Merci pour ce temps d'échanges et de réflexion. Nous avons encore bien d'autres personnes à auditionner, mais il était important que nous commencions par le représentant d'une institution qui a beaucoup contribué à ces échanges.
L'exemple des têtes maories m'a montré qu'une restitution bien pensée et bien construite n'est pas la fin d'une aventure, mais le début d'une nouvelle aventure et d'un nouveau dialogue interculturel. La restitution des têtes maories a régénéré la relation entre musées, entre institutions, entre conservateurs et artistes, lesquels travaillent ensemble aujourd'hui selon de nouvelles modalités et a ouvert un champ de possibilités très enrichissant pour les pays concernés.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mes chers collègues, une délégation de notre commission, que je présidais, s'est rendue au Mexique en septembre dernier ; elle était aussi composée d'Annick Billon, de Max Brisson, de Mireille Jouve, de Damien Regnard et de Sylvie Robert. Nous ne vous présentons qu'aujourd'hui le compte rendu de ce déplacement en raison du calendrier très chargé de notre commission à la fin de l'année 2019. Alors que nos derniers déplacements avaient porté sur les questions d'éducation en Inde et d'audiovisuel en Israël, notre bureau a jugé opportun d'examiner cette année l'état des coopérations et partenariats que notre pays met en place dans le domaine culturel et patrimonial.
Le Mexique s'est très vite imposé pour des raisons évidentes. Il s'agit d'un pays tout à fait stratégique pour la France. Porte d'entrée vers le continent américain et l'espace Pacifique, le Mexique partage avec nous un grand nombre de préoccupations sur la scène internationale, notamment la défense du droit international, du multilatéralisme et de la diversité culturelle. Nous avons donc tout intérêt à entretenir et développer des relations étroites avec lui. L'arrivée au pouvoir, le 1er décembre 2018, d'Andrés Manuel López Obrador, surnommé AMLO, peut constituer à cet égard une opportunité. Le nouveau président, élu sur la promesse de faire du Mexique un pays plus juste et plus sûr, a engagé le pays dans une vaste transformation.
Même si les questions de politique intérieure sont évidemment prioritaires sur son agenda, le nouveau président pourrait être tenté de faire en sorte que le Mexique pèse davantage sur la scène internationale, d'autant qu'il cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis. Le Mexique ne manque pas d'atouts à mettre en avant et sa richesse culturelle en est clairement un d'importance. Il en est d'ailleurs conscient, puisqu'une direction de la diplomatie culturelle chargée de promouvoir le pays à l'étranger vient juste d'être créée au sein du ministère mexicain des affaires étrangères. Compte tenu de nos convergences en matière culturelle, la venue de notre délégation était donc utile pour consolider, notamment au niveau parlementaire, les relations nouées par notre diplomatie sur place. Nous avons d'ailleurs été excellemment reçus par la nouvelle présidente du Sénat mexicain.
Loin de moi l'idée de vous faire un cours de civilisation mexicaine, mais vous savez combien la culture de ce pays est ancienne, riche et diversifiée. C'est véritablement un pays de culture. Nous en avons eu un bon aperçu en visitant le musée Amparo à Puebla qui retrace l'histoire artistique du pays avec une vaste collection d'art mexicain depuis la période préhispanique jusqu'à la scène contemporaine. Le poids du secteur culturel n'est pas négligeable dans l'économie mexicaine : il représente environ 3 % de son produit intérieur brut. La ville de Mexico compte d'ailleurs le plus grand nombre de musées au monde après Londres.
Ce voyage nous a permis de mesurer à quel point les Mexicains étaient attachés à leur patrimoine, pas seulement les biens inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco, mais plus encore le patrimoine de proximité. L'église est un vrai ciment pour les communautés villageoises. Les Mexicains sont également très fiers de leur artisanat, de leur folklore et de leurs traditions populaires. Nous sommes repartis deux jours avant la fête de l'indépendance nationale, mais les préparatifs laissaient imaginer l'importance des festivités.
Cela explique sans doute pourquoi le nouveau président AMLO veut faire de la culture un instrument d'inclusion sociale auprès des publics défavorisés et mieux promouvoir les cultures populaires et indigènes. Son objectif est de permettre aux Mexicains de se réapproprier leur patrimoine et de tirer fierté de leurs racines et de leur culture.
Il faut savoir que le Mexique ne dispose que depuis quelques années d'un ministère de la culture à part entière. Jusqu'en 2015, il prenait la forme d'un conseil des arts et lettres placé auprès du ministre de l'éducation nationale, même si plusieurs organismes disposant de services déconcentrés étaient déjà chargés de mettre en oeuvre la politique culturelle, notamment : l'Institut national d'anthropologie et d'histoire (INAH), créé en 1939 pour préserver, protéger et assurer la promotion du patrimoine archéologique, anthropologique, paléontologie et historique du Mexique ; l'Institut national des beaux-arts et de la littérature (INBA), créé en 1946 pour protéger, diffuser et promouvoir le patrimoine et la création artistiques ; l'Institut national du droit d'auteur (Indautor), créé en 1996 pour garantir la protection des droits de la propriété intellectuelle ; et l'Institut national des langues indigènes (Inali), créé en 2003 pour promouvoir et protéger l'usage des langues indigènes du Mexique.
La politique culturelle française constitue l'une des références du jeune ministère de la culture mexicain. Il s'intéresse particulièrement aux politiques que nous avons mises en place pour faciliter l'accès aux biens culturels sur l'ensemble du territoire, notamment hors des grandes villes, et pour éveiller les jeunes aux arts et aux pratiques artistiques et culturelles par le biais de l'EAC. Le caractère fédéral de l'État mexicain l'incite aussi à observer de très près nos mécanismes de décentralisation culturelle.
Nous avons été sensibles à la francophilie des autorités mexicaines que nous avons rencontrées, dans les ministères comme au Parlement. La ministre de la culture, qui n'a pas ménagé son temps, la présidente du Sénat mexicain et la présidente de sa commission de la culture ont toutes trois manifesté le désir d'intensifier le dialogue avec notre pays en matière culturelle.
Cela fait maintenant deux ans que la coopération culturelle entre la France et le Mexique est entrée dans une nouvelle dynamique à la suite des visites croisées des précédentes ministres de la culture, Françoise Nyssen au Mexique en octobre 2017 et son homologue mexicaine à Paris en avril 2018. Les deux ministres ont alors conclu un arrangement administratif dans les domaines de la restauration et de la conservation du patrimoine culturel. Il vise à faciliter les échanges entre les spécialistes de la restauration du patrimoine des deux pays et à organiser les modalités de notre soutien pour la restauration des biens culturels mexicains endommagés lors des séismes de septembre 2017.
La France s'est en effet engagée à aider à la restauration de deux monuments emblématiques, dont l'église franciscaine de Huaquechula, où nous nous sommes rendus. Elle devrait également apporter son assistance pour la formation de professionnels et d'artisans mexicains aux enjeux et techniques de la restauration du patrimoine. L'association Rempart, que nous connaissons bien, est de son côté mobilisée pour faire partager son expérience en matière de participation de la société civile à la restauration du patrimoine historique.
Au-delà du terrible bilan humain, les tremblements de terre des 8 et 19 septembre 2017 ont causé d'importants dégâts au patrimoine monumental mexicain. Plus de 2 000 édifices ont subi des dommages, parmi lesquels un certain nombre sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. La moitié d'entre eux a d'ores et déjà pu être remis en état, mais un tiers présente des dommages plus sévères et leur restauration est évidemment plus longue et complexe. L'Institut national d'anthropologie et d'histoire, en charge de coordonner les travaux, s'est donné pour objectif d'achever l'essentiel du travail de restauration d'ici à 2021.
Je dois dire que les échanges que nous avons eus avec les autorités mexicaines sur ces questions de restauration du patrimoine ont été d'autant plus riches et profitables que nous avions nous-mêmes largement approfondi notre réflexion les mois précédents avec le projet de loi relatif à Notre-Dame.
Nous avons retrouvé plusieurs des problématiques auxquelles nous sommes confrontés, à savoir les problèmes posés par le défaut d'entretien du patrimoine historique ou encore la nécessité de conduire une restauration qui respecte l'intégrité du monument. Les édifices qui ont subi les dommages les plus sévères lors des séismes sont ceux qui étaient les moins bien entretenus ou qui avaient fait l'objet de précédentes restaurations menées à la hâte et avec des matériaux inappropriés. L'utilisation du béton lors de restaurations antérieures a ainsi aggravé les dommages subis par les bâtiments lors du séisme. D'où la nécessité de réunir un maximum de documentation sur l'édifice, d'établir un diagnostic préalable le plus complet possible avant d'entreprendre les travaux et d'être vigilants sur le choix des matériaux.
L'autre difficulté que rencontrent les Mexicains pour mener à bien ces restaurations, c'est évidemment la disparition des savoir-faire et le manque d'artisans qualifiés. Comme nous avec le chantier de Notre-Dame, ils veulent profiter de ce drame pour former au niveau local aux métiers du patrimoine - c'est aussi un moyen de redonner des emplois aux habitants des zones sinistrées. Ils veulent également utiliser ces différents chantiers pour définir des méthodologies qui pourront être transposées lors de restaurations ultérieures similaires. C'est un enjeu de taille, car au-delà des besoins en matière de restauration liés aux séismes, de nombreux édifices mexicains sont en attente de restauration. La protection du patrimoine monumental dans sa diversité figure d'ailleurs parmi les priorités du ministère de la culture mexicain dans l'optique de reconnaître le caractère pluriculturel de la nation mexicaine.
Nos interlocuteurs ne nous ont pas caché que l'une des plus grandes difficultés consistait à réunir les financements nécessaires. Le pays s'est en effet engagé dans un programme d'austérité et l'argent public ne suffit pas. Il manque singulièrement pour financer les opérations qui accompagnent généralement ces chantiers de restauration, comme les fouilles archéologiques. L'aide apportée par les États étrangers est essentiellement d'ordre technique. J'espère que nous aurons pu faire oeuvre utile, en incitant les autorités à réfléchir aux opportunités que pourrait leur offrir la mise en place d'un dispositif législatif d'incitation au mécénat - j'ai d'ailleurs fait état du rapport de juillet 2018 de nos collègues Maryvonne Blondine et Alain Schmitz sur ce sujet. Même si elles n'ont pas fermé la porte, nous les avons malheureusement senties réservées sur le sujet. Les Mexicains sont méfiants, semble-t-il, à l'égard de l'argent privé, quand il s'agit de financer des opérations d'intérêt public.
Le bureau de l'Unesco au Mexique est évidemment très mobilisé sur ces questions de patrimoine. Le Mexique est le pays d'Amérique latine qui compte le plus de biens classés au patrimoine mondial, mais il est également en bonne position à l'échelle mondiale, où il occupe la septième place. Au-delà des problématiques de conservation, l'Unesco accompagne les autorités mexicaines dans la valorisation de leur patrimoine et dans le développement d'un tourisme durable et d'un urbanisme raisonné.
L'Unesco est également très active pour aider le Mexique à développer des outils de promotion des droits culturels, un principe dont nous avons beaucoup débattu avec nos homologues mexicains lors de ce déplacement. Nous n'avons pas tout à fait la même approche sur la question. Pour nous, les droits culturels sont un moyen de reconnaître chaque individu dans son égale dignité et ce sont donc des droits individuels qui peuvent être exercés seul ou en commun. Le Mexique, au contraire, promeut davantage les droits culturels pour défendre l'identité culturelle de chacune de ses différentes communautés. Son approche de la notion est donc davantage communautariste. Il n'en demeure pas moins que nous avons eu des débats passionnants autour de cette notion.
Les Mexicains sont en particulier très sensibles au problème de l'appropriation culturelle, accusant plusieurs marques occidentales de copier des broderies et motifs de l'artisanat traditionnel mexicain. Ils ont également évoqué le trafic illicite d'oeuvres d'art précolombien partout dans le monde et, indirectement, la question des restitutions. Ils ont notamment regretté que notre législation fasse aujourd'hui porter sur le requérant la charge de prouver le caractère illicite de l'acquisition. Ce sont des questions, sur lesquelles la mission d'information sur les restitutions aura l'occasion de se pencher prochainement.
Quoi qu'il en soit, toutes ces discussions ont révélé à quel point les sujets d'intérêt commun sont nombreux entre nos deux pays dans le domaine culturel.
D'une part, nous avons identifié de nombreux sujets sur lesquels notre expérience et notre expertise pourraient leur être utiles. C'est le cas, par exemple, des questions de défense des langues régionales, d'éducation artistique et culturelle ou de protection du patrimoine vivant et immatériel. La ministre avait d'ailleurs des rendez-vous de travail programmés avec l'Institut national de la propriété industrielle français la semaine de notre venue. Nous avons de notre côté insisté sur ce qui pouvait être fait pour protéger et promouvoir les métiers d'art et l'artisanat, par exemple avec les marques territoriales.
Sur ces questions, les autorités mexicaines estimeraient d'ailleurs souhaitable que des coopérations franco-mexicaines se mettent en place au niveau national comme au niveau des territoires. La ministre de la culture s'est montrée favorable à ce que les collectivités mexicaines et françaises collaborent directement en matière culturelle.
D'autre part, nos échanges ont montré que nos intérêts convergent sur plusieurs sujets, sur lesquels nous pourrions tout à fait envisager de faire front commun au niveau international. Je pense en particulier à la défense de la diversité culturelle, du multilinguisme, mais aussi de notre souveraineté culturelle et du droit d'auteur à l'heure du numérique. La proximité des États-Unis est évidemment un facteur de sensibilisation à ces questions pour les Mexicains.
La ministre de la culture nous a d'ailleurs fait part de son voeu que la France et le Mexique puissent conclure un accord de coopération dans le domaine culturel qui irait au-delà de l'arrangement administratif conclu jusqu'ici, mettant en avant les nombreux ponts artistiques et créatifs entre nos deux pays et les nombreuses expositions en perspective - je pense par exemple à l'exposition olmèque qui débutera en mai prochain au musée du Quai Branly. Même si ce n'était pas l'objet principal de notre déplacement, nos discussions sur place ont d'ailleurs montré que les champs de coopération possible débordaient largement le cadre culturel : ainsi, ces discussions ont souvent dérivé vers les questions d'éducation et de défense des droits des femmes. Je laisserai le soin à mes collègues Max Brisson, rapporteur de la loi pour une école de la confiance, et Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, de vous en parler plus longuement s'ils le souhaitent.
Pour ma part, je voudrais conclure mon propos par un dernier sujet, celui de la place du français au Mexique. Cette question est tout à fait centrale pour garantir la pérennité des coopérations que nous mettons en place, car on coopère toujours mieux avec celui que l'on connaît, que l'on comprend et dans lequel on a confiance. Comment envisager des partenariats universitaires et scientifiques sans cela ?
Oui, le Mexique est globalement francophile et l'Institut français d'Amérique latine (IFAL) attire, mais ne nous reposons pas sur nos lauriers : le bâtiment de l'IFAL, dans lequel les étudiants inscrits suivent leurs cours, est particulièrement vétuste - les derniers travaux d'ampleur remontent à 1986. Nous avons une nouvelle fois été les témoins des conséquences de la réduction des crédits alloués aux alliances françaises. Les conditions d'accueil des étudiants véhiculent une image triste et vieillissante de la France, peu propice à la promotion de la francophonie. Nous avons constaté que le service culturel déployait beaucoup d'énergie pour promouvoir la langue française auprès des Mexicains, les accueillir dans les établissements français et plaider pour améliorer l'enseignement du français au sein des établissements mexicains auprès des autorités mexicaines, mais la réussite de leur entreprise dépend beaucoup des moyens que notre pays est prêt à y consacrer.
C'est aussi le cas en ce qui concerne la place de France Médias Monde au Mexique. Des efforts importants restent nécessaires pour renforcer la diffusion de France 24 en français, en anglais et en espagnol par les câblo-opérateurs mexicains. Il ne faut pas sous-estimer ces enjeux fondamentaux pour la diffusion de la culture française dans cette région. Depuis notre déplacement, le ministre a eu l'occasion de faire des annonces à ce sujet.
J'espère que nous aurons le plaisir d'accueillir, dans quelque temps, une délégation de la commission de la culture du Sénat mexicain. Nous les avons en effet invités à nous rendre visite pour approfondir nos échanges sur ces différentes questions de culture et d'éducation.