Je vous remercie de votre accueil et connais l'ardeur au travail de votre commission, qui a, sur ce texte, largement entamé ses travaux. Je vous remercie d'avoir rappelé la méthode que j'ai choisie en rassemblant une conférence de consensus, pour rechercher des positions communes entre des personnes dont les parcours, les engagements, les appartenances partisanes diffèrent. Cette conférence s'est déroulée en deux étapes : un comité d'organisation a d'abord dressé un état des savoirs en matière de prévention de la récidive, puis des auditions publiques se sont déroulées sur deux jours, rassemblant 2 300 personnes. Douze préconisations ont été votées à l'unanimité, sur lesquelles j'ai organisé trois cycles de consultations, avant de passer à la phase interministérielle qui a précédé les arbitrages.
L'Assemblée nationale a apporté, à l'initiative de son rapporteur, quelques modifications à ce texte, sans remettre en cause ses principes directeurs. Quels sont-ils ? Les études, les expérimentations conduites en France et ailleurs, notamment au Canada, depuis plusieurs années, montrent que les peines les plus individualisées sont les plus efficaces. Ces peines tiennent compte de la gravité des faits, de leur retentissement sur la victime, ainsi que de la personnalité et du parcours de l'auteur des faits. Les magistrats doivent disposer de la totalité de leur pouvoir d'appréciation et disposer de tous les éléments qui leur permettront de prendre la décision la plus juste. La peine doit être individualisée à toutes les étapes, depuis le prononcé jusqu'à l'exécution.
Ce texte renforce, dans le même temps, les droits des victimes et des associations qui les accompagnent, et rassemble des dispositions éparses dans le code pénal. La loi pénitentiaire l'a montré : il est essentiel d'assurer la meilleure coordination possible entre les services de l'État, les collectivités territoriales et les associations.
Ces principes trouvent leur expression dans deux articles principaux. L'article premier prolonge ce que contenait partiellement la loi pénitentiaire en précisant ce que sont les finalités et les fonctions de la peine : sanctionner l'auteur des faits, protéger la société, réparer le préjudice subi par la victime et travailler à la réinsertion de l'auteur des faits. L'article 11, structurant, rappelle les principes sur lesquels repose l'exécution de la peine. Rassemblant des dispositions éparses dans le code de procédure pénale, il renforce les droits des victimes et leur assure tranquillité et sûreté y compris dans la période d'exécution de la peine. L'insertion, la réinsertion, et au-delà même, la désistance - soit l'effort pour sortir de la délinquance - font pleinement partie des fonctions de la peine : c'est ce que ce texte entend rappeler.
Nous introduisons des mécanismes contribuant à l'efficacité de la sanction. Nous généralisons, ainsi, les bureaux d'exécution des peines, pour éviter les latences entre le prononcé et le suivi de l'exécution.
Sachant que le magistrat a besoin, pour prononcer une peine individualisée, de disposer de toutes les informations pertinentes, nous introduisons une césure dans le procès pénal. La juridiction se prononcera, dans un premier temps, sur la culpabilité et les mesures de réparation à l'égard de la victime, et disposera ensuite de temps pour rassembler les éléments relatifs à la personnalité de l'auteur avant le prononcé de la peine.
Les études conduites en Europe et ailleurs montrent que lorsque la peine est exécutée en milieu ouvert, la récidive est beaucoup moins fréquente. Telle est la logique qui préside à la création de la contrainte pénale, applicable aux délits dont la peine maximale encourue est de cinq ans. Connaissant la sévérité de notre code pénal, et l'accumulation possible des circonstances aggravantes, il faudra sans doute y revenir, avec quelques exemples, pour savoir exactement ce que cela représente. Parmi les dispositions complémentaires introduites par l'Assemblée nationale, figure une extension différée de la contrainte pénale à l'ensemble des délits. Ce sera sans doute un point de discussion lors de vos débats.
Nous avons sécurisé ce dispositif de contrainte pénale, en autorisant la présence de l'auteur des faits ou de son avocat lors de la définition des obligations et en veillant que ce soit bien la juridiction qui décide de la durée d'emprisonnement encourue en cas de non-respect de ces obligations. Je sais que votre rapporteur a prévu d'autres dispositions, sur lesquelles je me permettrai d'émettre quelques réserves.
Plusieurs questions sont donc en débat : champ de la contrainte pénale, échelle des peines, mais aussi architecture des peines et exécution, sujet sur lequel j'ai mis en place une commission, présidée par Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, et actuellement président de chambre à la Cour pénale internationale.
Nous avons également prévu des garanties à l'étape de l'exécution : l'article 15 permet aux forces de sécurité, police et gendarmerie, de contrôler le respect des obligations et interdiction imposées à l'auteur des faits - retenues, visites domiciliaires, inscription des obligations et interdictions au fichier des personnes recherchées.
Je sais que certaines des dispositions introduites par l'Assemblée nationale font ici débat. J'indique d'emblée que celles relatives à la géolocalisation et à l'écoute des personnes sortant de prison nous paraissent disproportionnées : elles doivent rester réservées à la grande délinquance. Mêmes réserves sur les dispositions de l'article 15 ter, qui transmet aux forces de police des compétences qui doivent rester des prérogatives de l'action publique. Connaissant tout l'attachement du Sénat aux garanties de droit, je ne doute pas que ces dispositions soulèvent les mêmes réserves que les nôtres.
Nous voulons couvrir tout le champ pénal, et avons donc mis en place un mécanisme de libération sous contrainte, rendez-vous judiciaire qui se prépare en amont et permet, aux deux tiers d'exécution de la peine, à la commission d'application des peines de prononcer, au vu du projet du condamné, une mesure de libération sous contrainte ou de décider du maintien en détention. C'est un mécanisme qui vise à lutter contre les sorties sèches, dont il est prouvé qu'elles favorisent la récidive.
Tel est l'essentiel des dispositions de ce texte. Outre la méthode qui a été la nôtre en amont, nous avons également d'ores et déjà pris des dispositions pour que cette nouvelle peine qu'est la contrainte pénale s'accompagne d'une prise en charge adaptée. C'est ainsi que nous avons prévu de renforcer le corps des conseillers d'insertion et de probation en recrutant 1 000 fonctionnaires sur trois ans. Nous avons également entrepris de mieux coordonner les interventions des services de l'État, des collectivités territoriales et des associations, et renforcé le rôle de ces dernières en augmentant, dès mon entrée en fonctions, le budget de l'aide aux victimes de 25,8 %, et en ouvrant un bureau d'aide aux victimes dans tous les tribunaux de grande instance - une centaine ont été ouverts en 2013, et consolidés. Le texte voté à l'Assemblée nationale inscrit dans la loi l'existence de ces bureaux. Afin de disposer d'éléments statistiques fiables, nous avons conduit une réforme de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui est en passe d'aboutir ; et nous créons, sur le fondement de l'article 7 de la loi pénitentiaire, l'Observatoire de la récidive et de la désistance. L'ONDRP mènera un travail transversal - alimenté et par le ministère de la Justice, qui dispose depuis 1973 d'un système statistique, et par le ministère de l'Intérieur, qui vient de créer le sien en janvier 2014 - et procèdera à l'évaluation, prévue à deux ans, de ce texte.
Ce projet de loi est charpenté par des principes clairs et des mécanismes qui ont fait leur preuve dans d'autres pays. Il fera l'objet d'une évaluation transparente et sera accompagné de moyens. Notre ambition est non seulement de lutter contre la récidive, mais de la prévenir et c'est pourquoi il importait de se pencher sur les facteurs qui la favorisent.