Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier la commission des affaires européennes pour l’organisation de ce débat. Les questions spatiales demeurent trop souvent éloignées des débats en séance publique, et cela est évidemment regrettable.
Chacun comprend bien à quel point les enjeux spatiaux sont consubstantiels à la défense de notre souveraineté et à la construction de notre prospérité économique, et je sais à quel point les commissions des affaires économiques, des affaires étrangères et de la défense et des affaires européennes sont engagées sur ces sujets.
La question spatiale est au cœur des enjeux européens. Le séminaire Perspectives spatiales, que j’ai ouvert ce matin, le rappelle en ce moment même.
Naturellement, cela est un acquis du traité de Lisbonne et de l’article 189 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui assignent à l’Union européenne l’obligation de se doter d’une politique spatiale en vue de favoriser le progrès scientifique et technologique, mais aussi de renforcer sa compétitivité industrielle. Cette politique fut historiquement – c’est toujours le cas aujourd’hui – le fruit d’une coopération renforcée entre les États de l’Union européenne. Les politiques spatiales des pays membres de l’Union contribuent ainsi à alimenter ses orientations propres dans le cadre proposé par l’Agence spatiale européenne.
La France, comme chacun le sait, joue un rôle leader dans la structuration de la politique spatiale de l’Union européenne. Nous le devons à des choix politiques forts et structurants qui garantissent à la France et à l’Union européenne d’appartenir au cercle des grandes puissances spatiales. Je songe également au rôle stratégique que jouent la Guyane et le centre de Kourou, qui, ainsi que le relève le rapport de votre commission des affaires européennes, est le véritable « port spatial de l’Europe », garantissant le libre accès de l’Union européenne à l’espace.
Ce mode de fonctionnement, qui est le produit tant de l’histoire que de l’originalité même du projet européen, distingue d’emblée la politique européenne de celles des autres puissances spatiales, dont la politique est d’abord structurée autour des questions de défense. Cette originalité, si elle n’a jamais fait obstacle au succès de la politique européenne en matière spatiale, doit être questionnée à la lumière des enjeux actuels relatifs à la nouvelle donne qui s’impose dans la compétition spatiale.
La politique spatiale de l’Union européenne n’a pas à rougir de la concurrence internationale. Le volume d’investissement annuel cumulé de l’Europe en la matière est tout à fait comparable aux investissements réalisés par la Chine. Au-delà des seules grandes masses financières, l’Union européenne peut revendiquer de réels succès. Je songe évidemment à Galileo ou à Copernicus, deux programmes qui témoignent par eux-mêmes de la spécificité de notre politique spatiale et de sa pertinence stratégique.
La collecte de données et d’informations depuis l’espace représentera, dans les prochaines décennies, un enjeu majeur de développement économique et de prévention des risques en Europe et dans le monde. C’est l’un des enjeux du programme Copernicus.
De même, en matière de transport et de géolocalisation, les applications de Galileo sont reconnues pour leur valeur ajoutée en comparaison du GPS ou des systèmes russes ou chinois. Galileo dépasse les frontières de la seule Union européenne et profite aujourd’hui à plus de 1 milliard d’utilisateurs dans le monde.
Pour autant, si l’Europe dispose d’atouts indéniables, si elle est déjà riche d’un bilan remarquable en la matière, nous devons regarder avec lucidité la nouvelle donne à l’œuvre dans le monde. Une course mondiale aux lanceurs est en cours, révélant une compétition pour l’accès le plus efficient à l’espace.
La concurrence s’accroît, notamment du fait de la montée en puissance du secteur spatial asiatique ; je songe aux fusées Longue Marche chinoises ou aux fusées SLV indiennes. Bien que la mission Chandrayaan-2 ait échoué, l’Inde a clairement affirmé son intention d’envoyer des hommes sur la Lune, un objectif toujours partagé également par les États-Unis et la Chine.
Au-delà des seules puissances étatiques, les dernières années ont vu l’émergence d’acteurs industriels puissants. Je songe naturellement au secteur du New Space et à son porte-étendard, SpaceX, qui dispose à la fois d’une force de frappe inédite en matière de communication et qui poursuit surtout des objectifs ambitieux. Le groupe pourrait en effet bientôt disposer d’une constellation de 180 satellites tout en ayant annoncé son souhait de déployer plus de 40 000 appareils autour de la Terre.
Cet investissement de l’espace n’échappe pas non plus aux GAFA. Blue Origin est ainsi une société dirigée par Jeff Bezos, le président-directeur général du groupe Amazon.
Dans ce contexte, l’Europe doit tenir son rang et affirmer sa position de leader. Nous sommes confiants dans notre capacité à conserver ce rôle, à condition que nous continuions d’avancer dans un même mouvement au sein de l’Union européenne.
Les engagements souscrits à Séville dans le cadre de l’ESA ont atteint 14, 4 milliards d’euros, une somme supérieure à ce qui était attendu par l’Agence et représente une augmentation de 4 milliards d’euros par rapport à la précédente conférence ministérielle, témoignant d’une grande confiance collective dans le spatial européen. Ces engagements permettront d’impulser des projets ambitieux comme de garantir l’achèvement des programmes Ariane 6 et Vega C.
En matière scientifique, la mission LISA nous permettra de progresser dans la détection des ondes gravitationnelles dans l’espace ; la mission Athéna nous permettra quant à elle d’étudier les phénomènes à très haute énergie dans l’univers. Je songe également à la rénovation du centre spatial de Kourou. L’observation de la Terre n’est pas en reste, avec 1, 8 milliard affecté par l’ESA au programme Copernicus, en plus des financements qu’y consacrera par ailleurs l’Union européenne.
La conférence a également mis en avant la mission Ar c tic W eather pour le suivi de la météo arctique.
Enfin, en matière d’exploration, plusieurs missions ont pu être financées grâce à cette conférence : la mission qui permettra le retour des échantillons de roches martiennes, le Lunar Gateway, pour disposer d’une station à mi-chemin entre la Terre et la Lune, ou encore le prochain retour en vol de Thomas Pesquet sur la station spatiale internationale.
Naturellement, la France a joué un rôle déterminant dans le succès et l’ambition de la conférence de Séville, que j’avais l’honneur de coprésider. La souscription totale de notre pays a été de 2, 7 milliards d’euros, des nouveaux engagements qui s’ajoutent à notre contribution annuelle et à la fin de l’apurement de notre dette à l’ESA, que je me suis engagée à régler dès mon arrivée, afin de réaffirmer le leadership de la France. Cela sera chose faite dès la fin de l’année 2020.
Au-delà des chiffres et des engagements financiers, il va de soi que, une politique spatiale, c’est aussi un récit sur l’aventure collective vécue par celles et ceux, dans vos territoires, qui dédient leur carrière et leurs rêves au secteur spatial. C’est un désir d’exploration et d’aventure, c’est un besoin de connaissance. Ce récit existe en Europe, et mon engagement en tant que ministre, c’est de travailler à le diffuser à une époque où la défiance envers le progrès scientifique et technologique se répand dans le débat public.
Faire connaître ce récit, faire connaître cette politique, rappeler ce qu’elle apporte au quotidien à nos concitoyens, mais également à vos territoires, en termes d’activité et de développement économique, tout cela fait partie des enjeux de ce débat. Je tâcherai naturellement de répondre à l’ensemble de vos questions.