Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 février 2020 à 13h35
Politique de coopération — Ouverture de négociations en vue d'un nouveau partenariat entre l'union européenne et le royaume-uni - Audition de Mme Amélie de Montchalin secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Nous sommes au coeur d'une semaine européenne intense. Demain, un Conseil européen extraordinaire se réunira au sujet du budget. Nous y porterons quatre grandes priorités : l'agriculture - afin de ne pas demander aux agriculteurs de faire plus avec moins d'argent et de maintenir l'enveloppe de la PAC en euros courants pour l'Europe et pour la France -, la politique de cohésion - afin de préserver l'aide aux régions en transition ainsi qu'aux régions ultrapériphériques -, nos priorités thématiques - la défense, l'espace, Erasmus sont des programmes essentiels pour notre souveraineté -, et enfin de nouvelles ressources propres : aucun accord ne sera possible si nous n'avançons pas sur cette question. En effet, il n'est pas question d'augmenter les impôts sur les contribuables, mais il faut faire contribuer des acteurs qui bénéficient du marché intérieur sans y contribuer - importateurs de plastique, entreprises polluantes, Gafam, etc. Cette orientation est d'ailleurs assez convergente avec les résolutions adoptées par le Sénat.

Nous entrons dans ce débat de manière offensive. Nous n'accepterons pas de conserver indéfiniment les rabais : la France est contributeur net et n'a pas vocation à faire des chèques aux uns et aux autres. Nous ne voulons pas non plus d'une Europe au rabais, qui serait moins ambitieuse au motif qu'elle aurait perdu un membre.

Cette semaine a également été marquée par la réunion consacrée au Brexit qui s'est tenue lundi autour de Michel Barnier à Matignon. Le Brexit est désormais une réalité : le Royaume-Uni a quitté l'UE le 31 janvier sur un plan politique : il n'y a plus de commissaire britannique à la Commission, de députés européens britanniques au Parlement, ni de ministres britanniques au Conseil. Il s'agit d'un choix souverain et démocratique que nous respectons. Nous serons vigilants sur la mise en oeuvre des dispositions relatives aux droits des citoyens afin de préserver les conditions de séjour et de travail des citoyens européens au Royaume-Uni et des citoyens britanniques en France - qui n'auront plus le droit de vote ni d'éligibilité aux prochaines élections municipales. Nous veillerons en outre à ce que le Royaume-Uni mette bien en place l'autorité de surveillance indépendante, conformément aux engagements qu'il a pris dans l'accord de retrait.

L'accord de retrait garantit aussi que le Royaume-Uni honore les engagements qu'il a déjà contractés : ce qui a été décidé à 28, sera payé à 28. Le coût de la sortie est donc à la charge du Royaume-Uni.

Enfin, notamment en ce qui concerne les entreprises, l'accord de retrait prévoit que le droit européen continuera à s'appliquer au moins jusqu'au 31 décembre 2020. Pendant cette période de transition, les choses ne changent pas, ce qui nous permet de négocier dans un cadre apaisé.

Mais le délai de négociation a été fixé par Boris Johnson lui-même à onze mois. Ce calendrier contraint ne doit pas nous détourner de l'essentiel : notre objectif est d'aboutir à un accord équilibré, ambitieux et conforme aux intérêts de l'Union. Nous ne pouvons pas demander aux acteurs économiques européens de faire face à la concurrence déloyale du Royaume-Uni, sous prétexte que nous aurions mal négocié le traité. Atteindre un tel accord est difficile : les sujets sont complexes, nombreux, et nous sommes nous-mêmes nombreux autour de la table pour négocier.

Plusieurs écueils sont à éviter dans cette négociation. Nous ne devrons pas revenir sur nos ambitions. Boris Johnson déclare depuis quelques semaines qu'il ne voit pas de raisons de se restreindre, notamment sur la question des conditions équitables de concurrence - ce que nous appelons le level playing field. Or cette notion est au coeur de la déclaration politique de l'accord de retrait, approuvée par le Conseil et le Parlement européens, mais aussi le gouvernement et le Parlement britanniques : il ne s'agit pas d'un diktat européen.

L'Union ne doit pas craindre d'affirmer ses principes : les droits devront avoir des obligations en contrepartie ; plus l'Europe s'ouvre, plus elle doit exiger une relation équilibrée et loyale. Il en va de la protection du projet européen et autrement, il deviendra difficile de prendre des décisions coûteuses à 27 - comme le Green deal européen - en raison de la présence d'un concurrent à nos portes.

Nous ne devrons pas non plus céder à la pression du temps, en intériorisant les contraintes du calendrier politique britannique. À chaque étape, le fond doit primer le calendrier. Nous ne signerons pas le 31 décembre 2020 un mauvais accord qui nous engagerait pour plusieurs décennies.

Soyons lucides : la situation post-Brexit ne sera pas comme avant. Le statut d'État tiers ne peut pas être aussi avantageux que celui d'État membre de l'UE. Il n'y aura pas de statu quo : le Royaume-Uni ne bénéficiera plus de la politique de cohésion, de la PAC ni d'Eurojust, etc. Nous devons sensibiliser nos entreprises et nos partenaires à cette nouvelle réalité.

Ne nous divisons pas sur les priorités et sachons tenir un front commun. Cela a été notre force ces trois dernières années.

Le 3 février dernier, Michel Barnier a présenté un projet de mandat dont les principes doivent refléter les intérêts de l'Union. Ce mandat doit être approuvé mardi prochain lors du conseil des ministres des affaires générales, afin que les négociations puissent être lancées la première semaine de mars. Nos points de vigilance absolus concernent la situation des citoyens, des agriculteurs, des pêcheurs et des entreprises.

Le partenariat que nous allons bâtir est inédit par son étendue et sa profondeur. Au-delà des sujets thématiques, il y a des enjeux de gouvernance, de règlement des différends et de sanctions. Boris Johnson ne veut pas que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ait cette compétence. Mais il nous faudra contrôler le respect des engagements pris et sanctionner les écarts ! Évitons de rééditer ce qui a été fait avec la Suisse, de manière progressive et sans cadre de gouvernance commun. Des mécanismes transversaux doivent être établis.

En matière de conditions de concurrence, nous ne pourrons proposer zéro tarif et zéro quota au Royaume-Uni que s'il y a zéro dumping. Quelle que soit la nature de l'accord, il y aura des contrôles aux frontières : le libre-échange, même maximal, ne signifie pas absence de contrôle.

S'agissant de la pêche, nous poursuivons trois objectifs : l'accès aux eaux, la gestion de la ressource et le maintien des clés de répartition actuelles.

Ces quatre sujets - gouvernance, accord commercial, level playing field et pêche - seront liés dans la négociation : nous ne serons d'accord sur rien, si nous ne sommes pas d'accord sur tout. Cela nous met dans une position de force.

Pour la pêche, le choix de la date du 1er juillet est lié aux demandes de la filière qui a besoin d'un peu de visibilité, mais il n'y aura pas d'accord séparé sur la pêche. D'ici au mois de juillet pourraient être fixées les grandes orientations.

Les services financiers, qui constituent un enjeu important pour le Royaume-Uni, ne font pas partie de l'accord. L'équivalence financière est en effet accordée à un pays tiers par une décision unilatérale de l'Union : une telle décision ne se négocie pas et n'est pas permanente dans le temps. Il en va de même en matière de circulation des données personnelles.

S'agissant de la sécurité et de la défense, nous cherchons à établir un partenariat étroit avec deux piliers : la sécurité intérieure et la politique étrangère. Le Royaume-Uni est désormais un État tiers. Certains programmes sont ouverts aux États tiers, d'autres non, et nous ne ferons pas d'exception.

Nous sommes particulièrement attentifs aux prérogatives des parlements nationaux et à continuer à les informer et à les associer. Ne connaissant pas encore le contenu de l'accord, nous ne pouvons présumer de sa nature mixte ou pas. Il a donc été décidé que le sujet n'était pas encore tranché. Ce qui sera soumis aux parlements nationaux dépendra donc du contenu de l'accord.

Nous sommes préparés à tous les scénarios, il en va de la crédibilité de l'UE. Des infrastructures sont en place dans les ports normands et bretons, à Calais, à Boulogne, etc. ; certaines dispositions des ordonnances devront être renouvelées ; les mécanismes restent en sommeil, mais nous pourrons les déclencher le moment venu.

En conclusion, je tiens à redire, avec beaucoup d'amitié pour le Royaume-Uni, que l'on ne peut pas être un pied dedans, un pied dehors. Nous ne sommes pas en position de faiblesse face au Royaume-Uni, nous ne sommes pas demandeurs et nos principes sont clairs et fermes.

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