Intervention de Stéphane Martin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 février 2020 à 9h40
Restitution des oeuvres d'art — Audition de M. Stéphane Martin ancien président de l'établissement public du musée du quai branly - jacques chirac

Stéphane Martin, ancien président de l'établissement public du musée du Quai Branly - Jacques Chirac :

Je n'ai jamais évoqué cette question avec lui.

Pour le reste, le rapport n'a pas été piloté. Ses auteurs, au lieu de répondre à la question, ont parlé de ce dont ils avaient envie de parler : les crimes de la colonisation et leur réparation.

Le rapport part du principe que les objets ont été systématiquement acquis dans la violence, et que lorsqu'ils ont été achetés, quel que soit le prix d'acquisition, celui-ci était en-dessous des prix du marché - certes, c'est vrai dans le sens où un objet chinois coûte moins cher en Chine que dans un magasin d'objets chinois en Europe...

L'expérience montre l'absence d'un tel décalage de prix. Un jeune chercheur africain a ainsi montré que les objets légués par le docteur Harter, par exemple, originellement des cadeaux des rois Bamiléké, lui avaient été donnés par ces derniers en pleine conscience de leur grande valeur, parce qu'il avait réussi à ralentir la lèpre chez leurs épouses - ce n'est pas rien !

Le rapport considère l'universalité des musées comme une mauvaise chose - idée répandue dans l'opinion de gauche comme de droite : on peut ainsi lire des articles dans Le Figaro qui se réjouissent du retour d'un dessin italien en Italie. Il semble naturel de penser que le monde serait meilleur si toutes les statuettes revenaient dans les niches de l'église où elles étaient initialement placées.

Or je pense que les objets se transforment. La statue du dieu Gou, que les Béninois songent maintenant à nous réclamer, a été réalisée par un prisonnier de guerre dans un royaume voisin d'Abomey, sur commande du roi pour l'aider lors d'une bataille. Comme elle n'a pas eu l'effet escompté, elle a été abandonnée sur une plage et récupérée par un capitaine français, quelques années après sa réalisation. Puis elle a passé 150 ans au Louvre, elle a déclenché la passion d'Apollinaire, a été dessinée par Picasso... Quelle est sa nationalité ? Quelle est la nationalité de la Joconde ? Est-elle italienne, française ou... japonaise, puisque ce sont principalement des Japonais qui viennent l'admirer ? (Sourires)

Un pays va à l'encontre de ce mouvement opposé à l'universalisme des musées, c'est la Chine. Après avoir ouvert des musées uniquement consacrés à l'art chinois - la culture chinoise étant comme chacun sait la première au monde - elle a évolué vers le modèle américain des années 1890, c'est-à-dire le musée universel.

Je n'ai pas d'opinion sur le choix de l'instrument juridique. Mais il serait de toute manière utile de fixer des critères.

Les musées seraient très demandeurs d'être associés ? Je n'ai pas eu ce sentiment. En France, les musées ne sont pas propriétaires de leurs collections, ils n'en sont que les affectataires. Les conservateurs du Quai Branly ont ainsi le sentiment de n'être que les gardiens des oeuvres, et que le propriétaire, l'État, doit prendre ses responsabilités. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont si mal vécu les accusations de maltraitance des oeuvres du rapport Sarr-Savoy.

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