Intervention de Corinne Le Quéré

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 19 février 2020 à 9h35
Audition de Mme Corinne Le quéré présidente du haut conseil pour le climat

Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat :

C'est un immense plaisir pour moi d'être présente ici aujourd'hui ; cette audition nous permet de vous présenter le HCC et de faire le point sur ses travaux.

Notre mission consiste à évaluer la cohérence de la stratégie bas-carbone du Gouvernement par rapport aux objectifs de l'accord de Paris, à recommander des actions correctrices et à émettre des avis permettant d'éclairer les débats de manière neutre.

Pourquoi cette nouvelle entité dans l'écosystème existant ? Le HCC a une action de long terme, puisque nous avons un mandat de cinq ans, renouvelable une fois ; cela nous permet d'avoir une vision à long terme allant au-delà de l'horizon temporel des gouvernements successifs. Le HCC est indépendant ; il rend au Gouvernement un rapport annuel, il doit dresser un bilan, tous les cinq ans, sur la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et il est entendu annuellement par le conseil de défense écologique.

Ayant été installés en novembre 2018, nous avons présenté au Premier ministre, en juin dernier, notre premier rapport, qui a été transmis au Parlement et au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le Gouvernement est tenu, en vertu de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, à répondre à ce rapport dans les six mois, ce qu'il a fait en janvier dernier. Cette réponse est présentée au Parlement et au CESE, à charge pour eux de s'en emparer. Dans sa réponse, le Gouvernement indique les mesures mises en oeuvre ou prévues pour appliquer la SNBC, il explique pourquoi certains objectifs ne sont pas atteints et il décline les moyens permettant de les atteindre.

Cette boucle de rapports et de réponses est originale ; elle doit permettre d'assurer la constance des actions de long terme du Gouvernement et guider la société vers la neutralité carbone. Je siège également au sein du Comité britannique sur le changement climatique, en place depuis dix ans et qui a mis en oeuvre une telle boucle ; cela a contribué à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % depuis 1990, soit une réduction plus de deux fois plus forte que la réduction observée en France. Selon moi, les avis et les recommandations de ce comité ont aidé à atteindre ces objectifs.

Les treize membres du HCC sont choisis pour leur expertise scientifique, technique ou économique et exercent dans des secteurs importants pour le climat - changement climatique, transition énergétique ou encore agriculture. Ils sont assistés par une équipe de six personnes dirigée par M. Oliver Fontan, qui m'accompagne ce matin.

Notre rapport annuel doit contenir une évaluation du respect de la trajectoire des émissions bas-carbone, pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, et des budgets carbone déclinés tous les cinq ans. Nous étudions aussi la mise en oeuvre des politiques et mesures par l'État et par les collectivités territoriales destinées à réduire les émissions et l'empreinte carbone, à adapter la société au changement climatique et à développer les puits de carbone. Nous devons examiner les impacts sociaux, économiques et environnementaux de ces actions et produire, tous les cinq ans, un rapport sur la stratégie nationale bas-carbone.

Que constate-t-on sur le climat ?

La planète se réchauffe. On a déjà constaté un réchauffement de 1 degré Celsius, ce qui est colossal à l'échelle planétaire - il faut comparer cela à une fièvre de 1 degré. Le cycle hydrique, les écosystèmes, les sols sont déséquilibrés ; on constate une augmentation de 1,4 degré en France, avec un accroissement des vagues de chaleur, ce qui accroît le risque de feux et de sécheresses. Les précipitations intenses augmentent également ainsi que le niveau de la mer, d'où de plus grands risques d'inondation. Plus les changements climatiques sont importants, plus les risques augmentent et se répercutent dans le reste de la société.

Pour stabiliser le climat, il faut que les émissions globales de gaz à effet de serre soient ramenées à zéro. Pour cela, en France, toutes les activités qui peuvent passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables doivent le faire - cela concerne presque tout le transport terrestre, le chauffage et la fourniture d'électricité des bâtiments - et, sur les autres secteurs, il convient d'engager de fortes réductions de consommation ; je pense par exemple à l'industrie et à l'agriculture. Enfin, s'agissant des consommations qui ne peuvent être ramenées à zéro, il faut les compenser par les puits de carbone.

Dans notre premier rapport annuel, nous avons indiqué que l'objectif d'émissions de GES de la France pour 2050 était cohérent avec l'accord de Paris et qu'il permettait, selon ce qu'il se passera dans les autres pays, de limiter le changement climatique à moins de 2 degrés Celsius, voire à 1,5 degré. Pourtant, les efforts actuels pour atteindre la neutralité carbone et respecter le premier budget carbone sont insuffisants pour atteindre cet objectif. La trajectoire actuelle permet d'atteindre une réduction des émissions de 1,1 % par an, au lieu des 1,9 % prévus. En outre, les réductions sont censées tripler dès 2025. Nous ne sommes donc pas du tout en mesure d'atteindre les objectifs.

Nous avons émis six recommandations fondamentales.

En premier lieu, il faut assurer la cohérence des lois et des grands projets. Les problématiques climatiques ne doivent plus uniquement concerner le ministère de la transition écologique et solidaire mais l'ensemble du Gouvernement ; tous les ministres doivent mettre en place une stratégie permettant d'atteindre la neutralité carbone.

En deuxième lieu, si les émissions baissent effectivement - certaines politiques fonctionnent -, les actions mises en oeuvre doivent être renforcées ; en particulier, le prix du carbone dans l'économie doit refléter son impact sur l'environnement et les changements climatiques.

En troisième lieu, les mesures mises en oeuvre sont rarement évaluées ; on constate un manque important de pilotage de la SNBC ; par exemple, on ne sait pas pourquoi certains objectifs dans le domaine du transport et dans celui du bâtiment ne sont pas atteints. On ne sait pas non plus comment certaines lois, en particulier la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, contribuent à l'atteinte de la neutralité carbone. Ces lois permettent-elles d'atteindre tous les objectifs de ce secteur ou faut-il prévoir d'autres mesures ?

Les trois recommandations suivantes sont plus fondamentales.

Il s'agit tout d'abord de préparer l'économie et la société à l'atteinte de la neutralité carbone. Les filières d'approvisionnement devront changer, ce qui aura nécessairement des impacts sur l'emploi.

Il faut ensuite assurer une transition juste. Les mesures mises en place créent des frustrations - pourquoi devrais-je, moi, faire des efforts, alors que l'aviation ou l'industrie bénéficient de passe-droits ? Il faut démontrer que les actions ont un impact et que les efforts demandés aux entreprises et aux citoyens sont justes.

Il faut enfin articuler la stratégie à toutes les échelles, en créant des interfaces tant avec l'Europe qu'avec les régions, qui sont source d'innovation, sont proches des citoyens et connaissent bien les leviers locaux.

Je veux revenir sur l'évaluation des mesures. Le Gouvernement nous a demandé d'approfondir le cadre d'évaluation. Nous avons donc publié en décembre dernier un rapport, dans lequel nous constatons que seulement 3 % des articles de loi sont actuellement évalués sous l'angle du climat ; c'est très peu ! Nous recommandons d'améliorer cette proportion en évaluant systématiquement l'impact sur le climat des lois qui s'y prêtent.

Il faut prévoir une évaluation transparente, sélectionner les lois à évaluer - toutes n'ont pas un impact sur le climat -, réaliser une étude d'impact relative à la SNBC afin de se demander si la loi est à la hauteur pour respecter la trajectoire vers la neutralité, prévoir ab initio un dispositif d'évaluation précisant les indicateurs et les données sous-jacentes et, enfin, renforcer le pilotage de la stratégie nationale bas-carbone au travers de la réunion annuelle du conseil de défense écologique.

Quelques mots sur notre programme de travail pour 2020.

Plusieurs rapports sont en préparation. Le premier porte sur une comparaison internationale des politiques en matière de bâtiment. Un autre rapport a trait à la part importée de notre empreinte carbone. En effet, une part des émissions de la France est notifiée aux Nations unies de manière territorialisée. On ne connaît donc pas la responsabilité de la France dans les émissions générées à l'étranger du fait de la consommation, en France, de certains produits.

Le Gouvernement nous a demandé de produire un rapport sur cette part importée de l'empreinte carbone. Il s'agit, déjà, de savoir d'où elle vient et si les données sont fiables, pour commencer à documenter une politique du Gouvernement visant à agir sur notre empreinte carbone. Des mesures doivent être mises en place, mais nous ne pouvons pas dire aujourd'hui si, par exemple, un objectif de neutralité carbone en 2050 est atteignable, si les autres pays n'atteignent pas cette neutralité à la même date.

Dans notre rapport annuel, qui sera publié en juin prochain, mais que nous préparons en ce moment, nous allons évidemment dresser un état des lieux des émissions et des avancées politiques. Nous allons examiner de manière plus approfondie la stratégie nationale bas-carbone, ses hypothèses, ses risques et la question des prix pour atteindre la neutralité carbone. Nous examinerons également de manière plus approfondie les questions des engagements territoriaux, de la formation et de la transition juste.

Nous souhaitons également, cette année, commencer à avancer sur l'adaptation au changement climatique. Un certain degré d'adaptation est déjà nécessaire aujourd'hui et le sera encore davantage demain. La France est-elle prête à répondre à ce défi ? Cette problématique est vraiment très importante.

Notre objectif est de parvenir, dans le rapport annuel, à des recommandations et des analyses plus détaillées que celles que nous avons produites jusqu'à maintenant.

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