Intervention de Odile Renaud-Basso

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 février 2020 à 9h35
Audition de Mme Odile Renaud-basso directrice générale du trésor

Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor :

Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à venir m'exprimer ce matin devant la commission des finances du Sénat pour vous présenter l'actualité de la direction générale du Trésor.

Je consacrerai tout d'abord ce propos liminaire à vous présenter brièvement les missions et les moyens de la direction générale du Trésor, avant de dresser un panorama de la situation économique mondiale et nationale, et de vous présenter quelques grands chantiers qui nous attendent cette année.

Notre rôle est de proposer et de mettre en oeuvre, sous l'autorité des ministres, la politique économique du Gouvernement, dans ses dimensions nationale, européenne et internationale. Comme vous le savez, la direction du Trésor est le résultat de la fusion de trois directions d'administration centrale en 2004 : la direction de la prévision et de l'analyse économique, la direction du Trésor stricto sensu et la direction des relations économiques extérieures. Ces trois directions avaient des fonctions à la fois de prévision et d'analyse des politiques économiques, de gestion de la dette, des questions financières nationales et internationales, et des questions commerciales internationales.

Nous avons désormais un rôle de suivi de la conjoncture économique française et internationale, de prévision en matière de croissance, de compétitivité, d'emploi, de production, d'analyse sur les politiques publiques, les finances publiques et les politiques sectorielles, de participation aux négociations sur les dossiers économiques et financiers européens, de régulation du secteur financier, à savoir assurances, banques, marchés financiers, et de négociation européenne sur ces sujets. Nous assurons également le suivi des questions commerciales et financières multilatérales et la défense des positions françaises sur la scène internationale, la supervision de la politique française de développement dans ses aspects financiers, la tutelle de l'Agence française de développement (AFD) et des banques multilatérales de développement. Enfin, nous proposons un soutien à l'internationalisation des entreprises françaises.

En parallèle, deux structures sont rattachées à la direction générale : l'Agence France Trésor, qui gère la trésorerie et la dette de l'État, et la mission d'appui au financement des infrastructures (Fin Infra), qui travaille sur le financement des infrastructures, avec un rôle de conseil auprès des autres ministères ou des entités publiques au général, y compris les collectivités locales.

Pour accomplir ses missions, les agents de la direction générale Trésor sont aujourd'hui près de 1 300 : 729 équivalents temps plein (ETP) en administration centrale et 603 ETP dans le réseau international. La tendance est à la réduction des effectifs à l'international puisque le réseau est passé, entre 2009 et 2019, de 1 339 à 603 personnes. Cette évolution est liée à la dévolution progressive des missions commerciales à UbiFrance, devenu Business France, et à un effort de réduction des effectifs. Cette évolution est appelée à se poursuivre, puisque, comme vous le savez sans doute, le Gouvernement a décidé un rapprochement des fonctions support des différents réseaux à l'étranger, avec un objectif de réduction de la masse salariale de notre réseau à l'étranger de 5,9 % à l'horizon de 2022.

Il y a globalement un effort de rationalisation, avec, notamment, une stratégie de régionalisation, une plus grande priorisation des activités en fonction des zones et un pilotage plus fin des services à l'étranger. En parallèle, nous avons engagé un exercice de réforme et de réflexion interne sur le fonctionnement et le positionnement stratégique de la direction générale du Trésor, que l'on a appelé la démarche Trésor 2020, avec un plan d'action fondé sur trois grands axes : rendre la direction générale du Trésor plus innovante, ouverte sur l'extérieur et prospective ; mettre en place une organisation plus matricielle, avec des fonctions transversales sur des sujets par nature totalement transversaux, comme la transition énergétique et climatique ou la transition numérique, qui représentent de nouveaux défis en matière de régulation ou de fiscalité ; la fonction Ressources humaines (RH) à travers un recrutement de qualité.

J'en viens au fond des sujets.

Sur le plan international, nous ne sommes pas dans une situation de crise majeure, mais les risques persistent. Après deux années de net ralentissement, l'économie mondiale montre des signes de stabilisation en début d'année, avec une croissance mondiale qui devrait être inférieure à 3 % en 2019, alors qu'elle était de 3,6 % en 2018. Des organismes internationaux prévoient un rebond en 2020 et 2021, mais son ampleur varie selon les organismes. Je reviendrai sur la question du coronavirus, parce que l'impact peut être non négligeable.

Premier facteur de risque, les tensions commerciales, et notamment les nouveaux risques qui courent sur les fronts européen et français. Ces tensions commerciales ont, depuis douze ans, contribué à un ralentissement très marqué du commerce mondial. Aujourd'hui, les montants en jeu entre l'Union européenne et les États-Unis demeurent limités, puisque moins de 80 milliards d'euros de produits sont potentiellement concernés, et seuls 7,5 milliards de dollars de droits de douane sont effectifs à l'heure actuelle, contre 370 milliards encore en place à l'égard de la Chine, même après l'accord de phase 1 signé en janvier dernier. Depuis l'instauration des mesures tarifaires sino-américaines, les échanges entre ces deux pays ont diminué de plus de 10 %, ce qui a entraîné un ralentissement du commerce mondial.

Deuxième facteur de risque, le Brexit. Il reste à négocier toute la partie relation future dans un délai extrêmement contraint, avec des positions de négociations de départ qui sont assez éloignées. Quelle que soit l'issue des négociations, il est clair que l'impact sera beaucoup plus fort pour le Royaume-Uni que pour l'Union européenne, et il sera même relativement faible pour la France. L'objectif des négociations doit être d'aboutir à des conditions de concurrence équitables, notamment au regard des aides et des règles environnementales.

Le troisième risque, c'est la persistance du ralentissement industriel dans la zone euro, notamment en Allemagne dans le secteur automobile, ralentissement qui pourrait se propager au reste de l'économie. À ce stade, les services résistent plutôt bien, mais les derniers indicateurs industriels ne sont pas très bons. Nous nous interrogeons sur les causes de cette évolution.

Enfin, quatrième facteur de risque, la croissance chinoise, déjà en ralentissement du fait de la transition du modèle chinois, sera impactée par l'épisode du coronavirus, même s'il est difficile de prédire dans quelle mesure. En 2003, l'épisode du SRAS avait eu un impact limité, mais le poids de l'économie chinoise a, depuis, beaucoup évolué. À ce stade, toutes les hypothèses sont sujettes à caution, mais, selon nous, si les choses se stabilisaient au niveau d'aujourd'hui, l'épidémie de coronavirus pourrait coûter 0,2 point de croissance au niveau mondial, et 0,1 point de croissance pour la France.

Sur le plan national, l'économie française a été relativement résiliente au cours de l'année 2019, même si l'activité a marqué un coup d'arrêt au quatrième trimestre, avec une croissance de 0,1 %, les trois premiers trimestres ayant connu une activité plus soutenue autour de 0,3 % à 0,4 %.

Nous avons une croissance tirée essentiellement par l'investissement et la consommation. La production industrielle a baissé de 1,6 % au quatrième trimestre, avec notamment des difficultés du secteur automobile. Les indicateurs conjoncturels relatifs au premier trimestre de 2020 témoignent d'une activité qui devrait reprendre à un rythme tendanciel. En fait, tous les prévisionnistes ont été pris un peu par surprise sur le dernier trimestre, parce qu'il y a eu un décalage entre les indicateurs d'activité et les indicateurs de confiance.

La question qui se pose est celle de l'ampleur du rebond, mais, à ce stade, nous sommes plutôt confiants, avec, quand même, l'hypothèque et l'incertitude liées à la fois au contexte commercial et au coronavirus.

L'effet principal, à très court terme, concernera le tourisme. Les Chinois représentent une part non négligeable des touristes en France, et surtout une part importante des achats réalisés dans notre pays.

Il y aura aussi certainement des effets sur les chaînes de production, notamment dans l'industrie automobile, un secteur où de nombreuses pièces détachées sont fabriquées en Chine. Cet effet est toutefois plus difficile à mesurer, des produits de substitution pouvant également être trouvés.

En 2020 et 2021, la consommation devrait être un facteur de soutien de la croissance en France. Les ménages ont enregistré de forts gains de pouvoir d'achat en 2019, notamment grâce aux baisses de prélèvements obligatoires et aux mesures d'urgence économiques et sociales. Nous avons enregistré dans un premier temps une augmentation de l'épargne, ce qui constitue un phénomène assez classique, l'effet sur la demande étant le plus souvent légèrement différé.

La croissance sera aussi soutenue par la forte diminution du chômage en 2019. La nouvelle baisse des prélèvements obligatoires en 2020 devrait également se répercuter progressivement sur la consommation des ménages, si l'épidémie de coronavirus ne vient pas assombrir les perspectives économiques.

L'investissement des entreprises est lui aussi extrêmement dynamique, en hausse de 4,2 % pour 2019, porté par le faible niveau des taux d'intérêt et par l'ensemble des mesures favorables à l'investissement productif, notamment la diminution de la fiscalité des entreprises. Celles-ci ont reconstitué leurs marges et les conditions financières devraient rester très favorables en 2020.

Les résultats du commerce extérieur ont été plutôt positifs en 2019, avec une augmentation de 2,5 % des exportations de biens, malgré une demande mondiale déprimée. La situation du commerce extérieur demeure fragile en raison de sa dépendance à un certain nombre d'industries comme l'aéronautique et la pharmacie, mais l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises et leurs efforts importants pour maîtriser les coûts salariaux les placent dans une position assez favorable pour bénéficier du rebond prévisible de la croissance mondiale à l'horizon de 2021.

À moyen terme, la croissance potentielle de la France devrait s'établir à 1,35 %, dans un environnement international néanmoins incertain.

Pour 2020 et les années à venir, nos priorités à l'international consistent à promouvoir des solutions multilatérales pour éviter l'aggravation des tensions commerciales et à lutter contre le réchauffement climatique en mobilisant tous les outils disponibles, notamment le mécanisme d'inclusion carbone européen, qui doit permettre d'éviter que les émissions n'augmentent dans les pays tiers par l'effet des délocalisations.

Nous sommes également fortement mobilisés sur le pacte productif, un projet structurant pour le ministère des finances. Lancé par le président de la République en avril dernier, il devrait faire l'objet d'annonces au cours du premier semestre 2020. À partir d'un diagnostic sur le tissu productif français, publié dans le rapport économique, social et financier (RESF) d'octobre dernier, certaines orientations ont été définies, comme l'objectif d'une économie zéro carbone en 2050, l'anticipation des besoins de compétences et des enjeux de formation, le soutien à l'innovation technologique - nous voulons éviter que l'Europe ne se trouve dominée par des acteurs externes - ou encore la volonté d'être encore plus compétitifs pour produire davantage en France et engager un nouvel acte de décentralisation économique.

Il faut noter qu'un grand nombre de ces priorités sont partagées par la nouvelle Commission européenne.

Nous travaillons aussi sur le renforcement de la zone euro. Beaucoup a déjà été fait sur la mise en place des mécanismes de coordination, de supervision et de soutien financier en cas de crise. Mais il reste encore du chemin à parcourir, notamment pour mettre en place un budget de la zone euro ou renforcer l'union bancaire. Il nous faut aussi négocier un accord de transposition des accords de Bâle conforme à nos intérêts, suffisamment prudent, mais qui ne pèse pas trop lourdement sur le financement de l'économie européenne. Enfin, nous devrons nous préoccuper de la directive Solvabilité 2 sur la réglementation des assurances.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion