Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 18 février 2020 à 14h30
Politique familiale — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa création, la politique familiale française vise trois grands objectifs : maintenir le niveau de vie des familles, malgré les coûts engendrés par la naissance et l’éducation des enfants ; contribuer au renouvellement des générations par une politique de soutien à la natalité ; favoriser l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle.

Or, depuis 2012, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de remettre en cause les fondements de notre politique familiale. Les mesures prises au cours du dernier quinquennat ont été justifiées par la volonté de faire des prestations familiales un outil de lutte contre la pauvreté. En résumé, les familles « riches » doivent payer pour les familles « pauvres ».

À l’origine universelle, c’est-à-dire orientée vers l’ensemble des familles, cette politique se transforme en instrument conduisant à aider principalement, voire uniquement, les familles « vulnérables ». Et comme toujours, ce sont les classes moyennes qui trinquent !

C’est ainsi qu’a été décidé l’abaissement du plafond du quotient familial de 2 000 à 1 500 euros ou la modulation des allocations familiales en fonction du niveau de revenus du foyer.

Si la lutte contre la pauvreté des familles, et donc des enfants, est un objectif qui ne fait pas débat, ce changement d’approche fait perdre à la politique familiale sa vocation première, qui est de compenser la charge liée à l’éducation des enfants.

Interrogeons-nous sur l’acceptabilité sociale d’une politique familiale qui exclurait ses principaux contributeurs et qui traiterait de la même manière, à niveau de revenu identique, un ménage sans enfant et une famille.

Cette remise en cause du principe d’universalité est inquiétante en ce qu’une même logique pourrait être étendue demain à d’autres branches de la sécurité sociale, voire pour conditionner l’accès aux services publics.

Modulera-t-on demain les remboursements de frais médicaux en fonction de la capacité qu’ont les assurés à y faire face ? Remettra-t-on aussi en cause la gratuité de l’école publique, sous prétexte que certaines familles ont les moyens de recourir à l’enseignement privé ?

Les conséquences de ces choix politiques hasardeux voulus par François Hollande n’ont pas tardé à se faire sentir. Faute d’avoir réussi à inverser la courbe du chômage, il aura au moins réussi à en inverser une autre, celle de la natalité !

Si la France reste dans le peloton de tête européen avec un indice de fécondité de 1, 87 enfant par femme en 2019, cet indice baisse pour la cinquième année consécutive. Les effets des mesures prises depuis 2012 ont commencé à se faire sentir dès 2016.

Le groupe Les Républicains s’est toujours opposé aux réformes intervenues au cours du quinquennat de François Hollande et à la poursuite de celles-ci par Emmanuel Macron.

Nous proposons au contraire de remettre la politique familiale au cœur de notre pacte républicain. Il est indispensable de traiter la famille comme un moteur de notre société jouant, au même titre que l’entreprise, un rôle essentiel pour l’avenir du pays.

L’investissement dans la jeunesse est fondamental, et la famille est le ciment de cette jeunesse. Quels que soient les progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle, le facteur de production le plus important est et restera l’être humain.

Nous prônons tout d’abord un retour à l’universalité de la politique familiale.

La majorité de l’Assemblée nationale a tenté récemment de supprimer le quotient familial, déjà malmené par le gouvernement Ayrault et jugé trop coûteux, pour créer une nouvelle allocation mensuelle : un prélude évident à la fusion espérée entre l’impôt sur le revenu et la CSG, qui, jusqu’à présent, a été rendue impossible par le Conseil constitutionnel. Nous proposons au contraire de le remonter à 3 000 euros, de façon à éviter que soit repris par le biais de l’impôt le bénéfice des allocations versées aux familles.

Nous souhaitons également améliorer le niveau des retraites des personnes ayant élevé des enfants. La réforme des retraites doit être l’occasion d’uniformiser les règles de bonification des retraites en agissant sur la durée d’assurance ou sur la valeur du point.

À ce sujet, le remplacement envisagé des huit trimestres supplémentaires par enfant accordés aux mères par une majoration de 5 % de la retraite par enfant suscite l’inquiétude, car il risque de pénaliser les femmes, notamment dans les familles nombreuses, où les interruptions d’activité sont les plus importantes. Le projet de loi prévoit en effet, pour les familles de trois enfants, une majoration de pension de 17 %, contre 20 % actuellement.

Remettre la politique familiale au cœur du pacte républicain, c’est également améliorer la politique d’accueil du jeune enfant.

Pour cela, il faut d’abord améliorer l’efficacité de la prime à la naissance. Jusqu’au 1er janvier 2015, son versement intervenait au cours du septième mois de grossesse. Depuis cette date, il s’effectue au deuxième mois suivant la naissance. Ce décalage a compliqué la vie des familles, qui ont souvent à engager des dépenses liées à l’accueil de l’enfant avant sa naissance. C’est faire encore une fois montre d’une méconnaissance totale de la vie des Français. Nous proposons un retour à la situation qui prévalait avant 2015.

Nous défendons aussi la mise en place d’un congé parental plus court et mieux rémunéré que l’actuelle prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE).

La réforme du congé parental a accéléré la baisse du recours au congé parental, principalement à cause de la baisse de la durée de perception en cas de non-partage entre conjoints.

Je salue l’adoption l’année dernière de la directive européenne sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui encourage le congé parental flexible – travail à distance, temps partiel – permettant aux parents de rester dans l’emploi. En effet, plus le congé parental est long, plus il éloigne de l’emploi, surtout pour les femmes.

Enfin, nous souhaitons donner davantage de moyens aux collectivités locales pour créer des places de crèche.

La précédente convention d’objectifs et de gestion pour la période 2012-2017 passée entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) n’a pas tenu ses promesses : 275 000 places en crèche avaient été prévues ; à peine 60 000 ont été créées, dont 30 000 par le privé. Ce résultat médiocre s’explique principalement par les difficultés budgétaires croissantes que rencontrent les communes pour assumer la charge financière du fonctionnement des crèches existantes.

L’objectif de 30 000 places supplémentaires prévu dans la nouvelle convention pour 2018-2022 n’est pas plus réaliste, et il est à craindre une augmentation du reste à charge à la fois pour les familles et pour les communes ou intercommunalités.

J’ajoute que, au travers de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite « loi Essoc », le Gouvernement avait demandé une habilitation à légiférer par ordonnance sur ce sujet, mais il a laissé passer le délai des dix-huit mois, ce qui l’a obligé à demander une nouvelle habilitation au travers du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.

Nous continuons de dénoncer ce « chèque en blanc » pour une politique qui touche directement les collectivités locales et pour laquelle le Sénat pourrait utilement contribuer à l’élaboration des nouvelles règles.

En conclusion, mes chers collègues, la politique familiale a trop longtemps servi de variable d’ajustement budgétaire. Il est urgent de lui redonner du sens, en adoptant une vision à plus long terme. À défaut, l’exception française en matière de dynamisme démographique aura définitivement vécu.

Les Françaises et les Français qui mettent au monde des enfants et les éduquent investissent pour l’avenir, et cet investissement profite à l’ensemble de la Nation. C’est pourquoi le coût que cela représente doit être partagé par tous : ceux qui ont des enfants à charge comme ceux qui n’en ont pas. Il s’agit donc non pas d’aider les parents, mais de rétablir l’équité entre les citoyens.

Les gouvernements de la IVe République l’avaient très bien compris, répondant à l’avertissement que le général de Gaulle leur avait adressé : « Si les Français ont trop peu d’enfants, la France ne sera plus qu’une grande lumière qui s’éteint. »

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