Intervention de Sophie Joissains

Réunion du 18 février 2020 à 14h30
Irresponsabilité pénale — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Sophie JoissainsSophie Joissains :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’irresponsabilité pénale des malades mentaux, héritée du droit romain, est un principe fondamental du droit pénal et des droits de la défense.

Parce qu’un magistrat n’est pas médecin, l’avis d’un expert est le plus souvent requis pour déterminer le degré de responsabilité de l’individu ayant commis une infraction. Néanmoins, entre altération et discernement, les frontières sont bien fragiles, et les expertises sont loin de reposer sur une science exacte.

La porosité entre troubles psychiatriques et délinquance est importante et, dans bien des cas, des soins en milieu fermé seraient plus salutaires que l’enfermement, tel qu’il est conçu dans nos prisons.

En 2006, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’alarmait du nombre grandissant de malades mentaux en prison et indiquait : « On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison. »

Plus de 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques, 7, 3 % souffrant de schizophrénie, 7 % de paranoïa. Huit détenus sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs, parmi lesquels la dépression, à hauteur de 40 %, l’anxiété généralisée, à hauteur de 33 %, ou la névrose traumatique, à hauteur de 20 %. Le taux de pathologies psychiatriques est vingt fois plus élevé en prison que dans la population générale.

Il y aurait beaucoup à dire – et à faire surtout ! –, notamment sur les aménagements nécessaires des établissements pénitentiaires, sur le nombre de médecins dans le personnel, etc. Le budget des prisons est évidemment en jeu aussi.

L’objectif de réinsertion est à l’évidence largement compromis par l’ensemble de ces carences.

Il y aurait malheureusement beaucoup à dire aussi sur les faibles moyens alloués au secteur de la psychiatrie dans notre pays et sur la véritable misère hospitalière et humaine qui en résulte.

La frontière entre altération et abolition du discernement est fragile, les expertises médicales n’aboutissent pas toujours aux mêmes conclusions et, face aux circonstances de l’espèce, seul le juge est habilité à trancher. La victime, elle, se trouve à côté, impuissante et muette, pour ainsi dire effacée.

L’affaire dite « de Pau » avait déjà conduit le législateur à faire un premier pas en direction de la victime.

Aujourd’hui, comme en 2007, une affaire particulièrement odieuse suscite des interrogations. Une vieille dame a été assassinée par son jeune voisin sous l’emprise de psychotropes aux cris d’« Allahou akbar ». Son délire est devenu paroxystique à la vue d’objets religieux appartenant à la victime. Après de longs débats, l’acte est qualifié d’antisémite.

Plusieurs expertises ont mis en évidence la relation entre la prise volontaire de stupéfiants et la bouffée délirante qui l’a amenée au meurtre. Sept experts sur huit ont conclu à l’abolition du discernement ; un seul a distingué : « En dépit de la réalité indiscutable du trouble aliénant, l’abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontaire de cannabis en très grande quantité. Il s’agit d’une appréciation légale constante. » Il a alors proposé de retenir l’altération du discernement, laquelle aurait conduit le prévenu devant la juridiction de jugement.

Jusqu’alors, la jurisprudence avait été constante dans ce sens – un acte délictueux n’avait encore jamais été considéré comme la possible exonération d’un crime. Cette jurisprudence paraît d’autant plus logique que le droit tout entier va dans ce sens. Emprise alcoolique ou toxicologique au volant sont des infractions autonomes et des circonstances aggravantes. Au civil, le principe est bien connu : nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

Peut-être le dossier contenait-il d’autres éléments qui sont inconnus du grand public, mais ils auraient alors mérité d’être développés devant la juridiction de jugement, pour ne pas susciter ce terrible sentiment d’horreur et d’injustice qui a secoué la famille de la victime, mais aussi la République tout entière.

Ma collègue Nathalie Goulet a déposé une proposition de loi visant à modifier l’article 122-1 du code pénal. Je l’ai cosignée.

L’affaire dite « de Pau » avait permis une prise de conscience salutaire pour les victimes. La loi du 25 février 2008 a prévu que l’irresponsabilité pénale peut être déclarée lors d’une audience devant la chambre de l’instruction, en présence de l’auteur présumé et des parties civiles, ou devant la juridiction de jugement si la question de l’irresponsabilité pénale n’a pas été soulevée en amont ou retenue par le juge d’instruction. C’était un premier pas.

La justice ne peut être considérée comme telle si elle ne présente pas de garanties d’équilibre dans la considération des parties en présence.

Dans les cas d’irresponsabilité pénale, la victime, quelle que soit la gravité des actes qu’elle a subis, y compris d’ailleurs lorsqu’ils présentent un caractère de gravité, se trouve cantonnée à une position de repli quasi honteuse. L’acte est effacé face à la société. La loi de 2008 ne lui a pas permis d’occuper la place qui lui revient de droit, celle, naturelle, de partie civile à un procès pénal.

Ainsi, quelque 68 % des décisions d’irresponsabilité surviennent lors de la phase présentencielle. Si on ajoute à ces données les affaires ayant été classées sans suite sur le fondement de l’irresponsabilité pénale, il apparaît que le trouble mental est pris en compte avant la saisine des juridictions de jugement dans environ trois quarts des cas arrivant à la connaissance des autorités judiciaires.

Certes, l’auteur présumé des faits doit ne pas être privé des soins que son état nécessite. Mais l’irresponsabilité pénale qui était la sienne, ou peut-être pas, au moment des faits ne peut effacer le vécu de la victime, qui, comme toute victime, ni plus ni moins, doit avoir droit par un procès à la reconnaissance du drame qu’elle a vécu. La proposition de loi déposée par notre collègue Roger Karoutchi correspond à cet objectif.

Seule la juridiction de jugement serait apte à déclarer l’irresponsabilité pénale. En cas de crime, les jurés auraient à se prononcer sur la réalité des faits, le rôle de l’accusé et sa part de responsabilité, ou non, dans la commission de ceux-ci. J’ai aussi cosigné cette proposition de loi.

Qu’un délit ne puisse exonérer d’un crime découle de la cohérence même de notre droit. Et si des circonstances exceptionnelles existent, elles doivent être débattues lors d’un procès contradictoire et digne de ce nom. Qu’une personne reconnue irresponsable pénalement ne puisse être condamnée est un principe fondamental.

Toutefois, que toute victime puisse avoir accès à un procès est une nécessité de l’équité qui doit présider à tout jugement.

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