Intervention de Odile Renaud-Basso

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 février 2020 à 9h35
Audition de Mme Odile Renaud-basso directrice générale du trésor

Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor :

Vous m'avez d'abord interrogée sur les moyens humains dans les territoires : nous n'avons pas de réseau territorial en France, mais nous en avons un à l'international. Autrefois, dans les directions de l'industrie à l'échelon territorial, des personnes suivaient le commerce extérieur, mais nous avons souhaité rationaliser notre organisation pour réaliser des économies budgétaires et mettre en place la Team France Export avec Business France, les chambres de commerce et BPIFrance, qui prennent en charge la relation avec les entreprises désireuses d'exporter.

Nous sommes membres de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. Nous n'exerçons pas une tutelle classique, car il s'agit d'un établissement sui generis, sous le contrôle du Parlement. Nous jouons un rôle particulier en ce qui concerne les fonds d'épargne, l'État étant garant in fine de ces fonds. Tous les emplois sont décidés sur autorisation du ministre des finances. Nous suivons l'activité de la Caisse des dépôts et consignations de façon étroite, cet établissement de premier plan jouant un rôle important en tant qu'investisseur, mais aussi dans la mise en oeuvre des politiques publiques.

Nous sommes très favorables au renforcement européen de la surveillance des règles anti-blanchiment. Le système français, même s'il est toujours perfectible, est solide. Tracfin fonctionne bien, les institutions financières signalent les cas douteux. Nous allons être évalués par le groupe d'action financière (GAFI) cette année, c'est un moment important pour nous. Cela étant, nous avons constaté de très grosses défaillances en Europe, notamment dans les banques nordiques. Un renforcement du cadre européen est donc indispensable, pour des raisons de crédibilité, et ce pour tout le monde. Nous sommes favorables à la mise en place d'une institution européenne unique qui travaille avec les institutions nationales. Nous pensons par ailleurs qu'il est préférable de procéder par la voie du règlement plutôt que par celle de la directive afin d'être sûr que tout le monde applique bien le droit de la même façon, et de façon plus rapide.

Il n'y aura pas de droit spécifique pour les équivalences pour le Royaume-Uni. En revanche, nous adaptons le droit des équivalences pour tenir compte du Brexit et du fait que l'un de nos plus importants partenaires financiers sera en dehors de l'Union. Ce nouveau droit sera applicable à tout le monde. Nous effectuerons ensuite des revues régulières pour vérifier que le droit évolue de façon parallèle.

Nous sommes convaincus qu'une relocalisation des chambres de compensation dans la zone euro est nécessaire, pour des raisons de stabilité financière. La directive MiFID II redéfinit le cadre de supervision des chambres de compensation, soit en posant des conditions de localisation, soit en permettant une véritable supervision renforcée dans des pays tiers. C'est un sujet de très grande vigilance de notre part. La mise en place d'un régime d'équivalences, qui est source d'incertitudes, devrait tout de même inciter à la relocalisation.

Le système bancaire français est soumis à rude épreuve en raison à la fois de la numérisation et de la dématérialisation croissante des échanges. Nous conservons toutefois un maillage territorial assez important, notamment grâce au réseau mutualiste. Les banques ont tendance à réduire leurs effectifs déployés dans les territoires, notamment les grandes banques comme la Société générale et la BNP. Elles s'adaptent au nouveau cadre, à la pression sur les marges et à l'émergence de nouveaux modes de relations bancaires.

Nous partageons tout à fait l'idée que, pour lutter contre le changement climatique, des investissements massifs sont nécessaires pour déployer de nouvelles technologies, dans le secteur de l'hydrogène par exemple. De tels investissements doivent se faire dans le cadre européen, comme pour le plan Batteries. C'est l'un des objectifs du pacte productif, qui vise à favoriser et à financer l'innovation dans ces domaines et à obtenir des entreprises qu'elles s'engagent à réduire leur empreinte carbone.

Dans ces domaines, des dérogations au régime des aides d'État nous semblent utiles, afin de faire face aux enjeux.

Nous ne savons pas mesurer l'impact sur la croissance française de l'extraterritorialité du droit américain, mais je ne pense pas que cela ait un véritable impact macro-économique pour notre pays. En revanche, l'impact est très clair pour des pays comme l'Iran. C'est un sujet extrêmement complexe sur lequel il faut une approche multidimensionnelle impliquant le renforcement de l'euro, des instruments financiers du type Instex - Instrument in Support of Trade Exchanges -, même s'ils ont aussi leurs limites, une capacité de réaction au niveau européen, la mise en place aussi de nos propres outils, comme la France a su le faire avec Airbus.

S'agissant du Green Deal, la Banque européenne d'investissement va devenir un acteur majeur du financement des projets verts, puisque 50 % de ses projets devront relever de cette catégorie et qu'elle doit sortir du financement des énergies fossiles. Des critères d'évaluation permettent de définir les investissements publics considérés comme verts. C'est plus délicat s'agissant des investissements privés : c'est pourquoi nous nous sommes mis d'accord au niveau européen sur une taxonomie qui permet de classer les investissements privés par type et qui leur confère un standard commun. L'étape suivante sera de définir des labels de certification. Face à la tentation du greenwashing, nous avons tout intérêt à définir des nomenclatures et des outils de mesure communs pour les investissements publics et privés.

S'agissant de l'union bancaire, le Fonds de résolution unique intervient auprès des plus grandes banques, les plus systémiques. En revanche, il se considère comme non compétent pour les banques petites et moyennes. Il n'y a donc pas de cadre suffisamment défini pour ces dernières et l'on a pu constater des contournements du principe d'union bancaire. Des travaux sont en cours pour essayer de définir un cadre commun à toutes les banques et éviter de retomber dans les errements du passé.

Sur le franc CFA, nous continuons à apporter une garantie, mais il y a une réforme substantielle de la gouvernance. La direction générale du Trésor continuera à dialoguer avec les pays concernés et à suivre de très près ces économies. Nous ne sommes plus dans la gouvernance, mais il existe des mécanismes de déclaration afin de regarder au plus près l'évolution des comptes courants et des réserves de ces pays et de mesurer ainsi les risques d'appel de la garantie. L'arrimage à l'euro nous paraît être un élément très important de stabilité pour les pays concernés qui ont souhaité le maintien de ce dispositif. En Afrique de l'Ouest, on constate que le franc CFA et l'arrimage à l'euro ont été des facteurs de stabilité - faible inflation, croissance maintenue - et de cohésion de la zone. Quand l'Eco deviendra une réalité plus large, les choses pourront évoluer. Les pays d'Afrique de l'Ouest semblent d'ailleurs prêts à adopter le nom Eco. Ce changement de nom est élément important, compte tenu du poids symbolique du franc CFA. Cela doit faire l'objet de discussions entre les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et les pays dans la zone franc.

Compte tenu de la situation actuelle des taux, il est de l'intérêt des collectivités territoriales de continuer à déposer leurs fonds libres sur le compte du Trésor français. Certaines banques réfléchissent d'ailleurs à répercuter les taux négatifs sur les dépôts qui leur sont faits. Cela contribue à réduire le besoin d'émission de dette en réduisant les besoins de trésorerie à court terme.

Les cycles économiques existent et l'on ne pourra pas rester éternellement dans un cycle haussier. Mais il est vrai que la croissance économique américaine nous surprend par sa résistance et que certains concepts économiques classiques, comme la courbe de Phillips, sont remis en question : malgré un taux de chômage très bas aux États-Unis et en Allemagne, l'inflation y reste très limitée. Mais le cycle économique se retournera et, à ce moment-là, il faudra être prêt, avec des marges de manoeuvre pour réagir. D'où l'importance, pour le ministère de l'économie et des finances, de la soutenabilité des finances publiques et de la réduction des déficits, éléments importants de la stratégie économique du Gouvernement.

Sur la réduction des dépenses publiques, le Gouvernement a choisi, plutôt que de donner des coups de rabot qui conduisent ensuite à un ressaut de la dépense, de conduire des réformes structurelles aux effets importants en termes de dépenses publiques : la réforme de l'assurance-chômage, celle de la politique du logement, par exemple.

Un certain nombre de mesures ont été prises en matière de fiscalité, je pense notamment à la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés. Les mesures d'allégement de la fiscalité ont un effet sur l'emploi et la compétitivité de l'économie française : nous devons donc poursuivre cette stratégie. Dans le cadre du Pacte productif, nous devrons réfléchir aux moyens de réduire le poids des impôts productifs sur la compétitivité de nos entreprises, car nous sommes très en décalage par rapport à l'Allemagne. Nous devrons trouver les trajectoires qui nous permettront de financer de telles baisses.

Le système français a fait la preuve de sa solidité au cours de la crise. Nous avons l'un des secteurs bancaires les plus internationalisés et les plus solides. Mais la comparaison avec les banques américaines montre que les enjeux de compétitivité sont réels. Le fait d'avoir des banques capables de financer nos entreprises est aussi un enjeu de souveraineté. Nous devons donc rester très vigilants. Notre système bancaire est sans doute plus compétitif et moins concentré que le système américain, mais nous souffrons aussi de handicaps structurels plus importants, au regard notamment d'un plus faible développement des marchés financiers. Pour renforcer le système bancaire européen, nous devons donc développer l'union des marchés de capitaux et la titrisation, qui permettent d'alléger les bilans bancaires.

Le Gouvernement a pris une mesure sur la participation aux bénéfices dans le secteur des assurances. Il s'agissait de prendre en compte la situation particulière actuelle de taux bas, mais aussi d'assurer une comparabilité avec nos partenaires européens qui ont ce type de mesure. Elle est mise en oeuvre sous le contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), sans risque pour les épargnants. Elle permet de montrer une meilleure résilience des assureurs français en cas de choc, puisqu'ils peuvent alors, sur autorisation de l'ACPR, utiliser une partie de cette provision pour absorber des pertes exceptionnelles. Cela nous a semblé une mesure pertinente dans le contexte actuel de taux bas qui pèse sur le secteur de l'assurance.

Je n'ai pas d'éléments particuliers sur Arkéa.

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