Il y a quinze jours, nous évoquions le Fonds européen de défense (FEDef), à travers le rapport de Cédric Perrin. Nous examinons aujourd'hui, à travers un projet de loi autorisant l'approbation d'une convention entre la France et l'Allemagne, une autre brique de la défense européenne : la création de la première unité opérationnelle binationale franco-allemande. Ce texte a en commun avec l'accord avec la Belgique (accord « CaMo ») que nous avons examiné l'an passé, et dont M. Cigolotti était le rapporteur, d'avoir peu retenu l'attention du grand public, alors qu'il traduit en réalité une avancée majeure.
De quoi s'agit-il concrètement ? L'accord prévoit le financement et la création d'une unité franco-allemande de transport tactique aérien, qui sera basée sur la base aérienne 105 d'Évreux (BA 105). Certains ont pu penser qu'il s'agissait d'une coopération rappelant, par exemple, la brigade franco-allemande (BFA). En réalité, il s'agit de quelque chose de tout à fait différent et novateur. La BFA permet à des unités françaises et allemandes de travailler dans un cadre commun, mais de façon parallèle. Ainsi, on a pu dire que la BFA était engagée au Mali, mais, en fait, les unités françaises faisaient partie du dispositif Barkhane, alors que les éléments allemands étaient intégrés dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Les missions étaient donc différentes.
Dans le cas de la future unité de transport aérien d'Évreux, on trouvera dans chaque appareil des équipages mêlant aviateurs français et allemands. La dimension binationale deviendra réellement opérationnelle, et il s'agit donc d'une innovation majeure.
Certes, on peut observer qu'il s'agit de transport tactique, et non d'aviation de combat, le recours direct à la force étant susceptible de rencontrer plus rapidement l'écueil des différences de doctrines et de circuits de décision dans les deux pays.
On peut également relever que chaque pays conservera la possibilité de ne pas participer à tout ou partie d'une mission. À l'inverse, chacun des deux pays pourra demander à préempter la totalité d'un avion pour une mission. Ces aspects fondamentaux devront être traités dans une seconde convention, actuellement en cours de négociation, et qui devrait nous être soumise d'ici l'été.
Je vous propose de rentrer maintenant dans une description du dispositif prévu. Il s'agit de constituer une flotte de dix avions de transports C-130J. Il est prévu que l'Allemagne achète six appareils, et la France quatre.
Cet avion produit par l'américain Lockeed Martin, répond au segment intermédiaire du transport aérien militaire. En effet, entre le CASA (CN-160), qui offre un emport de 30 hommes, et l'A400M qui peut en emporter 120, il manquait un avion de taille moyenne. Or les besoins, sur ce segment médian, se font d'autant plus pressants que les Transall sont progressivement retirés du service. La conjonction des retards du programme A400M et du retrait progressif des Transall a conduit à une réduction temporaire de capacité (RTC) dont le point bas est encore à venir, puisqu'il sera atteint en 2023, même si la capacité globale de transport remonte déjà du fait de la capacité d'emport des A400M déjà livrés (16 sur 35 de la première tranche).
Il faut rappeler également que l'armée de l'air dispose déjà d'une version plus ancienne de cet avion, avec douze C-130H basés à Orléans. Ces C-130H sont entrés en service en 1984 et voleront jusque vers 2030. C'est également à Orléans que sont provisoirement basés les trois C-130J que l'armée de l'air a déjà reçus. Le dernier avion français devrait être livré le mois prochain. Deux des avions français disposeront de la capacité de faire du ravitaillement en vol - les KC-130J-AAR - pour les avions et les hélicoptères, capacité dont vous vous souvenez sans doute qu'elle n'a pu pour l'instant être certifiée sur l'A400M, ce qui est une des raisons de l'achat de C-130J.
Quant aux appareils allemands, le premier d'entre eux se posera à Évreux en 2021, peut-être sans même passer par l'Allemagne.
Le second aspect du projet, en matière d'investissement, concerne les bâtiments. Ceux-ci sont de deux natures. Il y aura d'une part les bâtiments de l'escadron, c'est-à-dire un parking dédié, car la conception d'origine des parkings de la BA 105, « en marguerite », n'est pas adaptée à cet avion ; trois hangars de maintenance ; des ateliers de stockage du matériel ; et l'escadron opérationnel où seront préparées les missions.
Les travaux devraient débuter en mai ou juin. Pour donner une idée de l'ampleur des travaux, ils correspondent à un volume de 100 à 150 camions par jour, pour lesquels un accès spécifique a été aménagé dans la base afin de préserver sa sécurité globale.
Dans un second temps, en 2023, viendra s'ajouter un bâtiment abritant les simulateurs et permettant la formation des équipages.
Je voudrais maintenant aborder un second volet du projet, qui n'est pas directement couvert par l'accord qui nous est soumis, mais qu'il est important de connaître pour appréhender l'ensemble du dispositif. Il s'agit des personnels allemands. Ceux-ci seront au nombre de 160. Mais le point le plus important, et le plus emblématique de cette coopération, c'est qu'il s'agira, pour les militaires allemands d'affectations longues, c'est-à-dire de cinq ans et plus. Autrement dit, une part significative de ces 160 militaires viendront en famille de façon pérenne, voire définitive. C'est un beau symbole de l'intégration réellement binationale de ce projet. Il faut souligner à ce titre la mobilisation des élus locaux et des administrations des environs pour permettre le meilleur accueil et la bonne intégration de ces familles allemandes, ce qui sera un gage du succès de l'opération.
J'insiste sur cet élément de la durée des affectations, car c'est très original et cela exprime le fait qu'il s'agit bien d'une unité entièrement binationale, et non d'une coopération militaire classique. Du reste, cela a amené le chef d'état-major de l'armée de l'air (Cemaa) à envisager une opération équivalente en retour en Allemagne. Il pourrait s'agir par exemple d'une unité d'hélicoptères tactiques ou, si la France et l'Allemagne venaient à s'en doter, d'hélicoptères lourds qui nous font, à l'heure actuelle, gravement défaut.
Enfin, la préparation de ce rapport m'a conduit à me rendre sur place pour rencontrer le commandant de la BA 105, le colonel Sébastien Delporte. Il me semble utile de partager avec vous les informations que j'ai recueillies à cette occasion, sur cette base très proche de la région parisienne. La base compte environ 2 500 personnels, et elle a toujours eu une vocation de transport aérien. Elle dispose d'une emprise importante, car elle a été une importante base américaine après-guerre, qui a compté jusqu'à 9 000 hommes. Lorsque la France a quitté le commandement intégré de l'OTAN, l'armée de l'air a récupéré cette base et y a notamment abrité ses Transall. Il me semble intéressant de souligner que, dans le contexte de réduction du format des armées après la fin de la Guerre froide, il a été envisagé jusque dans les années 2010 de fermer la BA 105. Il s'en est notamment suivi un arrêt des investissements lourds sur les bâtiments, ce qui demande aujourd'hui un effort d'autant plus soutenu pour moderniser la base. On ne peut qu'être frappé du changement de pied auquel on assiste désormais, puisque la BA 105 est aujourd'hui confortée dans son rôle, et devrait même être renforcée à l'avenir par les nouveaux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR). Le caractère stratégique de cette base tient aussi au fait qu'elle abrite les deux C160 Gabriel, qui sont un élément central de nos capacités de guerre électronique. Au retrait des Gabriel, en 2025, la BA 105 accueillera leurs successeurs dans le cadre du programme Archange : il s'agira de trois Falcon adaptés. Il est également envisagé qu'un détachement de Rafale participant à la police de l'air puisse être stationné de façon pérenne à Évreux.
De ce point de vue, le projet d'unité franco-allemande de transport tactique est doublement emblématique, en ce qu'il reflète deux tendances de fond que nous voyons à l'oeuvre dans nos armées : un effort très marqué de réinvestissement - comme corapporteure, avec Cédric Perrin, du programme 146, je suis naturellement sensible à cette dimension - ; et une volonté d'aller plus loin dans les coopérations européennes, à des niveaux de plus en plus proches des opérations.
En conclusion, il me semble que nous pouvons nous réjouir de l'avancée de ce projet. Nous avons suffisamment évoqué ici les complexités de la coopération franco-allemande pour ne pas manquer de souligner les avancées réelles et importantes, lorsque nous les constatons.