Intervention de Jacques Genest

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 février 2020 à 9h35
Contrôle budgétaire — Implantation des services de l'état dans les territoires : état des lieux et enjeux financiers - communication

Photo de Jacques GenestJacques Genest, rapporteur spécial :

Le bureau de notre commission des finances m'a chargé de réaliser une mission de contrôle budgétaire portant sur l'implantation des services de l'État dans les territoires, en ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Compte tenu de l'importance des réformes et réorganisations engagées depuis le milieu des années 2000, ce sujet présente un fort intérêt pour nos concitoyens.

Le rapport que je vous présente s'inscrit dans un contexte particulier, celui du développement et de l'expression d'un puissant sentiment d'abandon dont témoignent nos concitoyens, et souvent des élus locaux et certains agents de l'État sur le terrain. Il m'importait de mettre à jour les différentes évolutions qui ont, depuis près de quinze ans, contribué à modifier la cartographie de la présence de l'État dans nos territoires, d'en comprendre les ressorts, d'en tirer un bilan budgétaire et qualitatif et de formuler des préconisations utiles.

Le premier défi qui s'est présenté à moi a été de parvenir à définir ce que l'on qualifie de « services de l'État ». Tout un chacun forge pour lui-même une définition plus ou moins précise de cette notion. Pour ma part, j'ai estimé que constituaient des services de l'État l'ensemble des services gérés plus ou moins directement par lui. Cette définition large appelle à intégrer les opérateurs de services publics comme La Poste et à ne pas se limiter aux seuls services déconcentrés.

Un deuxième défi a consisté à situer les services de l'État dans leur contexte. Du point de vue de nos concitoyens, les services publics forment souvent un seul et même ensemble, qu'ils soient gérés par l'État, par des collectivités territoriales ou par des acteurs privés comme les organismes sociaux. Ainsi, le sentiment d'abandon dont ils témoignent ne relève pas du seul fait de l'État, mais plutôt de celui d'un ensemble d'acteurs des services publics. Pour cette raison, j'ai entendu appréhender la notion de services de l'État dans un contexte plus large, ce qui m'a conduit à tenir compte des évolutions propres à d'autres acteurs, comme les organismes sociaux ou encore, et surtout, les offreurs de soins.

Au terme de cet effort de définition et de situation de la notion de services de l'État, il m'est apparu pertinent de dresser une typologie de ces derniers permettant de mieux rendre compte de leur diversité.

La première catégorie de services sur laquelle j'ai souhaité travailler est constituée de l'ensemble des acteurs agissant au contact le plus direct du public. Il s'agit des services qu'on qualifie parfois de « guichet », tels que les services de délivrance de titre d'identité ou les accueils de proximité en matière fiscale. Pour autant, ils ne se limitent pas à ces seuls exemples puisque j'ai estimé que les offreurs de soins publics comme libéraux devaient être rattachés à cette catégorie. N'assurent-ils pas, en effet, un service au contact le plus immédiat de l'usager ou du patient ?

La deuxième catégorie de services analysée dans le cadre du rapport recouvre ceux qui sont dédiés à l'exercice des missions régaliennes.

La question des forces de police et de gendarmerie dont le dense maillage territorial assure la sécurité de nos concitoyens a été abordée. De même, j'ai souhaité intégrer dans cette catégorie l'exercice de la mission de contrôle de légalité puisqu'elle constitue une mission constitutionnelle du représentant de l'État, et participe à l'uniformité sur l'ensemble du territoire des droits et obligations de nos concitoyens dans leurs rapports avec les autorités publiques et administratives. À l'inverse, j'ai considéré qu'il ne serait pas pertinent d'aborder la question de la carte judiciaire, qui a fait l'objet d'une réforme profonde en 2008, ou encore de la revue des implantations du ministère des armées. En effet, et comme la Cour des comptes avant moi, j'estime que ces sujets présentent des particularités fortes et pourraient faire l'objet de contrôles propres.

Par ailleurs, j'avais souhaité, dans un premier temps, aborder le sujet des implantations scolaires dans nos territoires. Il s'agissait d'une conception large de la notion de mission régalienne, mais dont j'estimais qu'elle avait toute sa pertinence. Je regrette profondément que l'absence totale de coopération de la part du ministère de l'éducation nationale m'ait empêché d'aller au bout de cette démarche : malgré mes nombreuses relances, je n'ai reçu aucune réponse au questionnaire adressé à ce ministère, ce qui n'est pas acceptable.

La troisième catégorie de services de l'État identifiée dans le contexte du présent rapport correspond à l'ensemble des missions exercées pour assurer la mise en oeuvre des politiques publiques et accompagner les acteurs locaux telles que les collectivités territoriales. À ce titre, j'ai cherché à comprendre quels effets avaient eu la réforme des services déconcentrés, la revue des instruments de l'aménagement du territoire ou encore la réorganisation des trésoreries dédiées à la comptabilité des collectivités territoriales et le recours croissant à des opérateurs.

Enfin, le dernier défi auquel je me suis confronté a été de définir la notion de territoire elle-même. Contrairement aux différents travaux réalisés récemment par la Cour des comptes ou nos collègues députés, je ne souhaitais pas limiter mon analyse aux seuls territoires ruraux. C'est donc en conservant à l'esprit une conception large de la notion de territoire, incluant aussi bien les zones rurales, urbaines, insulaires, littorales ou de montagne, que j'ai cherché à travailler.

Au terme de cette présentation du cadre dans lequel ce contrôle s'est inscrit, je vais vous présenter les grandes lignes des réformes engagées ces dernières années et le bilan que j'en tire.

D'abord, il est utile de rappeler que la réorganisation des services de l'État dans les territoires a cherché à répondre à trois grands enjeux.

Le premier est de nature financière et budgétaire. Comment rendre à l'État « les marges financières qui lui permettront de ne plus vivre à crédit en finançant par le déficit, non l'investissement, mais le fonctionnement », pour citer le président Nicolas Sarkozy lors de son discours du 19 septembre 2007 ? Cette question est loin d'être triviale dans un pays qui connaît depuis 1975 une croissance quasi continue du niveau de ses dépenses publiques, de son déficit public et de son endettement public. Alors que les administrations de l'État ont contribué plus que les autres à ce mouvement, il est apparu pertinent de chercher à optimiser leurs dépenses, le cas échéant, au travers d'une revue de leurs services territoriaux.

Le deuxième enjeu qui a justifié ce large mouvement de réorganisation est l'approfondissement de la décentralisation. L'affirmation du fait régional et la montée en puissance des établissements de coopération intercommunale expliquent largement, même si je ne suis pas en accord avec ce mouvement, la revue de l'organisation territoriale de l'État.

Le troisième et dernier enjeu a été celui d'une nécessaire modernisation de l'action publique. Celle-ci a pris deux formes. D'une part, un recours croissant aux outils dématérialisés. D'autre part, une accélération du recours aux agences et opérateurs de l'État. L'ensemble des réorganisations qui ont impacté les différents services de l'État font l'objet d'une présentation exhaustive dans mon rapport.

Je souhaite partager quelques éléments de bilan et vous faire part de mes principales recommandations.

En premier lieu et s'agissant des services les plus au contact des citoyens, j'estime que l'État laisse trop souvent les usagers seuls face à un écran et que les collectivités territoriales sont trop faiblement soutenues dans leurs efforts visant à pallier les conséquences des réorganisations.

Je constate, d'abord, que le développement des procédures dématérialisées pour les impôts comme pour les titres d'identité participe à approfondir les inégalités entre les usagers. Ainsi, dans les maisons de services au public (MSAP), le nombre de demandes qui concernent les démarches relevant des anciens guichets de préfectures ou des impôts va croissant, ce qui témoigne de la difficulté pour une part importante de nos concitoyens à se saisir de ces nouveaux outils. Cette situation entraîne, comme l'a fait observer le Défenseur des droits, de nombreuses atteintes aux droits des usagers, mais encourage également le développement d'un marché parallèle privé inacceptable.

Dans ces conditions, je souhaite que l'usager soit remis au centre des préoccupations et qu'il bénéficie en toute circonstance d'une diversité de moyens pour échanger avec l'administration. C'est pourquoi je propose, d'une part, de soutenir et d'amplifier les initiatives mises en oeuvre par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), et, d'autre part, d'imposer le maintien d'un échange non dématérialisé entre l'usager et l'administration.

Ensuite, je souhaite faire observer que, depuis 2013, ce sont 2 781 emplois équivalents temps plein (ETP) qui ont été retirés du réseau des services des impôts des particuliers, ce qui est loin d'être négligeable. Or, dans ce contexte de restructuration très intense des implantations et des effectifs, les solutions d'accompagnement m'apparaissent largement insuffisantes. Il y a la dématérialisation, dont j'ai indiqué qu'elle participait à aggraver les inégalités, mais également le développement de structures d'accueil mutualisé comme les MSAP, ou encore celui d'instruments de planification tels que les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services publics.

Ces deux derniers outils souffrent de plusieurs défauts. Ainsi, les MSAP m'apparaissent reposer sur un modèle inéquitable de partage des coûts entre l'État, ses opérateurs et les collectivités territoriales. Au-delà de la question de la prise en charge des frais de formation des agents, il ne me paraît pas justifié que les collectivités assument à elles seules 50 % des financements alloués à ces structures. Alors qu'une montée en gamme de plusieurs MSAP est nécessaire d'ici à 2022 pour qu'elles obtiennent le nouveau label « maison France services », je suggère qu'une partie des frais engagés par les collectivités territoriales soit prise en charge par l'État.

Les schémas départementaux, quant à eux, partent d'une idée correcte : l'implication de l'ensemble des acteurs déconcentrés et décentralisés dans la formulation d'un diagnostic et d'un projet d'amélioration de l'accessibilité des services publics. J'estime néanmoins regrettable que certaines administrations, comme la Direction générale des finances publiques (DGFiP), ne soient pas concernées par l'élaboration de ces schémas et je propose d'y remédier. Je souhaite également vous faire part de ma très grande inquiétude concernant l'évolution de l'offre publique et libérale de soins dans les territoires, qui témoigne de l'échec des instruments de régulation en vigueur.

Comme je l'indique dans mon rapport, les temps d'accès aux établissements hospitaliers se sont aggravés dans les territoires ruraux sous l'effet des restructurations intervenues depuis 2004. Par exemple, les distances entre l'établissement le plus proche et le domicile des usagers ruraux ont augmenté deux fois plus rapidement que dans les zones urbaines en quinze ans. Cette détérioration des conditions d'accès aux soins ne semble pourtant pas se justifier par des gains d'efficience qui semblent plutôt rares, comme en témoigne la dégradation des résultats financiers des hôpitaux publics depuis 2002. Dans ces conditions, j'estime qu'un audit spécifique des gains tirés de la restructuration des établissements hospitaliers doit être produit le plus rapidement possible.

Cette situation se cumule avec une dégradation de l'accès aux soins libéraux dans les territoires ruraux, mais également dans les territoires classés prioritaires en politique de la ville. Il est temps de rouvrir le chantier de la régulation de l'implantation des médecins libéraux soit au travers d'un contrôle sur l'octroi des autorisations d'exercer sur un territoire, soit par l'instauration d'un conventionnement sélectif.

En deuxième lieu et s'agissant de l'exercice des missions régaliennes, des efforts ont été fournis, non sans contrepartie, en faveur de la sécurité des Français, mais les moyens dédiés au contrôle de légalité se sont réduits. La police et la gendarmerie ont ainsi maintenu depuis 2008 une présence stable de leurs effectifs de proximité, alors que, dans le même temps, les effectifs totaux de ces institutions diminuaient fortement. Cet effort s'est fait, toutefois, au prix d'une dégradation des moyens d'intervention de nos forces.

À la suite de notre collègue Philippe Dominati, j'ai rappelé, dans mon rapport, que la part des dépenses hors T2 dans l'ensemble des budgets de la police et de la gendarmerie avait été divisée par deux depuis 2006. Une conséquence pratique et visible de cette tendance réside, par exemple, dans la diminution et le vieillissement du parc automobile de la police nationale depuis 2006. Tout en saluant l'effort produit en faveur d'une présence de proximité des forces de l'ordre, je crois utile d'appeler à un renforcement de leurs moyens matériels.

À l'inverse, je ne peux que critiquer les mouvements opérés concernant l'exercice du contrôle de légalité. La diminution de 30 % des effectifs entre 2009 et 2014 a eu des effets notables sur la capacité des services à exercer cette mission. Par ailleurs, je doute que le renfort prévu dans le cadre du plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) ne suffise à endiguer ce phénomène. Dans ces conditions, j'appelle à accroître les moyens dédiés à l'exercice du contrôle de légalité, qui représente l'occasion d'un dialogue utile et sécurisant entre les élus et les services de l'État, notamment dans les communes rurales.

En troisième et dernier lieu, j'observe un affaiblissement très important des moyens d'action de l'État et de son lien avec les collectivités territoriales. Ce phénomène résulte, à mon sens, de réformes mal inspirées en matière d'organisation des services déconcentrés, d'aménagement du territoire ou de répartition des trésoreries, mais, également, d'une maîtrise insuffisante des dépenses des opérateurs. L'État a cherché plus que de raison à favoriser et à adapter ses services à ce qu'on qualifie de « fait régional ». En renforçant les moyens réglementaires et matériels des préfectures de régions, il a réduit ceux des préfectures de départements et des sous-préfectures, qui constituent pourtant les échelons les plus pertinents pour maintenir avec les citoyens et les élus un lien de proximité, de confiance et d'action.

L'administration m'a assuré du souhait partagé au plus haut niveau de l'État de renforcer, désormais, les préfectures de département. J'attends néanmoins de voir quelle forme prendra cette volonté en pratique. Il faudra de toute évidence redonner aux sous-préfectures les moyens qui aujourd'hui leur manquent. J'estime, par ailleurs, que l'État a trop longtemps cherché la bonne formule en matière d'aménagement du territoire.

La suppression de la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) au profit du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) « agrégateur de décisions mineures », selon la formule de nos collègues Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ, a participé à réduire les moyens dédiés à cette politique, ce que je ne peux que regretter.

La création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) m'apparaît comme une bonne piste puisque celle-ci pourra, entre autres, fournir aux collectivités territoriales une offre d'ingénierie nécessaire au développement de leurs projets. Le rôle de délégué dévolu au préfet de département dans cette architecture va dans le bon sens. Toutefois, j'attends qu'une place plus centrale soit faite aux sous-préfets et je propose que leur rôle soit également consacré.

La réforme des trésoreries dédiées à l'accompagnement des collectivités territoriales me paraît devoir faire l'objet d'une attention particulière. Depuis 2013, ce sont 1 315 emplois équivalents temps plein qui ont été retirés de ces structures. La concertation qui s'ouvre devra prendre en compte plusieurs nécessités.

D'abord, il est absolument nécessaire de tenir compte de la crainte exprimée par de nombreuses associations d'élus de voir le comptable public s'éloigner géographiquement des collectivités territoriales de son ressort. En effet, et à l'instar du contrôle de légalité, la relation entre le comptable public et les élus locaux est un élément sécurisant pour ces derniers.

Ensuite, nombre de problématiques ne sont aujourd'hui pas résolues. Je pense, par exemple, à l'encaissement des recettes en liquide des régies municipales. Il serait utile que de vraies solutions soient trouvées avant d'envisager de restructurer certaines implantations.

Enfin, je voudrais faire part de mon grand étonnement à voir l'État laisser perdurer des situations de dérapages financiers au sein de certaines agences. Je pense en particulier à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et aux agences de l'eau. Par exemple, entre 2009 et 2018, les dépenses de personnel de l'Ademe ont augmenté de 15 % tandis que, sur la période 2007-2013, celles des agences de l'eau augmentaient de 13 %. Alors que les dérapages ont été plusieurs fois mis à jour par la Cour des comptes, j'émets des réserves sur la pertinence de ces structures dont les missions pourraient être exercées autrement.

Au terme de la présentation générale des principales observations de ce rapport consacré à l'implantation des services de l'État dans les territoires, je voudrais vous indiquer ma profonde conviction quant à l'importance de favoriser un lien de confiance et de proximité entre l'État, les élus locaux et nos concitoyens. Les recommandations que je formule vont dans cette direction.

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