Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, pour échanger sur plusieurs projets actuellement soumis à consultation : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
C'est l'occasion pour notre commission d'apprécier les premières mesures d'application concrète de la loi Énergie-Climat, récemment adoptée, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé.
Madame la ministre, avant de donner la parole à mes collègues, qui vous poseront leurs questions, assurément nombreuses, je souhaiterais vous faire part de mon sentiment sur notre stratégie énergétique et climatique.
Avant d'en venir précisément aux dispositions des projets précités, je voudrais faire une réflexion de nature plus institutionnelle.
Sous la Ve République, le Parlement fixe, à travers la loi, les principes et objectifs de la politique énergétique française. L'exécutif décline et précise ces objectifs dans différents documents programmatiques.
Or, lors de l'examen de la loi Énergie-climat, nous avons eu le sentiment d'une inversion de la hiérarchie des normes, le Gouvernement nous ayant proposé de décliner dans la loi les objectifs préalablement déterminés dans le projet de PPE.
Le nouveau projet que vous nous présentez prend en compte les dispositions de la loi, sous réserve de quelques points que nous examinerons, mais reste le sentiment, à sa lecture, que l'essentiel des objectifs stratégiques figure encore dans le décret, alors même qu'il devrait logiquement relever de la loi.
Je vous dis cela, non pour ressasser le passé - nous avons déjà eu l'occasion d'échanger autour de ce sentiment -, mais dans la perspective de la « loi quinquennale ». Il faut réfléchir, ensemble, aux éléments qui relèvent du débat démocratique devant la représentation nationale, donc de la loi, et à ceux qui relèvent de l'exécutif, donc du décret. Cela sera sans doute l'un des objectifs du suivi de l'application de la loi Énergie-Climat que nous effectuerons.
Mais venons-en aux projets de PPE et de SNBC.
S'agissant de la PPE, qui fixera de 2019 à 2028 les modalités d'action permettant d'atteindre nos objectifs énergétiques, je suis frappée par trois séries d'imprécisions sur des sujets pourtant cruciaux.
En premier lieu, le projet est muet sur la reprise éventuelle de la hausse de la composante carbone des taxes intérieures de consommation, hausse suspendue par la loi de finances pour 2019 face à l'ampleur de la contestation sociale qu'elle avait suscitée.
Le projet de PPE se contente d'évoquer des « mesures supplémentaires » nécessaires pour « obtenir des effets similaires à ceux de la composante carbone », qui s'appuieront notamment sur « les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ».
Quelle est l'intention du Gouvernement sur ce point ?
Pourriez-vous nous éclairer sur la façon dont les propositions de la Convention citoyenne - je comprends qu'elles relèveront tantôt de la loi, tantôt du décret, voire du référendum - s'articuleront avec la loi que nous venons d'adopter et le décret que vous venez nous présenter ? Peut-on imaginer que, dans deux mois, ces propositions viennent chambouler ces deux textes, dont l'encre est à peine sèche ?
En second lieu, le projet de PPE est flou sur le devenir de la filière nucléaire.
Alors que l'atteinte de l'objectif de 50 % de production d'électricité nucléaire en 2035 correspond à la fermeture de 14 réacteurs, selon l'étude d'impact et l'avis du Conseil d'État annexés à la loi Énergie-climat, la PPE évoque davantage de fermetures.
Il est indiqué, sous certaines hypothèses, que « la fermeture de deux réacteurs additionnels pourra intervenir à l'horizon 2025-2026, sur la base d'une décision à prendre en 2023 ».
Pouvez-vous nous éclairer sur cette hypothèse ? Quels seraient les réacteurs concernés ?
Plus largement, des questions importantes ne sont pas tranchées.
L'opportunité de lancer un programme de renouvellement du parc nucléaire est renvoyée à plus tard, la PPE se contentant d'évoquer la conduite par le Gouvernement et la filière d'un « programme de travail d'ici mi-2021 » et le lancement en parallèle d'une étude sur « la faisabilité technique d'un scénario 100 % renouvelable ».
Quel est l'état de votre réflexion sur ce sujet ? Quand le Gouvernement entend-il prendre une décision ?
S'agissant de la réforme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), aucun élément tangible ne figure dans la PPE, laquelle prévoit simplement que « le Gouvernement proposera les modalités d'une nouvelle régulation ».
Où en sont les négociations sur la réforme de l'Arenh, en particulier avec la Commission européenne ?
On lit dans la presse que le nouveau mécanisme contraindrait EDF à vendre la totalité de sa production - contre un quart aujourd'hui - à ses concurrents, avec un prix variant dans un « corridor », contre 42 euros aujourd'hui. Confirmez-vous ce schéma ?
Dans l'intervalle, doit-on s'attendre à un relèvement du plafonnement à 150 TWh du mécanisme de l'Arenh ou de son prix en fonction notamment de l'inflation, ainsi que vous y autorise la loi Énergie-Climat ?
En matière de recherche nucléaire, seules sont prévues des études sur le potentiel des petits réacteurs modulaires, dont le coût est plus faible que les réacteurs classiques, et un programme de R&D concourant à la fermeture du cycle, c'est-à-dire au remploi des déchets nucléaires comme combustibles.
Pourriez-vous nous apporter des précisions sur les objectifs, le calendrier et le financement de ces programmes ?
Je relève en revanche que la PPE prévoit explicitement le maintien « d'un éventuel déploiement industriel de parcs nucléaires à neutrons rapides ». La vigilance de notre commission quant au devenir du projet Astrid n'est peut-être pas étrangère à la modification sur ce point du projet de PPE - c'est en tous cas ce que nous nous plaisons à croire...
Enfin, pour ce qui concerne l'effort de formation, je relève que la filière nucléaire n'est pas même évoquée.
C'est regrettable, dans la mesure où le PDG d'EDF a identifié devant notre commission un déficit de compétences, notamment de soudeurs, comme l'une des causes des difficultés du chantier de l'EPR de Flamanville.
Ne pourrait-on pas valoriser davantage la filière nucléaire, notamment dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences ?
En troisième et dernier lieu, le projet de PPE ne comporte que des éléments très parcellaires sur son financement.
Dès lors, comment atteindre les objectifs affichés ?
Je pense, en particulier, à la rénovation énergétique de 2,5 millions de logements d'ici à 2023, au doublement des énergies renouvelables électriques d'ici à 2028 ou à l'acquisition de 1,2 million de véhicules électriques d'ici à 2023.
S'agissant de la SNBC, qui plafonne nos émissions de gaz à effet de serre dans des « budgets carbone » de 2019 à 2033, deux questions se posent.
D'une part, l'ambition affichée est-elle suffisante pour atteindre la « neutralité carbone » à l'horizon 2050 ?
Sur ce point, je rappelle que le Haut Conseil pour le climat (HCC) s'est ému de la faiblesse de la SNBC dans la mesure où les budgets carbone prévus jusqu'en 2028 sont supérieurs aux budgets actuels.
D'autre part, comment les professionnels peuvent-ils être accompagnés ? En effet, la SNBC s'appuie sur une baisse des émissions de gaz à effet de serre de moitié pour le secteur du bâtiment et d'un tiers pour celui du transport. Or le budget carbone actuel a été dépassé de 6 %, du fait de résultats moins bons que prévu dans ces secteurs particuliers.
Je vous remercie de nous apporter des éléments de réponse aussi précis que possible sur ces différents points, qui conditionnent la réussite de notre transition énergétique pour les prochaines années.
Avant de vous entendre, je passe la parole à M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie ».