Intervention de Annick Girardin

Réunion du 18 février 2020 à 14h30
Risques naturels majeurs outre-mer — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Annick Girardin :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les ouragans Irma et Maria nous ont tous marqués. Si ces cyclones ne peuvent être imputés directement au changement climatique, les scientifiques nous indiquent bien que les cyclones pourraient connaître, dans les années à venir, une violence accrue.

Nous devons mieux nous y préparer : Irma et Maria ont causé, en quelques heures, onze décès ; 95 % des bâtiments des territoires frappés ont été endommagés et 20 % complètement détruits. Les dommages ont été estimés par le secteur des assurances à près de 3 milliards d’euros pour les seuls biens assurés, soit le même montant que plusieurs jours de crue dans les bassins de la Seine et de la Loire au printemps 2016.

Il est donc indispensable de mener collectivement, dans la durée, les différentes actions qui nous permettront de face à ces risques naturels.

Il faut connaître et comprendre les risques de catastrophe, pour mieux les gérer, renforcer la gouvernance des risques, pour être plus efficace dans la préparation et l’action de gestion de crise, investir dans la prévention des risques de catastrophe, pour renforcer la résilience des populations et des territoires, enfin améliorer les savoirs et les savoir-faire, pour faire et reconstruire mieux.

C’est toute l’ambition de l’objectif « zéro vulnérabilité aux risques naturels », que je porte pour nos territoires à l’horizon 2030 dans le cadre de la trajectoire « outre-mer 5.0 » que vous connaissez déjà.

Cette ambition est d’autant plus indispensable outre-mer que les aléas existants y sont énormes ; les enjeux spécifiques de ces territoires, leur insularité et leur éloignement de l’Hexagone doivent également être pris en compte.

En matière d’aléas, les outre-mer font partie des territoires les plus exposés, car ils cumulent la quasi-intégralité des risques naturels, dont certains aléas particulièrement violents, tels que les cyclones et les séismes.

Les territoires ultramarins connaissent également des enjeux spécifiques : on peut notamment citer leur démographie en croissance forte, la concentration de leur développement économique sur les littoraux et la persistance de l’habitat informel.

Une autre spécificité forte des outre-mer, qu’il ne faut pas négliger, est la distance et l’insularité ; celles-ci doivent être prises en compte, en particulier dans la préparation de la gestion de crise et l’action post-aléa.

Face à ces enjeux et à ces spécificités, l’État n’a cessé de renforcer ses moyens humains et financiers au bénéfice des outre-mer.

Nous savons tous que n’importe quelle politique publique est construite par les hommes et les femmes qui la mettent en œuvre. Les moyens humains des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ont donc été renforcés, à hauteur de 20 % entre 2012 et 2020, pour appuyer les préfets dans la prévention des risques.

Le Président de la République a souhaité dynamiser la prévention et la gestion des risques ; c’est pourquoi a été créée, par un décret du 24 avril 2019, la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer, qui a été confiée à M. Frédéric Mortier et s’est vu assigner des priorités d’action : préparer le projet de loi sur les risques majeurs ; renforcer la démarche d’amélioration de la connaissance, de la prévention et de la gestion du risque sismovolcanique à Mayotte ; dynamiser le plan Séisme Antilles ; renforcer le pilotage de la lutte contre les sargasses ; enfin, développer la culture du risque, en lançant une campagne d’information d’envergure.

Le fonds Barnier est mobilisable dans les départements et régions d’outre-mer, mais aussi dans d’autres collectivités ultramarines, selon leurs compétences. Il est de plus en plus utilisé aujourd’hui dans les territoires d’outre-mer. En 2019, près de 52 millions d’euros ont été mobilisés de la sorte.

Je rappelle que la loi de finances pour 2019 a également facilité le recours au fonds Barnier en permettant d’accompagner les collectivités territoriales pour des montants beaucoup plus élevés que les 50 % permis par la règle générale, quand il s’agit de financer la mise aux normes parasismiques des établissements scolaires, le confortement parasismique ou la reconstruction des bâtiments domaniaux utiles à la gestion de crise ; les plafonds des mesures de confortement des HLM et des services départementaux d’incendie et de secours ont également été assouplis.

Les actions mises en œuvre dans les territoires ultramarins s’appuient sur le socle commun des outils de prévention des risques, mais elles sont adaptées aux besoins spécifiques de ces territoires, comme le montrent les exemples des plans de prévention des risques et du plan Séisme Antilles.

La réduction de la vulnérabilité passe par la réalisation de plans locaux de prévention des risques (PPR). Toutes les communes de Guadeloupe, de Martinique, de La Réunion et de Saint-Pierre-et-Miquelon sont d’ailleurs d’ores et déjà couvertes par de tels plans, approuvés par les préfets. À Mayotte, six PPR sur dix-sept sont approuvés ; les autres sont en cours d’élaboration. En Guyane, neuf PPR sur vingt-deux ont été approuvés. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les révisions sont en cours.

Un PPR est efficace s’il est bien articulé avec la compétence d’aménagement portée par les collectivités et bien concerté avec les collectivités voisines, ce qui rend nécessaire un travail partenarial étroit et responsable entre les services de l’État et les collectivités. Je vois certains d’entre vous sourire : je dois avouer que cela n’a pas toujours été le cas ! Nous devons effectivement apprendre à mieux travailler ensemble dans cette coconstruction.

Je tiens à rappeler, au vu de l’actualité de Saint-Martin, que le cadre réglementaire fixé par le décret du 5 juillet 2019 permet à la fois d’affirmer la portée première des PPR, c’est-à-dire la réduction de la vulnérabilité des territoires, et de laisser à ceux-ci une marge d’appréciation sur certains enjeux, comme le renouvellement urbain. Nous reviendrons certainement sur ce sujet au cours du débat qui s’engage.

Quant au plan Séisme Antilles, il doit se déployer sur une trentaine d’années, pour un montant d’environ six milliards d’euros, si tous les leviers sont mobilisés. Il vise principalement à intervenir sur le bâti public existant.

Une première phase de ce plan a permis de mieux connaître la vulnérabilité des différents bâtiments publics et de commencer les travaux de renforcement : entre 2007 et 2015, 860 millions d’euros ont été investis, au sein desquels 397 millions d’euros ont été apportés par l’État.

La seconde phase du plan a été élaborée en 2016, en concertation avec les collectivités territoriales. Elle avait pour objectif d’amplifier le rythme des réalisations pour mettre en sécurité plus rapidement encore les populations.

Le nombre de projets est encore insuffisant : le rythme des travaux doit être accéléré. Le Gouvernement a donc confié au délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer la présidence du comité chargé de ce plan et incarnant une nouvelle gouvernance élargie aux élus, à la Caisse des dépôts et consignations et à l’Agence française de développement. La première réunion de ce comité a eu lieu : il semble qu’elle ait été une réussite, mais je reste extrêmement vigilante pour la suite.

Face au changement climatique, les outils de la prévention des risques naturels sont globalement adaptés, mais nous devons nous pencher sur la réduction de la vulnérabilité aux cyclones.

La Caisse centrale de réassurance a récemment réalisé, en partenariat avec Météo France, une étude très poussée sur ce sujet ; elle a conclu que les aléas climatiques allaient être toujours plus importants et que l’intensité de ces phénomènes serait particulièrement puissante dans le nord des Antilles. Nous devons nous y préparer.

Le Président de la République avait d’ailleurs annoncé, comme vous l’avez rappelé, monsieur Arnell, que des initiatives seraient prises par le Gouvernement, sur la base des retours d’expérience d’Irma, pour procéder à d’éventuelles adaptations législatives. C’est ce que nous allons faire, sur la base des travaux menés par votre délégation et à l’Assemblée nationale.

Des concertations sont actuellement menées sur le terrain, sous l’égide des préfets, en liaison étroite avec le délégué interministériel. Nous continuerons, à l’évidence, à coconstruire les réponses à ces problèmes. Chacun peut y participer dans ces territoires : plus de 1 500 personnes ont déjà pris part à ces travaux, et des contributions ont également été envoyées directement à la délégation interministérielle ; elles seront prises en compte dans le rapport final.

La direction générale des outre-mer va donc élaborer le projet de loi à partir de toutes ces données. Le texte devrait être transmis au Conseil d’État à la fin de février ou au début de mars prochain. Les collectivités ultramarines seront ensuite consultées. Vos recommandations y seront largement reprises, mesdames, messieurs les sénateurs : les travaux de votre délégation figurent en bonne place parmi les réponses que nous prenons en compte.

Bien sûr, ce texte législatif sera extrêmement important, mais vous avez raison, monsieur Arnell : il faut aussi que nous puissions travailler, territoire par territoire, sur des plans d’action. Nous nous y attellerons tous ensemble : c’est l’engagement que j’ai pris.

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