consécutive. Ce rapport traduit, dans le domaine des affaires européennes, l'attachement de notre Assemblée au contrôle des suites données à ses travaux, dans le cadre plus général de l'application des lois. Ainsi, je participe de façon régulière désormais au débat sur le bilan annuel de l'application des lois. Le rapport présente un bilan de la prise en compte et de la mise en oeuvre des différentes positions européennes adoptées par le Sénat entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019.

Comme l'année dernière, je voudrais souligner la très grande qualité des informations contenues dans les fiches de suivi - il y en a eu 14 cette année - que nous adresse le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) sur les résultats des négociations. Il est vrai qu'il nous a fallu plusieurs années pour le convaincre, avant qu'il ne soit clair pour tout le monde que cet échange devait s'effectuer dans un esprit partenarial. Comme l'année dernière également, je souhaiterais que le SGAE, à l'avenir, nous transmette ses fiches de suivi de façon plus régulière, et non plus seulement sur demande, quelques semaines avant l'examen du rapport, afin que la procédure devienne véritablement banalisée et que notre dialogue avec le Gouvernement soit fluide et permanent.

Je vous rappelle également l'audition particulièrement riche et utile d'Amélie de Montchalin devant notre commission, le 23 janvier dernier, qui comportait un débat interactif auquel plusieurs collègues ont participé. Cette audition a constitué pour notre commission l'occasion d'une discussion centrée sur les enjeux politiques des actions européennes traditionnelles, la politique agricole commune (PAC) en particulier, mais aussi sur des sujets d'avenir tels que la politique spatiale de l'Union européenne. Cet exercice constitue désormais un moment important du contrôle parlementaire de l'action gouvernementale en matière européenne. La PAC, d'ailleurs, est l'un des sujets sur lesquels nos résolutions ont été laissées sans réponse...

Entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019, le Sénat a adopté quinze résolutions européennes, contre dix-huit l'année précédente. Notre commission a été saisie de 850 textes en 2019, contre 1 000 l'année précédente. Sur ces quinze résolutions, douze sont issues d'une proposition de résolution de notre commission, deux d'une initiative d'un ou plusieurs de nos collègues et une du groupe de travail commun à notre commission et à celle des affaires économiques sur la PAC. Neuf résolutions ont donné lieu à un rapport d'information de notre commission, et cinq à un rapport d'une commission permanente. Quatorze ont également fait l'objet d'un avis politique adressé à la Commission et deux ont même été l'occasion d'un débat en séance publique : l'appui de l'Union européenne à la mise en place d'un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak et la réforme de la PAC. Quant aux avis motivés sur le respect du principe de subsidiarité, le Sénat en a adopté 30 depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Je note que nous n'en avons pas adopté au cours de la période couverte par le rapport, ce qui tient surtout à la moindre activité législative consécutive aux échéances électorales de 2019.

Pour ce qui concerne les avis politiques, notre commission en a adressé dix-neuf à la Commission européenne entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019, contre treize l'année dernière. Le respect du délai de trois mois auquel la Commission s'est engagée à répondre s'est amélioré par rapport à l'année dernière, ce qui est appréciable, même si cette amélioration est insuffisante. Chacun de nos avis politiques a reçu une réponse, mais cette réponse n'est parvenue dans les trois mois que dans 47,4 % des cas, contre 38,5 % l'année précédente. Nous devrons être attentifs aux pratiques de la nouvelle Commission en la matière. La qualité des réponses est globalement satisfaisante, même si l'exercice reste parfois sans doute trop formel. Nous ne devons pas hésiter à poursuivre le dialogue politique si nous considérons que les réponses obtenues sont incomplètes ou excessivement générales, comme ce fut le cas l'année dernière sur la PAC. Cette « piqûre de rappel » avait d'ailleurs été utile, la qualité de la seconde réponse étant apparue bien supérieure à celle de la première.

Enfin, selon des chiffres de la Commission européenne elle-même, avec 24 avis transmis en 2018, le Sénat français figure parmi les dix assemblées parlementaires les plus actives de l'Union européenne, qui en compte 41. Au cours de la même année, les commissaires européens avaient participé à 140 visites et réunions avec les parlements nationaux, dont 24 en France - quinze à l'Assemblée nationale et neuf au Sénat - soit le chiffre le plus élevé devant la Pologne (12 visites).

Le sort réservé aux positions européennes du Sénat est, comme l'année dernière, très favorable. Sur l'année parlementaire écoulée, dans 87 % des cas, les positions exprimées par le Sénat dans ses résolutions européennes ont été prises en compte au cours des négociations et influent donc directement sur le contenu des directives et règlements finalement adoptés.

De façon schématique, il est possible de classer les résolutions européennes du Sénat en trois catégories.

Dans près de la moitié des cas, nos résolutions ont été prises totalement ou très largement en compte. Ainsi, les positions portées par les autorités françaises sur la responsabilisation partielle des hébergeurs de contenus numériques sont très proches des nôtres, en particulier la mise en place d'une régulation ciblée sur les plateformes structurantes, qui doit permettre de définir des obligations ex ante renforcées pour ces acteurs, parfois plus adéquates que la seule sanction ex post de pratiques anticoncurrentielles. Le Gouvernement partage aussi notre souhait de promouvoir la concurrence et l'innovation en stimulant le développement d'acteurs émergents et compétitifs, et de concevoir une réglementation proportionnée et souple afin de ne pas entraver l'innovation. C'est une divergence importante avec le monde anglo-saxon, moins régulé, plus inventif, mais moins respectueux des droits de la personne.

Les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur l'espace Schengen ont également prospéré, notamment avec l'adoption de l'interopérabilité des systèmes d'information européens, qui facilitera l'harmonisation des contrôles aux frontières et les contrôles d'identité et contribuera à la prévention et à la détection de certaines infractions graves comme le terrorisme.

Autre exemple, la révision du code communautaire des visas, qui facilite, simplifie et sécurise les procédures de demandes de visa et érige la politique de visas en un outil d'amélioration de la coopération en matière de réadmission.

Citons enfin le renforcement du mandat de Frontex, avec d'importants recrutements qui préfigurent une véritable police des frontières européennes, ou encore l'annonce par la Commission pour mars 2020 d'un nouveau Pacte sur l'immigration et l'asile, qui devra respecter les principes de responsabilité - réforme de Dublin, politique de retour efficace grâce à des accords de réadmission - et de solidarité - soutien à la réinstallation et réponse en cas de crise aiguë s'exerçant sur un État membre. Adossée aux États membres, Frontex met en oeuvre une véritable politique européenne au service des États qui ne sont pas en mesure de sécuriser leur frontière, dans le respect de leurs compétences régaliennes.

Le nouveau programme d'investissement pour l'Europe, InvestEU, doit prendre le relais du plan Juncker, dont la France a été le premier bénéficiaire en volume en Europe. À ce sujet, le Sénat a obtenu satisfaction sur la diversification des objectifs sectoriels et l'accent porté sur l'innovation et les PME. Dans le cadre du plan Junker, nous avions notamment abaissé le seuil de déclenchement qui était initialement de 50 millions d'euros.

Le sujet des corridors de transport dans l'Union européenne dans le contexte du Brexit est au coeur de l'actualité. Les négociations ont permis de mettre en oeuvre plusieurs préconisations du Sénat telles que l'intégration des ports français de la Manche au tracé du corridor mer du Nord - Méditerranée, la possibilité de faire financer des aménagements liés au rétablissement des contrôles aux frontières de l'Union, l'ajustement du tracé des corridors en fonction des évolutions éventuelles dans la classification des ports ou encore le renforcement des autoroutes de la mer dans le futur règlement sur le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe pour la période 2021-2027, avec un accent mis sur les liaisons transfrontalières. Dans un premier temps, notre commission avait constaté avec stupéfaction que les ports français avaient été occultés par la Commission européenne du corridor mer du Nord - Méditerranée au profit des ports belges et néerlandais ! Nous avons corrigé le tir.

Sur le sujet des investissements dans l'intelligence artificielle en Europe, nous avons été suivis sur la nécessité de faire émerger un ou plusieurs leaders européens de l'intelligence artificielle, la mutualisation des données entre acteurs publics et privés pour faire face à la rareté des ressources pour les acteurs européens, la formation et la rétention de talents en matière d'intelligence artificielle comme enjeux clefs de notre indépendance technologique, ou la prise en compte de principes éthiques dans la conception et l'usage de l'intelligence artificielle. Les PIIEC (projets importants d'intérêt européen commun), objets d'une proposition de résolution de notre commission, peuvent faire l'objet d'aides d'État ; c'est particulièrement légitime car nos concurrents américains et chinois ne se privent pas de cet instrument. Le projet de batteries européennes a ainsi été financé par cet outil.

Dans le secteur du transport routier international de marchandises, les négociations ont permis une avancée importante pour une concurrence plus équitable et une meilleure protection des chauffeurs routiers. Ceux-ci auront désormais droit de retourner chez eux toutes les trois ou quatre semaines et pourront se prévaloir de l'interdiction expresse du repos hebdomadaire en cabine. En outre, les règles de détachement s'appliqueront dès le premier jour d'une opération internationale. Dans le secteur aérien, la priorité est donnée à la lutte contre les conditions de travail précaires et à la défense des droits des salariés grâce à l'introduction dans la législation européenne de la notion de base d'exploitation, de façon à éviter les fraudes au détachement fictif, au travail dissimulé et aux obligations fiscales et sociales des employeurs. Lentement, nous arrivons à rétablir un cadre.

Dans le domaine de la politique spatiale de l'Union européenne, citons le soutien au lancement de nouveaux programmes en matière de surveillance de l'espace et de communications sécurisées, la révision de la gouvernance, la préférence européenne pour le secteur spatial et le soutien à Kourou comme port spatial européen, ainsi que l'opposition aux propositions de coupes budgétaires dans le programme spatial. MM. Gattolin et Rapin nous informent régulièrement sur le sujet.

Deuxième cas de figure, qui concerne 40 % de nos résolutions : les positions du Sénat partiellement suivies.

Ainsi, sur l'extraterritorialité des sanctions américaines, les autorités françaises ont défendu les mesures financières de blocage ou de neutralisation des sanctions extraterritoriales proposées dans la résolution, mais plusieurs de nos recommandations n'ont pas été prises en compte, en particulier sur le renforcement du rôle international de l'euro. La partie sera difficile. Nous continuons à payer notre facture énergétique en dollars.

L'inclusion des moteurs de recherche dans le champ d'application du règlement promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne est une avancée, mais le texte reste en deçà des préconisations du Sénat car il est peu contraignant pour les plateformes qui lui opposent le secret des affaires, et ne permet pas un rééquilibrage effectif de leurs relations avec les entreprises. De plus, la protection des données des consommateurs est un sujet insuffisamment traité. Peut-être conviendrait-il d'entendre à nouveau la CNIL sur le sujet, après la mise en oeuvre du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Dans le cadre de la réforme de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, nos positions sur la gestion des conflits d'intérêts - création d'un comité de déontologie composé d'experts et de représentants de la société civile et harmonisation entre les agences des règles relatives aux conflits d'intérêt - n'ont pas prospéré, même si le Gouvernement les a défendues lors des négociations.

En dépit de certaines avancées, plusieurs de nos préconisations sur le futur programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » n'ont pas été retenues, comme le caractère non limitatif de la liste des missions du programme, l'ajout d'un pôle dédié à l'espace ou encore le maintien d'un programme spécifique à l'éducation à la science.

La prise en compte de notre résolution pour la mise en place d'un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak est rendue difficile dans le contexte très dégradé que connaît ce pays : tensions politiques intérieures marquées par de vastes manifestations fortement réprimées, et tensions régionales accentuées par les relations entre les États-Unis et l'Iran depuis l'attaque qui a coûté la vie au général Soleimani.

Nous n'avons obtenu aucune information utiles sur le renforcement de la coopération judiciaire à l'échelon européen, ni sur une éventuelle extension du champ de compétences du Parquet européen aux infractions terroristes transfrontières.

Enfin, dans deux cas seulement, notre résolution européenne n'a pas, jusqu'à présent, reçu de suite effective : le taux réduit de TVA pour la filière équine et la réforme de la PAC. Dans les négociations avec le Royaume-Uni, concernant le transport et le transit de chevaux de compétition, la DG Trade et la DG Santé de la Commission européenne se refusent à tout compromis sur les règlements sanitaires. Cette position est justifiée sur le fond, mais rien n'empêchera le Royaume-Uni d'importer des chevaux d'autres régions du monde. D'après la Commission, les pays du Golfe, très demandeurs de chevaux de race, rejettent tout assouplissement des critères sanitaires européens, les plus exigeants du monde. Je pense qu'à l'avenir, l'Irlande et la France se spécialiseront dans l'élevage et la reproduction.

L'échec sur le taux réduit de TVA pour la filière équine est dû à l'opposition du Gouvernement, alors que Bruxelles y est favorable. Les clubs équestres souffrent beaucoup et certains vont disparaître.

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