Je tiens à remercier M. le Président du Sénat qui nous a permis d'ouvrir cette audition à tous les sénateurs.
Une nouvelle page s'ouvre dans l'histoire de l'Union européenne, en raison du retrait d'un de ses membres, le Royaume-Uni, effectif depuis deux semaines. L'Union européenne a été éprouvée par les trois années et demie qui viennent de s'écouler, passées à concrétiser la volonté du peuple britannique, exprimée dans les urnes en juin 2016. L'accord de retrait finalement conclu en octobre dernier a été le fruit de négociations ardues, tant entre l'Union et le Royaume-Uni qu'au sein même du Royaume-Uni. Une nouvelle négociation encore plus ardue s'engage à présent, dans des délais encore plus contraints puisqu'elle doit se conclure d'ici la fin de l'année, sauf prolongation à demander avant fin juin, mais le Premier ministre britannique, M. Johnson, s'y refuse déjà - et je ne pense pas qu'il changera d'avis. Il s'agit de rebâtir une nouvelle relation euro-britannique, dans toutes ses dimensions. Nos économies sont étroitement imbriquées, l'UE étant le premier fournisseur et client du Royaume-Uni, la géographie nous gardera très proches, et nos liens historiques sont profonds. Sachez que les flux commerciaux sortants du Royaume-Uni sont dirigés à 47 % vers l'UE, tandis que les flux inverses ne représentent que 9 %. Établir un nouveau partenariat entre l'UE et le Royaume-Uni est donc impératif, mais aussi compliqué : de nombreux sujets sont sur la table. Nous nous félicitons que la proposition de mandat de négociation soit globale et couvre l'ensemble de ces sujets, car nous avons, selon les dossiers, des intérêts offensifs ou défensifs, et seul un accord couvrant le tout pourra être équilibré. Pour les Britanniques, il semble que les deux sujets majeurs de la négociation soient la pêche et les services financiers.
De ce point de vue, nous nous interrogeons sur un élément de calendrier : dans sa proposition de mandat de négociation, la Commission propose que les dispositions en matière de pêche soient établies d'ici le 1er juillet 2020, afin de pouvoir déterminer à temps les possibilités de pêche en 2021. Or, nous sommes particulièrement inquiets, car nous avons absolument besoin de conserver un accès aux eaux britanniques pour nos pêcheurs qui y font entre 30 et 45 % de leurs prises, même si je rappelle que les trois quarts des prises britanniques s'écoulent sur notre territoire. Cette disjonction de calendrier entre la pêche et le reste de la négociation me semble dangereuse : ne risque-t-on pas d'aboutir à un mauvais accord sur la pêche s'il est conclu isolément du reste ?
Deuxième sujet de préoccupation : quelle forme juridique prendra l'accord commercial qui sera conclu entre l'UE et le Royaume-Uni ? S'agira-t-il d'un accord mixte, qui impliquera une ratification par chaque État membre ? Si l'on tient compte du temps que requiert la ratification de l'accord, non seulement par le Royaume-Uni et l'Union européenne, mais aussi par les États membres, cela impliquerait de conclure la négociation plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant le 31 décembre 2020, ce qui écourterait encore la phase utile de négociation. La jurisprudence de la CJUE sur l'accord commercial de l'UE avec Singapour s'appliquera-t-elle, ne laissant qu'une portion congrue de l'accord à ratifier par les parlements nationaux ?
Troisième motif d'inquiétude : nous entrons dans une phase plus délicate où chaque État membre n'a pas les mêmes intérêts à défendre dans cette négociation avec le Royaume-Uni. L'unité qui a prévalu entre les États membres durant la négociation de l'accord de retrait risque d'être fragilisée. Quel est votre pronostic à cet égard ? C'est avec une grande satisfaction que nous avons constaté que l'unité des 27 n'a jamais été prise en défaut jusque-là. Nous avons enfin réalisé que nous étions copropriétaires du premier marché économique mondial.
Enfin, puisque nous sommes à la veille du Conseil européen extraordinaire sur le cadre financier pluriannuel, je ne peux manquer de vous interroger sur la nature du compromis que Charles Michel entrevoit à ce sujet et sur ce qu'il adviendra des priorités du Sénat en la matière, que nous avons signalées au Gouvernement dans une récente résolution européenne. Nos propositions sur la politique agricole commune (PAC) sont restées lettre morte et nous n'avons obtenu, en ce domaine, aucune réponse sur nos trois propositions de résolution.