Intervention de Philippe Dallier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 octobre 2015 à 9h00
Loi de finances pour 2016 — Mission «pouvoirs publics » - examen du rapport spécial

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier :

Nous consacrons en effet chaque année plus de 40 milliards d'euros à la politique publique du logement mais les résultats ne sont pas à la hauteur de l'attente des Français.

Tout d'abord, le pilotage de la politique du logement est défaillant. Il repose depuis près de dix ans, quelle que soit la majorité au pouvoir, sur un objectif national de construction de 500 000 logements par an. C'était un engagement de campagne de l'actuel Président de la République mais aussi celui de son prédécesseur.

Cet objectif volontariste peut, en première analyse, sembler en adéquation avec l'état du marché du logement. L'ampleur du mal logement serait liée, comme le rappelle la Fondation Abbé Pierre, à un déficit d'offre compris entre 800 000 et 1 million de logements. Cette pénurie contribuerait également à expliquer l'évolution des prix de l'immobilier, en apparence déconnectée des « variables réelles » puisqu'ils ont augmenté de 87 % entre 1998 et 2013 par rapport au revenu des ménages.

Toutefois, la majorité des économistes que nous avons rencontrés dans le cadre du groupe de travail considèrent que cet objectif, qui trouve son origine dans une étude économique publiée en 2007, repose sur des données désormais datées. À titre d'exemple, l'étude prend pour hypothèse un solde migratoire positif de 150 000 personnes par an, alors que les prévisions de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le situent désormais autour de 50 000 - même si les évènements actuels pourraient conduire à un chiffre plus prudent, il reste une marge élevée. D'après les évaluations concordantes du Commissariat général à l'environnement et au développement durable, des corps d'inspection et des économistes rencontrés lors des auditions, les besoins de construction seraient désormais compris entre 330 000 et 370 000 logements par an.

Plus fondamentalement, le groupe de travail considère que c'est l'idée même qu'il est possible de fixer un objectif unique au niveau national qui doit certainement être remise en cause. En effet, on observe des disparités importantes au sein des territoires en matière de prix, de volume et d'occupation, qui témoignent de la coexistence de zones tendues où les besoins de construction sont élevés et de zones détendues, voire en situation de suroffre.

De ce fait, observer des tendances au niveau national est souvent trompeur. Par exemple - et ce chiffre en étonnera probablement certains -, la surface moyenne par personne a augmenté en France de cinq mètres carrés de 1996 à 2006, pour atteindre 40 mètres carrés, ce qui masque évidemment des situations très contrastées selon les territoires.

La nécessité de raisonner au niveau local est d'autant plus criante que les zones où l'on a le plus construit au cours de la période récente sont loin d'être les plus tendues. Là aussi, les chiffres sont intéressants : 2,6 logements neufs pour 1 000 habitants ont ainsi été construits chaque année entre 1998 et 2009 en Île-de-France, 4,3 en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) contre 5,7 en Poitou-Charentes et 6,9 en Bretagne. Certes, les personnes qui cherchent le soleil ou l'air iodé de la façade atlantique ont besoin de se loger mais les disparités sont quand même étonnantes.

Au-delà des objectifs, la politique du logement souffre également du manque de fiabilité de son appareil statistique. En février 2015, aussi incroyable que cela puisse paraître, près de 290 000 logements sur dix ans ont ainsi été « retrouvés » par le ministère à la suite de la mise en place de nouveaux indicateurs de mesure de la production de logements. Autre exemple : alors que les résultats de l'enquête nationale sur le logement de l'Insee sont généralement publiés tous les quatre ans, les derniers chiffres disponibles remontent à 2006. Il s'agit pourtant de la source statistique la plus fiable et la plus complète à notre disposition.

Aussi, le groupe de travail réaffirme la nécessité de renforcer l'appareil statistique du ministère et de s'appuyer au niveau local sur les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et le réseau des observatoires de loyers pour définir les besoins en matière de logement au plus près du terrain.

Ensuite, les outils offerts par la politique du logement doivent être adaptés à la réalité du parc.

Ainsi, il est nécessaire de mobiliser le parc ancien privé. La mise en avant d'un objectif national de construction particulièrement volontariste a conduit à focaliser l'attention sur le neuf, au détriment de l'ancien.

Au titre de l'année 2016, pas moins de dix dispositifs d'incitation fiscale à l'investissement locatif auront encore une incidence budgétaire estimée à 1,8 milliard d'euros. Parmi ces dix dispositifs, deux seulement concernent l'ancien, pour un coût de 56 millions d'euros, soit 3 % de la dépense totale.

Or, en dix ans, le nombre de logements vacants a augmenté de 30 % et atteint désormais 2,6 millions, soit l'équivalent de huit années de construction.

Si les différences de périmètre rendent les comparaisons internationales délicates, les données disponibles suggèrent clairement l'existence d'une singularité française en la matière.

En effet, 1,72 million de logements étaient vacants, en 2011, en Allemagne, soit 4,4 % du total du parc, et 610 000 au Royaume Uni, représentant 2,6 % en 2014, alors qu'en France le taux de vacance s'élevait en 2013 à 7,5 %. Nous avons quand même une spécificité française !

Il est également paradoxal que le taux de logements vacants soit proche, voire au-dessus de la moyenne nationale dans les zones tendues : le taux est ainsi de 7,3 % à Paris et de 8,9 % à Lyon, contre 7,5 % en France.

Ce phénomène suggère ainsi l'existence d'une inadéquation entre l'offre et la demande en termes de prix mais aussi de qualité, particulièrement dommageable puisque, parallèlement, le manque de logements est régulièrement dénoncé.

Pour remédier à ces difficultés, le « Borloo ancien » vise à apporter un soutien public à la mise en location et à la rénovation de logements existants à des loyers inférieurs aux prix du marché via des abattements sur les revenus locatifs.

Toutefois, ce dispositif n'est pas à la hauteur des enjeux. Le volume annuel de conventionnement intermédiaire, pour lequel les plafonds de loyers sont désormais semblables à ceux du dispositif « Pinel », a ainsi chuté de 5 700 en 2009 à 3 363 en 2013, pour un coût annuel de 23 millions d'euros.

Trois facteurs expliquent l'impasse actuelle. Tout d'abord, le dispositif est complexe et demeure méconnu. Surtout, l'aide publique n'est pas toujours suffisante pour couvrir la baisse de loyer consentie par rapport au prix du marché, notamment dans les zones tendues. Si l'on peut demander aux propriétaires de faire des efforts en remettant leur bien en location à des prix plus bas que ceux du marché, on ne peut en même temps lui demander d'être perdant financièrement malgré les aides de l'État ! Enfin, les modalités de sortie des conventions sont trop défavorables aux propriétaires qui, par exemple, ne peuvent retrouver le niveau de loyer libre que six ans après la fin de la convention si le locataire souhaite rester dans les lieux.

Compte tenu de ces difficultés, plusieurs acteurs ont suggéré, dans le cadre des auditions, la mise en place d'un statut fiscal du bailleur privé afin de compléter le plan de relance sur le logement.

À ce stade, le groupe de travail plaide d'abord pour assouplir et renforcer l'attractivité du dispositif « Borloo ancien » - par exemple en relevant les taux des différents abattements.

Il faut également adapter les outils à la réalité des marchés locaux, la situation étant très disparate.

En la matière, certains dispositifs ont même connu une régression : le dispositif « Pinel » comporte ainsi un plafond de prix de revient unique de 5 500 euros par mètre carré, alors que le dispositif « Scellier » prévoyait un plafond variable compris entre 2 000 et 5 000 euros selon les zones.

Aussi, le groupe de travail suggère de s'appuyer davantage sur les préfets de région pour adapter les dispositifs à la réalité des marchés locaux. À titre d'illustration, les dispositifs « Borloo ancien » et « Pinel » comportent déjà la possibilité pour le représentant de l'État de réduire les plafonds de loyer applicables.

Par ailleurs, les dispositifs mis en oeuvre doivent être parfaitement ciblés sur les besoins, notamment en termes de localisation géographique et de populations visées pour être locataires. Le groupe de travail suggère ainsi de mettre en place un zonage « plus fin » pour les dispositifs tels que le « Pinel ».

Si les outils existants doivent pouvoir être adaptés à la diversité des territoires, il est également souhaitable de mettre en place des dispositifs plus spécifiques dans les zones tendues.

À titre d'exemple, le groupe de travail estime que la fiscalité du logement pourrait être plus incitative pour les maires « bâtisseurs ».

Lorsqu'un terrain devient constructible du fait d'une décision de classement d'une collectivité territoriale, sa valeur augmente soudainement, ce qui peut être assimilé à une forme « d'enrichissement sans cause » du propriétaire. Or, le développement de l'offre de logements se traduit par des coûts supplémentaires pour les collectivités territoriales.

Aussi, il peut sembler opportun de permettre aux collectivités territoriales de capter une partie de la plus-value, afin de les inciter à développer la construction et de limiter le phénomène « d'enrichissement sans cause ».

À cette fin, il existe déjà une taxe optionnelle, introduite en 2006 à l'initiative du Sénat, sur la cession à titre onéreux de terrains nus devenus constructibles. D'un montant égal à 10 % de la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition actualisé, elle ne concerne cependant que les terrains dont le prix de cession est supérieur au triple du prix d'acquisition. Toutefois, seulement 6 441 communes et 5 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont institué cette taxe.

Par conséquent, le groupe de travail suggère de rendre le mécanisme plus incitatif. Plusieurs options ont été étudiées : octroyer aux collectivités territoriales la possibilité de moduler le taux actuellement fixé à 10 %, dans des limites qui seraient prévues par la loi, ou encore élargir l'assiette, par exemple en retenant les prix de cession supérieurs au double du prix d'acquisition - ce qui n'est déjà pas rien.

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