Intervention de Henri Cabanel

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 février 2020 à 10h30
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires — Procédure de législation en commission - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Henri CabanelHenri Cabanel, rapporteur :

Je tiens également à m'associer au discours de ma collègue rapporteure : les sujets sont attendus depuis suffisamment longtemps par les professionnels pour que nous prenions ensemble notre responsabilité de législateur, en réalisant les arbitrages les plus intelligents. Je sais combien tous ces sujets nous passionnent, mais il importe de garder à l'esprit une volonté d'avancer, main dans la main avec l'Assemblée nationale, sur ces articles qui doivent être transpartisans.

Il y va de la légitimité du Parlement. Nous avons, avec cette proposition de loi, une occasion de démontrer que nous, législateurs, députés comme sénateurs, sommes capables de nous saisir d'un sujet et de lui donner une traduction législative en quelques mois seulement. Cela serait un pied de nez à nos détracteurs - ils sont nombreux, nous le savons ! Cette exigence ne doit pas nous empêcher de faire notre travail correctement.

Anne-Catherine Loisier a mentionné plusieurs articles consensuels et quelques divergences. Sur la partie qui m'incombe, qui sera, sans vous surprendre, la partie viticole et brassicole, la constatation est la même : il existe de très nombreux points de convergence, ainsi qu'une difficulté majeure.

Sur les considérations numériques, le texte propose d'acter des principes très attendus par les consommateurs.

Sur l'article 1er A, qui entend garantir la mise à disposition en ligne des données figurant sur les emballages aux utilisateurs, si le principe est louable, la rédaction retenue est très large et doit être précisée par décret. Je vous propose d'obtenir du Gouvernement des clarifications avant d'examiner l'article en question.

Sur l'article 2, qui prévoit que les informations lors d'une vente en ligne soient lisibles et compréhensibles, l'article transpose simplement le droit européen dans le droit national.

Passons au vin. L'article 4 reprend, mot pour mot, la rédaction dégagée au Sénat afin de prévoir très clairement dans le code de la consommation qu'il est interdit de laisser penser qu'un vin a une origine différente de son origine réelle. Je salue, une nouvelle fois, ce travail de convergence réalisé par la rapporteure de l'Assemblée nationale.

L'article 5 acte le principe d'un affichage de l'origine des vins vendus en restauration et dans les débits de boissons, quel que soit le support de vente - en bouteille, en pichet ou au verre. Cet article a été adopté à plusieurs reprises depuis la loi Égalim et il faut se féliciter qu'il entre enfin en vigueur.

Encore un sujet que nous connaissons bien et qui tient à coeur de nos collègues Marie-Pierre Monier, Gilbert Bouchet et bien sûr Bernard Buis, à savoir l'abrogation de la loi de 1957 sur la Clairette de Die. Cette loi interdit aux producteurs du Diois d'élaborer un autre vin mousseux que la Clairette de Die. Or, selon le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC), à ce stade, la Clairette de Die ne peut pas être rosée, ce qui prive les producteurs d'une diversification de leur production attendue par le marché. Cet article permet donc de produire un vin mousseux rosé, mais, j'y insiste, qui ne sera pas de la Clairette de Die, puisqu'un tel vin ne respectera pas le cahier des charges de l'AOC.

Enfin, et j'en redis un mot, il convient de se féliciter de l'unanimité des parlementaires en faveur du maintien du caractère obligatoire de la déclaration de récolte. L'article 8 est de nature à considérablement rassurer nos producteurs viticoles et son adoption doit être rapide, puisque le risque est qu'en décembre de cette année cet outil précieux disparaisse. Si nous n'adoptions par rapidement la proposition de loi, nous condamnerons ce dispositif faute d'un autre véhicule législatif. Ce qui plaide, une nouvelle fois, pour une adoption rapide de la proposition de loi.

Tous ces points de convergence sont à saluer.

Il ne reste, à mon sens, qu'une difficulté sur l'étiquetage des bières. En séance publique, nos collègues députés ont adopté un amendement visant à prévoir une double obligation sur l'étiquetage des bières. Il est vrai que les bières qui laissent entendre, par leur étiquetage, qu'elles ont un ancrage local, alors qu'elles sont fabriquées ailleurs, voire à l'étranger, se multiplient. Ces pratiques sont des tromperies manifestes pour le consommateur.

L'amendement adopté propose une double évolution législative. D'une part, il sera obligatoire de mentionner, sur toutes les étiquettes de bière, le nom et l'adresse du producteur de manière à ne pas induire le consommateur en erreur sur l'origine de la bière en raison de la présentation générale de l'étiquette. D'autre part, l'article précise que les mentions de l'étiquetage, surtout le nom commercial, ne peuvent laisser apparaître un lieu différent du lieu de production.

Cet alinéa pose des difficultés. Il signifierait d'une part qu'une bière qui s'appellerait la Vézelay ne pourrait plus s'appeler la Vézelay, car elle est aujourd'hui produite dans la commune de Saint-Père, à 1,5 kilomètre de Vézelay. La brasserie Saint-Omer, bien connue de notre collègue Jean-Pierre Decool, devrait produire l'intégralité de ses bières dans la commune même de Saint-Omer, si elle veut garder son nom. Il serait également impossible d'appeler Kronenbourg une bière qui n'est pas produite exclusivement dans le quartier de Strasbourg portant ce nom. Outre une atteinte au droit des marques, vous comprenez les problèmes auxquels cet article expose les producteurs concernés.

Cela poserait en outre d'immenses difficultés pour les brasseurs nomades ou les pratiques collectives de mise en commun des brasseries. Ces solutions trouvées par les professionnels pour favoriser l'amorçage des jeunes entreprises permettent de faire émerger une filière brassicole française dynamique et connaissent une croissance forte ces dernières années.

En résumé, cet alinéa, qui entend répondre à un vrai problème, exercera une contrainte forte sur la filière brassicole française qui a créé, gardons-le en mémoire, 3 000 emplois ces quatre dernières années.

Dans le même temps, des actions sont menées pour lutter contre les étiquetages trompeurs. D'une part, une disposition fiscale devrait être clarifiée très prochainement afin de prévoir une fiscalité plus lourde sur les négociants de la bière que sur les brasseurs en propre. D'autre part, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peut déjà, avec l'arsenal juridique que nous connaissons, sanctionner lourdement les pratiques trompeuses - c'est déjà possible ! Cela nous renvoie toujours au débat concernant le manque de moyens de la DGCCRF.

Pour toutes ces raisons, je vous proposerai de supprimer l'alinéa 3 de l'article 5 bis. J'en ai discuté directement avec la rapporteure de l'Assemblée nationale et je crois qu'elle partage nos préoccupations.

Pour conclure, à l'heure où nous nous apprêtons à légiférer, je veux simplement vous rappeler une information importante : toute adoption d'un amendement non consensuel entre nos deux chambres aboutira à une réduction des chances d'adopter rapidement cette proposition de loi. Cela concerne les amendements sur des sujets nouveaux que nous n'avons pas travaillés aussi longtemps que les sujets que nous venons d'évoquer. Cela concerne également les amendements créant des points durs entre nos deux chambres. En quelque sorte, si nous ne faisons pas de compromis, alors que nous avons déjà obtenu une convergence grâce aux travaux déjà réalisés à l'Assemblée nationale, nous n'obtiendrons d'avancée ni sur les fromagers fermiers, ni sur le miel, ni sur l'étiquetage du vin et des viandes dans la restauration, ni sur la déclaration de récolte obligatoire.

Ce sont des sujets qui, je le sais, vous tiennent tous à coeur et qui méritent d'entrer en vigueur de manière urgente. Pour ce faire, nous devons savoir raison garder et entrer dans une logique un peu différente par rapport à d'habitude : faire des compromis au profit de nos filières. Je ne doute pas que nous garderons cet état d'esprit tout au long de notre séance.

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