Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 18 février 2020 à 14h30
Quelle doctrine d'emploi de la police et de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l'ordre — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’être à l’initiative de ce débat. Les différentes interventions montrent que les choses évoluent et que, sur les problèmes des violences policières, puisqu’il faut bien employer cette expression, la prise de conscience progresse, à l’exception peut-être de Richard Ferrand… §, dont les propos nous renvoient quelques années en arrière, puisque, selon lui, on ne se posait pas ce type de questions il y a cinq ans.

Pourtant, en remontant quelques années en arrière, on constate que le problème des casseurs et des violences dans les manifestations n’est pas nouveau. En revanche, on observe qu’une certaine politique fait monter les tensions sociales et la violence dans notre société, alors que l’on peut y répondre par davantage de calme, sans mettre de côté la fermeté. En revanche, si l’on choisit une politique d’escalade, les tensions s’accroissent.

Aujourd’hui, l’escalade est en train de se mettre en œuvre ; elle est dangereuse pour notre démocratie. Le 5 décembre dernier, L e Parisien titrait : « Grève du 5 décembre, par peur des violences, ils n’iront pas manifester. » Un certain nombre de personnes étaient interrogées à cette occasion : « Ce qui me fait le plus peur ? Me retrouver piégé dans une nasse, suffoquer sous les lacrymogènes, voire perdre un œil. »

Il est un peu consternant de lire aujourd’hui que certains de nos concitoyens ont peur d’aller manifester, par peur des dispositifs policiers. Ils ont peur de ce que la police – enfin, certains de ses agents – a été vue en train de faire.

On nous rétorque que ce n’est pas vrai. Jusqu’à récemment, on nous répondait que les violences policières n’existaient pas. Elles existent, on le sait : 881 signalements pour violences policières ont été dénombrés. Affirmer qu’il n’y a pas de violences policières relève du déni. D’ailleurs, depuis quelques semaines, devant l’évidence, le Gouvernement a quelque peu évolué sur cette question et a appelé à faire évoluer la déontologie.

Ne peut-on voir que, avec ce niveau de dérives et le nombre très impressionnant de problèmes lourds qui sont survenus, on ne pouvait pas attribuer la responsabilité des faits à des individus ? Ces violences n’ont pas un caractère individuel, elles sont le fruit d’une vision globale du maintien de l’ordre. On a le sentiment que cette doctrine a évolué au lendemain du 1er décembre 2018 : il s’agit non plus de contenir la violence dans les manifestations, mais de faire passer les forces de l’ordre à l’offensive, de les rendre moins statiques.

Aujourd’hui, certains manifestants considèrent qu’ils sont des délinquants aux yeux de la police, alors qu’ils viennent manifester de manière tout à fait pacifique.

Cela a été rappelé, dans les pays nordiques, les doctrines du maintien de l’ordre reposent sur la désescalade et non sur l’escalade. Au contraire, on a le sentiment qu’en France on tombe dans l’excès inverse, alors même que cette vision est remise en cause dans les rangs de la police et que certains syndicats rappellent qu’il ne faut pas mettre en gestion de foule des BAC ou des BRAV-M.

C’est pourtant bien ce que l’on a vu dans les rues de Paris, le 5 décembre dernier. Il aura fallu qu’un certain nombre de journalistes ou de citoyens, que je tiens à saluer, filment ces scènes pour que l’on puisse enfin prendre conscience de la réalité. Ces BRAV-M ont bien été envoyées – elles ne sont pas venues d’elles-mêmes – dans la manifestation parisienne, le 5 décembre dernier.

Voilà ce qui se passe lorsque l’on mobilise des policiers qui ne sont ni formés à ce type d’opération de maintien de l’ordre ni équipés pour cela : les dérives sont très fortes. Ainsi, on a vu un homme à terre frappé par des policiers.

Que faut-il faire ? Face à la brutalité extrême de certains manifestants, il ne faut pas l’oublier, il faut agir, mais il ne faut pas non plus tomber dans la logique du « camp contre camp », parce que la police républicaine défend l’intérêt général. Il faut au contraire que cette doctrine évolue, que cesse la banalisation des violences policières, qui crée le manque de confiance d’une partie de la population envers la police.

Pour cela, il faut notamment interdire l’usage des lanceurs de balles de défense, revenir à des stratégies de désescalade. Il faut également donner davantage de moyens et d’indépendance à l’IGPN. Beaucoup peut être fait aujourd’hui pour revenir à une situation plus normale, plus garante de la démocratie.

On ne peut pas renvoyer les graves difficultés dans le maintien de l’ordre à des problèmes individuels de déontologie. C’est bien la stratégie politique du Gouvernement qui doit être revue.

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