Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, d’après l’article 122-1 du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
Le 4 avril 2017, Sarah Halimi est sauvagement assassinée à son domicile par un homme qui semblait présenter, d’après certains témoins, des troubles psychologiques.
Lors des deux ans qu’a duré l’instruction, pas moins de sept experts ont examiné le meurtrier. Ils ont tous considéré qu’il était victime, au moment des faits, d’une bouffée délirante aiguë liée à la consommation de cannabis.
Six de ces experts sont parvenus à la conclusion que son discernement était aboli lors des faits et qu’il ne pouvait, dès lors, être jugé.
Un seul de ces experts en a tiré une conclusion différente. À ses yeux, le discernement du prévenu n’était qu’altéré au moment des faits. Par ailleurs, sa prise « volontaire et régulière » de cannabis – dix à quinze joints par jour depuis ses 16 ans… – n’était pas de nature à le rendre irresponsable pénalement.
La cour d’appel, dans son arrêt, n’a pas tiré les mêmes conclusions. Le 19 décembre 2019, après deux ans de procédure, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris déclare le prévenu irresponsable pénalement. Cette décision a provoqué un émoi important.
Certains professionnels du monde de la justice se sont inquiétés, à juste titre, des dérives que pouvaient susciter de telles décisions. Certains sont allés plus loin, en considérant que l’on venait de créer un « permis de tuer » sous l’emprise du cannabis. Sans aller jusqu’à ces extrémités, il est vrai que la situation est inquiétante.
C’est d’autant plus vrai que nous vivons à une époque où se multiplient les crimes perpétrés par des fanatiques radicalisés dont le discernement est régulièrement remis en question.
Si les magistrats restent heureusement indépendants et libres dans leur jugement, le législateur peut réfléchir à apporter des limites.
Au-delà du risque de voir certains individus utiliser l’argument de l’irresponsabilité pénale pour éviter la tenue d’un procès, un danger plus profond menace notre société. Si la plupart des criminels finissent par être déclarés irresponsables pénalement, comment réagiront les familles et les proches des victimes qui n’auront pu obtenir ne serait-ce qu’un procès ? Elles n’auront plus confiance en notre système judiciaire. Ne risque-t-on pas de les voir se faire justice elles-mêmes ?
La justice est le ciment du contrat social qui lie chacun d’entre nous à la société. Sans elle, c’est l’ensauvagement garanti des rapports humains. Laissons ce ciment s’effriter, et c’est tout l’édifice qui risque de s’effondrer.
Certes, la France s’honore de ne pas juger les individus présentant des troubles mentaux qui abolissent leur discernement. Mais elle ne remplirait pas son rôle de protection de ses citoyens si elle laissait des criminels conscients de leurs actes échapper à leur jugement sous le prétexte qu’ils auraient consommé des stupéfiants.
La commission d’un délit, ici la consommation de stupéfiants, ne peut permette à l’auteur d’un crime d’échapper à des poursuites pénales. Fort heureusement, des initiatives parlementaires existent pour essayer de résorber ce problème.
Tel est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Roger Karoutchi, qui vise à garantir la tenue d’un procès en cas de procédure d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et à étendre le droit d’appel pour ces décisions.
Cette initiative est selon moi pleine de bon sens et équilibrée, en ce qu’elle offre des garanties aux parties civiles, sans pour autant porter atteinte aux droits de la défense.
Il était grand temps que nous ayons ce débat, ô combien important pour nos concitoyens, et je tenais à remercier les membres du groupe Union Centriste de l’avoir rendu possible, notamment notre collègue Nathalie Goulet.