Intervention de Elisabeth Borne

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 février 2020 à 17h35
Programmation pluriannuelle de l'énergie ppe — Audition de Mme élisabeth Borne ministre de la transition écologique et solidaire

Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Avec la promulgation de la loi Énergie-Climat, le 8 novembre dernier, notre pays s'est doté d'un objectif à la hauteur de l'urgence climatique : atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle. En trois mois, nous avons déjà bien avancé sur cette trajectoire.

Depuis trois semaines et jusqu'à demain, les projets de PPE et de SNBC sont soumis à consultation du public. Pour la première fois, nous présentons une stratégie nationale bas-carbone visant la neutralité, soit une ambition rehaussée, puisque cela revient à diviser nos émissions par 6 ou 8, au lieu de 4. Pour la première fois, aussi, nous avançons une PPE cohérente, notamment avec un objectif de 50 % d'énergie nucléaire à l'échéance de 2035, et non 2025, comme précédemment. Nous pouvons donc nous féliciter de ces deux projets.

Ces documents ont vocation à être enrichis à partir des propositions formulées par la Convention citoyenne pour le climat, dont les 150 citoyens membres doivent définir les mesures permettant de réduire d'au moins 40 % nos émissions de gaz à effet de serre à la fin de la décennie. C'est pourquoi nous n'avons intégré aucune mesure de réintroduction d'une composante carbone, et je l'assume parfaitement : il importe que nous n'influions pas sur les travaux de la Convention.

Effectivement, ses propositions pourront être de nature réglementaire ou législative - dans ce dernier cas, le Parlement en débattra -, et le Président de la République a avancé l'hypothèse d'un référendum notamment sur des questions multiples. Parce que, pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, nous devons viser des comportements au coeur du quotidien de nos concitoyens, les travaux de cette Convention sont de première importance et, si des propositions fortes en sortent, il serait bon d'ouvrir le débat à tous les Français.

Nous avons bien sûr l'objectif de tenir nos ambitions - à l'échelle nationale, européenne et internationale - en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.

Des premiers résultats ont déjà été obtenus. Le décret concernant la fermeture des dernières centrales à charbon d'ici à 2022 est publié depuis la fin du mois de décembre. Nous engageons également la trajectoire définie pour le nucléaire, avec l'arrêt d'un premier réacteur à Fessenheim dès la fin de cette semaine et l'arrêt complet de la centrale à la fin de juin - je reviendrai sur notre stratégie nucléaire. Le lancement de Ma prime Rénov', qui apporte un soutien renforcé aux gestes les plus efficaces et un meilleur accompagnement aux Français les plus modestes, doit par ailleurs nous permettre d'en finir avec les passoires thermiques d'ici à 2028.

Autre de nos objectifs, l'atteinte de 33 % d'énergies renouvelables à l'horizon de 2030.

Durant les débats parlementaires, vous aviez demandé que nos ambitions en matière d'éolien off-shore et de biogaz soient rehaussées ; nous y avons travaillé. Ainsi, l'enveloppe de soutien à la filière biogaz a été accrue de 2 milliards d'euros pour atteindre 10 milliards d'euros. Nous avons un objectif minimal de 6 TWh de biogaz en 2023 - c'est déjà beaucoup car cela représente un volume six fois plus élevé que celui injecté ces six derniers mois. Cet objectif pourra être revu à la hausse en fonction des prix sur le marché. Chacun a en tête que le prix du gaz est particulièrement bas, ce qui signifie que le soutien est d'autant plus important par rapport au prix encore élevé du biogaz. Nous devons en tenir compte et personne ne comprendrait que nous ne réfléchissions pas à l'affectation optimale de nos ressources. La PPE prévoit une refonte des mécanismes de soutien au biogaz : nous sommes en train d'y travailler pour définir de nouvelles modalités, entre des appels d'offres et des tarifs de rachat. Pour lever l'ensemble des freins, j'ai lancé récemment un fonds, abondé à hauteur de 15 millions d'euros par l'État, pour financer plus de 75 projets investissant dans le domaine sous 5 ans.

Sur l'hydrogène, vous avez souhaité inscrire dans la loi l'objectif de verdissement de ce vecteur énergétique. Il est effectivement essentiel que la France se positionne sur cette technologie d'avenir. Notre ambition est large dans le domaine de l'hydrogène vert, que ce soit pour l'industrie ou pour les mobilités, mais nous réfléchissons aussi aux utilisations de ce gaz en matière de stockage, et ce afin d'accroître la part d'énergies intermittentes.

Nous travaillons donc sur l'ensemble de ces champs : 50 millions d'euros par an sont prévus pour soutenir des projets de développement de l'hydrogène vert et nous avons engagé des concertations avec les acteurs pour trouver les modalités adéquates de soutien à l'utilisation de l'hydrogène sur la base de l'habilitation qui est prévue dans la loi Énergie-Climat.

En ce qui concerne l'éolien terrestre, l'objectif est de doubler la puissance installée d'ici à 2028. La puissance a déjà doublé entre 2014 et 2019. En 2019, en particulier, nous avons produit 21 % d'électricité d'origine éolienne de plus qu'en 2018. Nous avons donc doublé un objectif en cinq ans et prévoyons de le doubler à nouveau en dix ans. Nous avons certainement, mais j'y reviendrai, des enjeux de répartition et d'acceptabilité.

Sept parcs d'éolien en mer ont été attribués. La PPE prévoit une hausse de nos objectifs par rapport à ceux de la première PPE adoptée début 2019. On tire parti de la hausse des prix observée sur le dernier parc à Dunkerque. Nous avons répondu aux attentes de la filière de lancer la production d'1 GWh par an d'ici à 2024, grâce à l'ajout d'un parc flottant en 2022 et d'un parc posé avant 2023. Un débat public est déjà en cours en Normandie et un autre s'ouvrira prochainement en Bretagne.

S'agissant de l'éolien, j'ai bien en tête les enjeux d'acceptabilité. Une réunion a eu lieu cet après-midi avec les élus à mon ministère. La réflexion se poursuit sur ce sujet, dans le prolongement des mesures que j'avais déjà annoncées en décembre. Nous réfléchissons en particulier aux mécanismes permettant de parvenir à une meilleure intégration paysagère et aussi à une meilleure répartition géographique, car deux régions concentrent à elles seules plus de la moitié de la capacité installée, avec évidemment une saturation.

J'en viens à la consommation d'énergie. Notre priorité est la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le recul de la mer de Glace, que chacun a pu constater, témoigne de l'urgence à agir pour le climat. Notre premier levier d'action concerne le secteur des transports, qui représente un tiers de nos émissions. On vise 4,8 millions de véhicules électriques et hybrides rechargeables en 2028. Pour accélérer la transition et le renouvellement du parc, nous avons garanti pendant trois ans le bonus pour les véhicules électriques. Ces bonus sont en baisse et il est important que la filière donne des signes de sa capacité à baisser les prix, car il ne faudrait pas que la mise en place de bonus se traduise par une moindre baisse des prix. Nous attendons que le développement de la production des véhicules électriques en masse se traduise par des baisses de prix. La prime à la conversion a déjà permis de changer 600 000 véhicules. Nous sommes en train d'évaluer l'effet des mesures de recentrage prises l'été dernier. Il faut effectivement être attentif à ce que ce recentrage, qui correspondait à une exigence plus forte sur les émissions et la pollution des véhicules éligibles, continue bien à accompagner nos concitoyens. Nous visons 1 million de véhicules, voire 1,2 million, durant le quinquennat. Pour convaincre nos concitoyens, nous devons aussi déployer des infrastructures de recharge adaptées à ces nouveaux véhicules. La loi d'orientation des mobilités (LOM) a prévu une prise en charge significative des coûts de raccordement afin de tenir l'objectif de 100 000 bornes de recharge d'ici à la fin du quinquennat. J'ai aussi désigné récemment les nouveaux lauréats des appels à projets destinés à soutenir les mobilités partagées, propres et actives, dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE).

Notre deuxième levier d'action concerne le développement de la production de chaleur décarbonée. La production de chaleur représente en effet un cinquième de nos émissions. C'est un enjeu majeur pour la transition écologique de notre appareil productif. Le Fonds chaleur a été doté de 350 millions d'euros dès cette année. Nous avons étendu la possibilité d'utiliser les certificats d'énergie dans les secteurs soumis au système d'échange de quotas d'émissions (ETS). Il sera possible de cumuler les deux dispositifs du Fonds chaleur et des CEE. Nous voulons ainsi donner tous les outils à nos industriels pour décarboner leurs processus de production. Avec Bruno Le Maire, nous réfléchissons à d'éventuels mécanismes fiscaux supplémentaires dans le cadre de la préparation du pacte productif. La production de chaleur décarbonée est cruciale aussi dans le bâtiment. Nous avons l'objectif d'abandonner le recours au charbon dans les réseaux de chaleur d'ici à cinq ans, de supprimer trois millions de chaudières individuelles au fioul d'ici à 2028. Nous avançons selon la trajectoire voulue sur les chaudières individuelles grâce notamment aux « Coups de pouce ». Nous avons aussi soumis au Conseil supérieur de l'énergie (CSE) un dispositif pour accompagner le changement des chaudières collectives.

L'atteinte des objectifs de la loi Énergie-Climat et de la PPE pose nécessairement la question de nos capacités industrielles. L'objectif est que disposions des capacités de concevoir et de fabriquer sur notre territoire les vecteurs de notre transition énergétique. S'agissant de l'éolien en mer, une filière française est en train de monter en puissance. Je souhaite qu'il en aille de même pour l'ensemble des filières liées à la transition énergétique. Nous portons ainsi au niveau européen, notamment avec les Allemands, une initiative pour bâtir une filière européenne des batteries. C'est aussi ce que nous faisons pour structurer une filière hydrogène : des appels à manifestations d'intérêt ont été lancés, afin de faire émerger des projets à une échelle compétitive. Nous souhaitons aussi attirer de nouvelles usines de panneaux photovoltaïques en France. Il importe de montrer que la transition énergétique s'accompagne de créations d'emplois sur notre territoire.

En ce qui concerne la composante carbone, nous attendons les propositions de la conférence citoyenne.

Un mot enfin sur les réacteurs nucléaires. Notre objectif est de ramener la part du nucléaire à 50 % en 2035, cela suppose la fermeture de 14 réacteurs, en incluant les deux réacteurs de Fessenheim. Les diverses hypothèses envisagées dans la PPE ne concernent pas le nombre de réacteurs, mais le calendrier des fermetures. Si la rédaction n'est pas claire, nous sommes prêts à l'améliorer. Le principe est l'arrêt des réacteurs à l'échéance de leur cinquième visite décennale ; au moins deux réacteurs seront arrêtés par anticipation en 2027 et 2028, et, éventuellement, parmi les 14 réacteurs concernés, deux pourraient être arrêtés par anticipation en 2025 et 2026. Quant au calendrier, nous voulons avoir rassemblé à la mi-2021 tous les éléments permettant de choisir entre une stratégie incluant le renouvellement d'une partie du parc nucléaire et une stratégie 100 % renouvelable, en vue d'une décision sur la stratégie qui interviendrait après la mise en service de la centrale de Flamanville. Nous travaillons à la fois sur les petits réacteurs modulaires (SMR) et sur le projet de réacteur à neutrons rapides (RNR). Nous veillons à ce que la recherche ne se focalise pas sur le réacteur, mais concerne aussi l'ensemble du cycle. Dans les projets précédents, la recherche sur le réacteur avait pris de l'avance sur celle relative au cycle. Il est indispensable que les deux avancent au même rythme.

Je partage comme vous le souci de conserver les compétences dans le nucléaire. Le grand carénage représente un programme d'investissement très important. Je constate avec satisfaction qu'EDF et les acteurs de la filière se mobilisent pour transmettre les compétences. Je salue ainsi les efforts de formation déployés par les industriels, pour les soudures par exemple.

La trajectoire financière doit évidemment intégrer les besoins de soutien prévus dans la PPE. La SNBC permettra d'atteindre la neutralité carbone et nous intégrerons les propositions qui pourront être issues de la convention citoyenne.

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