La loi française est l'une des plus protectrices des collections publiques. Le principe d'inaliénabilité a beaucoup d'avantages, mais aussi certains inconvénients. Pour ne prendre qu'un exemple, un certain nombre de masques africains, volés dans les années 1950 au musée de l'Homme, ont été vendus puis revendus, et se retrouvent aujourd'hui dans des collections américaines. Nous ne pouvons pas les récupérer : le droit français interdit toute forme de transaction, alors que certains des propriétaires actuels seraient prêts à nous les rendre contre dédommagement du prix qu'ils les ont payés. Tant la jurisprudence du Conseil d'État que la pratique du ministère de la Culture en ce domaine n'ont fait que se durcir dans les dix à quinze dernières années.
Lors des ventes Artistophil, une ancienne secrétaire du général de Gaulle a voulu céder les brouillons de certaines de ses lettres qu'il lui avait donnés ; la justice a considéré qu'ils avaient toujours fait partie du patrimoine national.
Je pense aussi aux affaires du jubé de Chartres et des pleurants des ducs de Bourgogne. Un musée avait fait une offre d'achat à un propriétaire privé, puis s'est demandé s'il ne serait pas plus simple de dire que les oeuvres n'avaient jamais cessé d'appartenir à l'État. Pour le jubé de Chartres, le Conseil d'État l'a confirmé.
Il est bon qu'un pays protège son patrimoine, mais pas de manière aussi étanche. Il y a des justifications historiques à l'inaliénabilité, comme les ventes révolutionnaires et quelques sorties regrettables des collections. Mais tous les musées, y compris les musées français, ont besoin de faire respirer leurs collections. Lorsqu'une statue khmère a son corps à Phnom Penh et sa tête à Paris, on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux faire en sorte de les réunir.
Par le passé, la France a pu bénéficier de dons du Smithsonian au musée du Trocadéro pour que la France dispose de collections américaines. Puis le patrimoine a été verrouillé : on s'en souvient lorsque s'est posée la question de la restitution des biens juifs. L'article 2 de la loi sur les têtes maories, qui a institué la Commission scientifique des collections, pâtit du fait que celui-ci renvoyait à des décrets le soin d'en fixer les modalités d'application : ces décrets sont rédigés de telle manière que la commission ne peut pas correctement fonctionner.