Intervention de Odile Renaud-Basso

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 février 2020 à 9h35
Audition de Mme Odile Renaud-basso directrice générale du trésor

Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor :

Pour ce qui est du Brexit, les services financiers ne feront pas partie de l'accord global de libre-échange - Michel Barnier l'a dit très clairement. En matière de services financiers, la régulation des relations futures va se faire par ce qu'on appelle le régime des équivalences : l'Union européenne examine la réglementation du pays tiers et vérifie si elle est ou non équivalente à la sienne.

Ce système régit un certain nombre d'activités, la gestion d'actifs ou les activités de compensation par exemple. Le passeport européen, donc l'implantation d'une entité dans l'Union européenne, est nécessaire, en revanche, pour pouvoir exercer une activité bancaire dans l'espace européen.

Une grande partie de l'activité financière sera néanmoins régulée par le système des équivalences, qui est un système unilatéral : c'est l'Union européenne qui décide de reconnaître ou pas l'équivalence des règles britanniques et des règles européennes - ce régime, nous le connaissons pour l'appliquer avec les États-Unis ou le Japon par exemple.

Toute négociation, en la matière, a été clairement refusée : ce dispositif est la condition du maintien de notre souveraineté en matière de réglementation. Une incertitude est créée, de facto, pour les acteurs financiers, ce qui pourrait susciter des relocalisations dans l'Union européenne. Certaines grandes banques ont d'ores et déjà pris des décisions, en amont du Brexit, de relocalisation dans la zone euro, qu'il s'agisse de créer des entités juridiques ou de déplacer des activités de place de marché. Globalement, la France se montre relativement attractive là où il s'agit de récupérer des salles de marché, Francfort attirant plutôt les entités juridiques.

Les États membres seront extrêmement vigilants à maintenir l'unité de l'Union européenne, ce qu'ils ont très bien réussi à faire pendant la première phase de négociation. Il faut continuer de fonctionner ainsi, car l'unité fait la force : restons très unis derrière la Commission et évitons les négociations parallèles. De ce point de vue, le maintien de la structure de négociation autour de Michel Barnier est une garantie de cohésion. La Commission veille par ailleurs à un minimum de convergence dans les exigences s'appliquant à la reconnaissance par chaque pays d'acteurs britanniques - c'est le rôle des agences de supervision que sont l'ESMA - l'Autorité européenne des marchés financiers - et l'EIOPA - l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.

Concernant la mission d'accessibilité de La Banque postale, la négociation recommence avec la Commission européenne pour la période 2021-2026. Chacun reconnaît l'importance de cette mission d'accessibilité : si La Banque postale n'existait pas pour répondre à leurs besoins, 1,5 million de personnes rencontreraient des difficultés d'accès aux services bancaires classiques. C'est frappant : 40 % des opérations aux guichets, à La Banque postale, sont réalisées sur livret A - il s'agit donc de toutes petites opérations. Cette mission est reconnue comme telle par la Commission européenne ; le problème est d'évaluer exactement le niveau de compensation dont elle doit faire l'objet à ce titre. Cette banque est la seule à disposer d'un maillage territorial aussi large et d'un dispositif d'accueil adapté ; son activité sera pérennisée et nous la défendrons à Bruxelles.

Par ailleurs, il est clair que la politique monétaire de taux très bas, qui est aujourd'hui justifiée par le niveau très bas d'inflation et le besoin de soutenir l'activité économique, peut présenter des risques en matière d'instabilité financière, de surendettement et de création de bulles ; d'où une vigilance très importante de la part du HCSF. Le HCSF suit très étroitement l'évolution du crédit dans les différents secteurs.

Il faut savoir par ailleurs qu'un dispositif de surveillance macroprudentielle existe aussi au niveau européen, avec l'ESRB - le Conseil européen du risque systémique -, mis en place au moment de la crise financière, qui a notamment alerté les autorités françaises sur l'évolution du crédit immobilier. Il a émis un certain nombre de recommandations adoptées il y a quelques semaines par le HCSF : pas de crédits immobiliers d'une durée supérieure à vingt-cinq ans, le taux d'endettement devant être inférieur à 33 % des revenus du ménage après impôts - une marge de flexibilité est néanmoins laissée aux banques à hauteur de 15 % des crédits, notamment pour prendre en compte la situation particulière des primo-accédants. Nous verrons s'il est nécessaire de prendre des mesures additionnelles ; nous souhaitons en tout cas éviter un emballement du crédit qui serait néfaste à la situation des ménages.

Le papier que nous avons publié sur le signal-prix et les outils économiques pertinents en matière de pollution de l'air est un papier d'économiste. Du point de vue de la théorie économique, l'effet du signal-prix sur les comportements est le plus immédiat.

Cela dit, il faut bel et bien prendre en compte l'acceptabilité de telles mesures et l'impact du prix sur les acteurs les plus fragiles. La taxation ne saurait seule contribuer à la transition écologique ; il est important par exemple de faciliter les flux d'investissement et de financement, public et privé, vers les activités vertes.

La réglementation est un autre outil indispensable ; elle n'est pas sans effets économiques - je pense aux efforts d'adaptation demandés à l'industrie automobile - et il arrive qu'elle soit difficile à accepter - je pense à certaines réglementations très restrictives en matière d'isolation des logements.

Il existe d'ailleurs un consensus, aujourd'hui, pour dire que tout dispositif de taxation doit s'assortir de mesures d'accompagnement à destination des populations les plus fragiles.

Il en va de même pour la mise en place de péages urbains : économiquement, l'effet est évident ; mais il s'agit d'une décision fondamentalement politique. Les études que nous réalisons peuvent éclairer le débat, mais ne sauraient se substituer au choix politique, qui doit tenir compte de l'existence ou non de dispositifs alternatifs de transports publics. L'objectif de nos analyses n'est pas un objectif de finances publiques ; il est d'éclairer l'effet relatif des différentes mesures envisagées.

Quant aux prévisions de croissance, je me garderai d'en donner de nouvelles - je laisse cette responsabilité au Gouvernement, qui présentera la nouvelle prévision en avril, lors de la présentation du programme de stabilité. Il est trop tôt aujourd'hui pour vous donner le sens de cette révision, mais il est clair que, par rapport au chiffre initial de 1,3 %, la tendance est plutôt légèrement à la baisse.

La réduction du nombre d'avis émis par Fin Ifra est liée à celle du nombre de PPP, dossiers où l'avis de cette structure est obligatoire. L'activité de Fin Ifra ne se limite toutefois pas aux PPP : elle contribue aussi à éclairer les choix sur tous les montages en matière de financement d'infrastructures, de mise en place de sociétés de projet, concessions, etc. en émettant un avis sans obligation.

Aujourd'hui, le PPP est moins développé et utilisé. Son bilan est nuancé. Cet instrument est parfois difficile à manier, car il exige d'être précis et exhaustif d'emblée : toute modification est coûteuse. La révision du mode de comptabilisation des PPP en matière de comptabilité publique et de normes maastrichtiennes a également entraîné une neutralisation de l'effet de trésorerie, qui pouvait être bénéfique. Aujourd'hui, la dépense n'est plus étalée. Par conséquent, l'intérêt comptable est moindre qu'avant.

On prévoit une remontée très progressive des taux d'intérêt : la loi de finances pour 2020 indique que le taux à dix ans atteindrait 0,7 point fin 2020. Cela peut paraître beaucoup au regard de la situation actuelle, mais il est raisonnable d'avoir une approche prudente. Il est toutefois probable que la politique monétaire reste accommodante, car l'inflation est contenue.

Les perspectives du budget de la zone euro sont très liées aux discussions sur les perspectives financières. Un accord s'est dégagé sur la création d'un instrument budgétaire de convergence et de compétitive dédié à la zone euro (IBCC) et financé sur le budget de l'Union européenne. Nous continuons de plaider pour un accord intergouvernemental par lequel les pays s'engageraient à apporter des ressources supplémentaires affectées, en complément de la contribution au budget de l'Union européenne. Cela fait encore aujourd'hui l'objet de divisions importantes au sein de la zone euro. Le règlement de cet instrument comportera une clause d'habilitation permettant de le compléter par un accord gouvernemental et des ressources supplémentaires. C'est un tout premier pas. Nous restons convaincus que, dans la durée, la solidité de la zone euro sera liée à l'existence d'un outil budgétaire plus important, qui aura une fonction de stabilisation.

Avoir une politique monétaire unique et dix-neuf politiques budgétaires plus ou moins coordonnées est source de fragilité pour la zone euro. Il est donc très important d'avoir la capacité de réagir de manière collective en cas de ralentissement, pour assurer à terme la solidité de la zone euro. La Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI) et toutes les institutions internationales plaident en faveur de cet instrument, même si c'est un sujet difficile en matière de souveraineté pour certains pays.

Sur les questions commerciales, l'Union européenne n'est pas restée sans rien faire. Elle a des discussions avec les États-Unis et est très active dans les différentes enceintes, notamment la « Trilatérale », pour trouver des solutions et promouvoir de nouvelles approches permettant de régler un certain nombre de difficultés ou de préoccupations, par exemple le droit des subventions à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou la prise en compte de subventions distorsives qui déséquilibrent le jeu concurrentiel. Il s'agit d'apporter des solutions structurelles à des préoccupations réelles.

L'accord sino-américain ne traite aucun sujet structurel, à part celui de la propriété intellectuelle, et ne réforme pas le droit commercial international. Il a essentiellement une approche mercantiliste.

Sur les sanctions sur l'acier et l'aluminium, qui est l'un des contentieux qui nous opposent aux États-Unis, l'Union européenne a pris des mesures de rééquilibrage - pour une valeur de 2,8 milliards d'euros - pour compenser les décisions américaines.

Les États-Unis ont pris de nouvelles mesures augmentant notamment les droits de douane additionnels sur les avions. Les autres mesures sont d'une ampleur assez limitée, même si cela peut avoir un impact sectoriel réel, par exemple pour le secteur du vin. La stratégie européenne est de se préparer à prendre des mesures inverses, une fois que sera connue la décision de l'OMC sur le contentieux Boeing, qui devrait intervenir d'ici au mois de juin prochain. Il s'agira alors d'instaurer un dialogue avec les États-Unis pour qu'une solution soit trouvée, après que chacun aura pris des mesures contre l'autre. Il ne s'agit pas du tout d'avoir une approche passive ou de ne rien faire pour tenter d'amadouer nos partenaires américains.

Il n'est pas exclu que soient prises des mesures sur des contentieux plus anciens ; cela fait l'objet d'un débat et c'est l'une des possibilités en cours d'examen. Il est dans l'intérêt de chacune des parties de solder tous les contentieux, d'autant que la Chine est en train de développer ses propres capacités aéronautiques. Nous avons donc des intérêts communs avec les États-Unis en la matière.

Nous suivons de très près l'affaire Morgan Stanley et nous avons examiné attentivement la décision de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Aucune décision n'est encore prise quant aux conséquences à tirer des comportements de la banque : le sujet est en cours d'examen par l'Agence France Trésor.

Concernant Bâle 3, c'est assez est clair : comme après chaque accord, il faut une transposition par le droit de l'Union européenne dans chaque juridiction. La Commission européenne doit formuler des propositions. Des marges de manoeuvre existent quant à la façon de transposer les règles et les principes agréés à Bâle : des options et des façons sont possibles. Nous travaillons très étroitement avec la Commission européenne et l'ensemble des partenaires sur ces sujets.

Notre objectif est de prendre en compte la spécificité et le poids du financement bancaire dans l'Union européenne et de préserver à la fois la stabilité financière et la compétitivité. Un accord politique a eu lieu entre les ministres des finances de l'Union européenne pour que la révision de Bâle 3 ne se traduise pas par une augmentation substantielle des exigences en fonds propres. Cela reste notre objectif.

Sur ces sujets-là, les discussions européennes sont toujours difficiles, les intérêts des uns et des autres pouvant diverger. Nous serons très mobilisés sur ces questions, car nous avons conscience de l'importance de l'enjeu.

Il est toujours très délicat pour un ministère des finances de se prononcer sur les objectifs de la politique monétaire de la BCE. Sur la révision de la cible d'inflation, je serai extrêmement prudente. En effet, on n'a pas atteint la cible d'inflation depuis plusieurs années en raison d'un contexte particulier. En revanche, réviser à la baisse la cible d'inflation reviendrait à envoyer un signal extrêmement problématique et, pour une zone monétaire unique, rendrait aussi très difficile toute convergence. Plus vous baissez la cible d'inflation, plus les capacités de rééquilibrer les divergences entre pays par une inflation plus rapide dans certains pays que d'autres seront limitées. D'ailleurs, au niveau académique, le débat porte plutôt sur la question de l'augmentation de la cible d'inflation.

L'ancien président de la Commission européenne a exprimé la volonté, reprise par l'actuelle présidente, de négocier un accord commercial avec les États-Unis sur les sujets non agricoles, c'est-à-dire sur les biens industriels et les questions de standards. Jusqu'à présent, les négociations n'avaient pas vraiment commencé. Nous sommes très vigilants pour que le champ agricole reste exclu de ces discussions. D'ailleurs, aujourd'hui, il ne figure pas dans le mandat donné à l'Union européenne. Il s'agit là d'une ligne rouge, mais qui pourrait être un point de désaccord avec les États-Unis qui souhaitent que le champ agricole soit inclus.

La question du financement des petits candidats a fait l'objet de l'attention et de la vigilance du Gouvernement. Un médiateur a d'ailleurs pour mission de nous alerter et d'alerter également les banques en cas de difficulté.

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