Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 20 février 2020 à 14h30
Politique spatiale de l'union européenne — Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de nombreux travaux ont été menés par le Sénat ces derniers mois sur le thème de la politique spatiale : notre commission des affaires européennes a publié, l’été dernier, un rapport d’information sur la politique spatiale de l’Union européenne ; un groupe conjoint à la commission des affaires économiques et à la commission des affaires étrangères a produit un rapport invitant à restaurer l’ambition européenne dans le domaine des lanceurs ; l’Opecst a également publié plusieurs notes de grande valeur sur le sujet, notamment sur les satellites et les lanceurs.

De fait, l’année 2019 a représenté un cap pour l’Europe spatiale, puisque Ariane a brillamment passé la barre des 250 lancements, quarante ans après sa mise en service. La fin de l’année a été marquée par le succès de la conférence interministérielle de l’ESA, l’Agence spatiale européenne, à Séville ; j’y reviendrai.

Si la commission des affaires européennes a souhaité que soit organisé aujourd’hui un débat sur la politique spatiale européenne, ce n’est pas seulement pour se réjouir de ces succès, mais aussi pour que nous portions ensemble un regard prospectif sur les défis à venir. Ceux-ci sont nombreux, et, nous en sommes convaincus, ce n’est qu’à l’échelon européen que nous pourrons y apporter une réponse.

Les outils et les données fournis par l’activité spatiale sont indispensables pour affronter des enjeux qui ne peuvent eux-mêmes être envisagés et traités qu’au niveau européen. Je pense, par exemple, au changement climatique : sur cinquante variables essentielles pour mesurer le changement climatique, vingt-six ne peuvent être observées ou mesurées que depuis l’espace. Les satellites sont aussi seuls capables de mesurer de nombreux paramètres concernant les océans, où il peut être difficile de recueillir des informations in situ : acidification des eaux, évolution des glaces de mer, prolifération des algues ou modifications du trait de côte, autant de variables dont l’analyse est un enjeu essentiel pour la planète. Le spatial nous donne alors les moyens d’améliorer la prise de décision politique.

Un autre exemple est l’internet par satellite, qui peut contribuer à la réduction de la fracture numérique. Le spatial offre dans ce domaine des moyens techniques pour mettre en œuvre nos décisions politiques.

Le spatial et les applications qui en sont issues touchent aussi des domaines plus sensibles. Une politique spatiale ambitieuse est donc indispensable pour assurer l’autonomie stratégique et la sécurité de l’Europe, dont l’indépendance même est, à terme, en jeu. Il ne s’agit pas seulement de la militarisation de l’espace, mais aussi d’assurer, par exemple, la continuité de nos moyens de communication. À cet égard, il faut saluer le programme initié par la Commission européenne, GovSatCom, qui devrait être en mesure de fournir, dès 2020, des services sécurisés de communication par satellite aux pays, organismes et opérateurs d’importance vitale de l’Union.

Au-delà de ces programmes ciblés, il est indispensable que l’Union européenne demeure un acteur de premier plan de toute la chaîne de valeur du secteur spatial.

Des signaux positifs ont été envoyés ces derniers mois par les États comme par les instances européennes, marquant une véritable prise de conscience de l’importance du secteur spatial. Nous pouvons saluer, au niveau de la Commission européenne, la mise en place d’un règlement unique pour l’ensemble des activités spatiales de l’Union et la création d’une nouvelle direction générale – Defis –, spécifiquement dédiée aux industries spatiales et de défense, placée sous la houlette du commissaire français, Thierry Breton.

Néanmoins, trois points méritent notre vigilance.

Le premier est celui de la gouvernance. Nous avons tous en mémoire l’interruption de service de Galileo l’été dernier, causée par des problèmes de coordination entre les différentes parties prenantes. Il est donc nécessaire de rationaliser cette gouvernance, notamment en précisant le rôle de la future Agence de l’Union européenne pour le programme spatial, l’Euspa. Les prochaines négociations entre la Commission et l’ESA, agence interétatique dont le périmètre ne recouvre pas celui de l’Union, s’annoncent difficiles sur ce point, encore plus depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Le deuxième point est celui du financement. Les États-Unis, leader historique, consacrent chaque année plus de 40 milliards d’euros au secteur spatial, la Chine, qui ne cache plus ses ambitions dans ce domaine – elle a effectué l’année dernière un tiers des lancements, ce qui est considérable –, plus de 5 milliards, soit plus de deux fois le budget annuel du CNES.

En novembre dernier, les pays membres de l’Agence spatiale européenne sont allés au-delà des espérances de cette agence, en lui accordant plus de 14 milliards d’euros sur trois ans, ce qui permettra de poursuivre les programmes historiques concernant l’exploration, les applications ou les lanceurs, mais aussi de développer de nouveaux programmes, pour répondre aux nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés, par exemple en matière de sûreté et de sécurité de l’espace.

La volonté de l’Union européenne d’accompagner cet élan est moins claire. Certes, la proposition budgétaire initiale de la Commission témoignait d’une véritable ambition spatiale, avec 16 milliards d’euros sur sept ans, une somme saluée sur toutes les travées. Toutefois, la dernière proposition du président du Conseil européen a réduit cette enveloppe prévisionnelle à 13, 2 milliards d’euros.

Ces derniers mois, le Sénat a affirmé, dans deux résolutions européennes, son attachement au niveau de financement initialement envisagé. Charles Michel réunit aujourd’hui les membres du Conseil européen pour tenter d’obtenir un accord – ce n’est pas gagné – sur le prochain cadre financier pluriannuel. Savez-vous, madame la ministre, ce qui en sortira ? Je ne le crois pas, mais je pose tout de même la question.

Le Gouvernement a indiqué à plusieurs reprises soutenir un financement ambitieux, mais n’y a-t-il pas, chez certains de nos partenaires, la tentation de préférer financer le secteur spatial via l’ESA, qui applique le principe du retour géographique ? Ce serait une logique court-termiste qui ne ferait à terme que des perdants. Je l’ai rappelé à nos collègues représentants des parlements nationaux pas plus tard que ce mardi, lors de la conférence interparlementaire sur la stabilité, la coopération économique et la gouvernance en Europe qui était organisée au Parlement européen : tout ce que nous n’accomplirons pas au niveau de l’Union européenne, c’est sur notre budget national que nous devrons le prendre en charge, mais à une échelle moins pertinente, et donc moins efficace.

Qu’en est-il du budget de la recherche ? Auditionnée récemment par la commission des affaires européennes du Sénat, la secrétaire d’État aux affaires européennes a indiqué que le Gouvernement visait désormais une enveloppe dédiée au spatial à l’intérieur du programme Horizon Europe de 2, 5 milliards d’euros, quand nous réclamions 4 milliards d’euros. Ce n’est pas satisfaisant, à l’heure où les modifications radicales des technologies de l’écosystème spatial s’accélèrent. Nous devons nous donner les moyens d’accompagner les start-up innovantes, mais aussi anticiper les futurs développements de Galileo, de Copernicus et d’Egnos.

Enfin, je vous appelle, mes chers collègues, à mener, dans vos territoires, la bataille de l’opinion publique. Thomas Pesquet, qui repartira l’an prochain dans la station spatiale internationale, demeurera, certes, le meilleur ambassadeur de notre ambition spatiale. Au-delà de l’exploration, l’espace donne toutefois lieu à des applications beaucoup plus terre à terre, mais si utiles pour notre vie quotidienne, pour notre sécurité, pour notre souveraineté.

À l’heure des batailles de chiffres, quand les intérêts nationaux menacent de primer sur l’intérêt commun, regardons plus haut : c’est peut-être là que se construira le futur de notre Terre commune.

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