Intervention de Enrique Martinez

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 février 2020 à 9h30
Audition de M. Enrique Martinez directeur général du groupe fnac darty

Enrique Martinez, directeur général du groupe Fnac Darty :

Monsieur le Sénateur Gay, je vous le confirme, mon groupe affiche de bons résultats, malgré une activité qui a été perturbée en France ces deux dernières années. Les grèves ont en effet coûté au groupe 45 millions d'euros en 2018 et 70 millions d'euros en 2019. Ce constat objectif est regrettable. En 2019, les marges de l'entreprise n'ont très légèrement augmenté que grâce à l'intégration des activités des magasins de l'enseigne Nature & Découvertes.

Le groupe Fnac-Darty compte aujourd'hui 26 000 collaborateurs. Beaucoup des métiers exercés ont évolué. Je pense en particulier aux disquaires et libraires que nos magasins continuent d'employer, malgré la profonde transformation du secteur. Au total, le groupe présente un solde net positif d'emplois, notamment grâce à l'intégration des franchisés.

L'entreprise a pu investir grâce aux dispositifs d'allégement des charges sociales que vous avez évoqués. Elle a ainsi investi près de 140 millions d'euros pour la transformation de ses points de vente, de ses outils digitaux, et l'ouverture de nouveaux espaces logistiques.

Les acteurs du secteur, tout comme Fnac-Darty, sont contraints à des efforts très significatifs pour rester dans la course à l'innovation que les clients nous réclament, face à des grands groupes capables d'investir des milliards d'euros dans les mêmes territoires et pour les mêmes produits. Nous n'avons d'autre choix que d'investir, sinon nous disparaîtrons.

Le nombre de nos magasins continue d'augmenter : entre 70 et 90 magasins de petite ou moyenne taille ont été créés ces cinq dernières années, y compris de petits magasins de centre-ville, car les clients veulent des services et de la proximité. Nous cherchons à adapter notre modèle au plus près des besoins.

La politique RSE du groupe est très volontariste. Nous nous sommes engagés à réduire d'au moins 30 % notre empreinte carbone à l'horizon 2030, avec une politique très ciblée sur le transport. Par ailleurs, nous devons investir pour prolonger la vie des produits autant que possible et construire un modèle économique de la réparation incluant les fabricants, les réparateurs et les clients. Le groupe Fnac-Darty est capable de porter ce mécanisme complexe.

Le programme Darty MAX propose aux clients la réparation illimitée de tous nos produits. C'est un moyen d'encourager la consommation responsable.

Pour qu'une telle démarche soit économiquement viable, il nous faut former nos équipes et entretenir un dialogue permanent avec les fabricants pour qu'eux-mêmes investissent dans la durée de vie des pièces. Nous stockons plus de 40 000 pièces différentes pour la réparation des produits qui nous avons vendus.

À rebours des discours sur l'obsolescence programmée, nous constatons que les produits sont de plus en plus réparables, et parfois par les consommateurs eux-mêmes ! Nous recevons 2 millions de contacts clients par an concernant un problème avec un produit. Plus de la moitié de ces problèmes sont résolus par téléphone, car il s'agit souvent non pas d'un dysfonctionnement mais d'un mauvais usage.

La Fnac est un acteur historique de centre-ville, et les difficultés que rencontrent les commerces de centre-ville nous inquiètent beaucoup. Il y a quelques années, le groupe avait porté une initiative forte en faveur de la libéralisation du commerce le dimanche. Or la situation n'a malheureusement pas évolué, ce qui crée une distorsion de concurrence. La revitalisation des commerces de centre-ville passera par l'ouverture des commerces le dimanche, plébiscitée par les consommateurs. Elle devra se faire sur la base du volontariat, et en proposant un paiement juste de nos collaborateurs pour qui le travail le dimanche constitue un effort.

Dans beaucoup de secteurs de notre activité, nous sommes face à des acteurs mondiaux. S'il est très difficile d'avoir une politique de diversité dans les secteurs de l'électronique ou de la téléphonie où les acteurs asiatiques ou américains sont dominants, nos équipes travaillent pour que les productions françaises soient protégées et favorisées dans les domaines de l'édition, de la vidéo, du cinéma ou de la littérature. Par ailleurs, nous menons également des actions visant à promouvoir les produits et services proposés par des start-up sur nos plateformes de vente.

S'agissant de notre label, la méthode que nous employons est transparente et nous l'avons mise à la disposition des différents ministères. Elle servira peut-être un jour à la création d'un label national. De même, depuis plus de trente ans, le laboratoire Fnac note la qualité des produits en toute indépendance.

Nous avons ouvert un espace Darty dans deux magasins Carrefour pilote. Si l'Autorité de la concurrence nous donne son accord, nous étendrons ce dispositif dans une trentaine de supermarchés Carrefour. L'enjeu est de proposer une offre qualitative et compétitive dans des secteurs d'activité que les hypermarchés ont du mal à développer de manière satisfaisante et économiquement soutenable. En revanche, nous n'avons pas de projet d'intégration financière avec ce groupe.

S'agissant des vendeurs indépendants, l'activité de livres de la Fnac date de 1974 et elle n'a jamais mis les libraires indépendants en difficulté. En revanche, le digital a changé les règles du jeu. En cinq ans, Amazon a fait plus de mal aux libraires indépendants que la Fnac en quarante ans. C'est un peu différent pour les disquaires, qui ont souffert de la numérisation de la musique. Le format disque a vu ses parts de marché fortement réduites, mais l'activité de vinyles se développe. Il y aura toujours de la place pour quelques bons disquaires. Notre activité ne tue pas les vendeurs indépendants, mais elle vient en complément.

Aujourd'hui, tout produit doit être accompagné d'une offre de services et d'accessoires. Notre offre de services inclut à la fois la vente de billets de spectacles, d'assurances, d'extensions de garantie, de packs multimédia, de contenus digitaux, etc. C'est une activité importante dans notre modèle économique, mais elle ne représente que 10 % de notre activité.

J'en viens à la question de la distorsion de concurrence. Lorsque nous avons appliqué le règlement général sur la protection des données (RGPD), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) nous a assurés que tous les acteurs, y compris ceux qui n'étaient pas hébergés en France, seraient soumis à la même règle.

Plus d'un an et demi après, ce n'est toujours pas le cas. Or une telle distorsion de concurrence peut entraîner le développement de paradis réglementaires et la disparition du secteur en France. Il nous faut donc passer à l'action : si nous sommes incapables d'imposer les mêmes règles à nos voisins, il faudra en libérer les acteurs français.

Le tout digital n'est pas un bon modèle, et d'ailleurs, pour l'heure, ce n'est pas un modèle économique soutenable. Nous pensons qu'il faut trouver une combinaison harmonieuse entre le digital et le physique. La croissance de l'e-commerce entraîne une croissance exponentielle des emballages et suremballages, et donc de déchets. Il faut encadrer les acteurs de l'e-commerce pour que les règles du jeu soient équitables et il faut que les commerçants proposent à leur client une belle expérience dans leur magasin afin de rester au centre de la relation.

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