Nous poursuivons nos travaux avec une audition commune consacrée à l'épidémie de coronavirus, laquelle a été déclarée, le 30 janvier dernier, urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
J'ai le plaisir d'accueillir ce matin le professeur Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France, le professeur Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l'Institut Pasteur, le professeur Catherine Leport, infectiologue responsable de la mission Coordination opérationnelle risque épidémique et biologique (Coreb) et le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, que je remercie d'avoir répondu à l'invitation de la commission.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.
Le coronavirus n'est pas le premier épisode d'épidémie que connaît notre pays et il n'est certainement pas le dernier. Faut-il rappeler que nous vivons une épidémie de rougeole et que plusieurs milliers de personnes meurent de la grippe saisonnière chaque année dans notre pays ?
Pour les virus émergents, notre pays doit vivre avec une culture du risque, la transmission des virus étant désormais accélérée par la fréquence et le rythme des mobilités dans la mondialisation. Notons aussi l'accélération de la réponse scientifique, le séquençage du génome du virus ayant été réalisé très rapidement, en moins d'un mois.
Les épidémies suscitent des peurs qui peuvent paraître légitimes, notamment après la progression de l'épidémie chez notre voisin italien, mais il appartient aux pouvoirs publics de les convertir en vigilance, en prudence et en bonnes pratiques.
C'est pourquoi nous avons souhaité faire le point sur l'état des connaissances sur le virus : quelles sont ses caractéristiques, les modalités, la période et les délais de sa transmission, ses potentialités de mutation, sa virulence, sa dangerosité et les publics les plus fragiles ?
Nous souhaitons aussi faire le point sur la réponse apportée par les pouvoirs publics : comment informer efficacement sans affoler et sans susciter des stratégies de contournement des mesures prises ? Comment détecter les arrivées sur le territoire national ? Quelle stratégie en matière de tests ? Quelles modalités et quelles capacités de prise en charge des patients ?
Pr. Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l'Institut Pasteur. - Au vu des compétences de mes confrères présents, je me bornerai à l'épidémiologie, qui est ma spécialité. Les connaissances que nous avons aujourd'hui sont susceptibles de changer : les premiers patients ont été identifiés en Chine il y a à peine plus de deux mois et le virus a été séquencé le 10 janvier. Notre compréhension est très évolutive : si les premières données envoyées par nos collègues chinois étaient des données agrégées sans beaucoup de détails, depuis qu'il y a des cas exportés à l'étranger, des études avec des données plus détaillées ont fait évoluer notre compréhension du mode de propagation de ce virus.
Passons maintenant en revue les critères classiques en épidémiologie de propagation. Le taux de reproduction de base, c'est-à-dire le nombre de patients infectés par chaque malade, serait situé entre 2 et 3 en l'absence de mesures de contrôle et de prévention. Ce taux est évidemment susceptible d'évoluer si l'on prend des mesures de confinement et d'isolement des patients, le but étant de ramener ce chiffre à moins de 1, ce qui arrêterait l'épidémie.
Ce nouveau coronavirus présente beaucoup de similitudes avec le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), épidémie de 2003 partie de Canton : il est parti d'un animal sauvage vendu sur un marché dans le sud de la Chine, c'est un coronavirus génétiquement identique à 80 %, qui donne des infections pulmonaires plus sévères chez les personnes âgées, notamment celles qui ont des comorbidités de type hypertension et diabète, et des infections étonnamment bénignes chez les enfants.
Mais il y a deux différences fondamentales. La première, c'est que le SRAS n'était contagieux que quatre jours après le début des symptômes, ce qui laissait le temps de diagnostiquer et d'isoler les personnes malades avant qu'elles aient contaminé d'autres personnes. La deuxième, c'est qu'avec le SRAS, tous les malades avaient des formes sévères, ils étaient donc tous identifiés et l'on ne passait pas à côté de formes bénignes. Avec ce nouveau coronavirus, la contagion débute dès le début des symptômes et même parfois avant - cela reste encore des cas isolés mais et on ne connaît pas la part relative qu'ils pèsent dans la transmission de l'épidémie. Même sans eux, cela laisse beaucoup moins de temps pour diagnostiquer les cas, les isoler et cela rendra le contrôle de l'épidémie plus difficile. Deuxième élément important, c'est qu'il existe des formes asymptomatiques ou des formes bénignes, c'est-à-dire des gens qui ne viendront pas consulter mais qui peuvent être contagieux.
Deuxième facteur rendant l'épidémie plus difficile à contrôler : la durée d'incubation maximale, qui sert à définir la durée de la quarantaine, pendant laquelle on laisse le temps aux patients éventuels de développer la maladie - laquelle a été fixée à 14 jours. Toutes les estimations convergent pour une durée moyenne d'incubation de 6 jours et une durée maximale de 12 jours. Il y a eu des cas isolés en Chine pour lesquelles la durée d'incubation aurait été supérieure à 14 jours, mais on n'est pas certain qu'il n'y ait pas eu d'autres contacts depuis le présumé contact infectant et le moment du développement des symptômes. La quarantaine de 14 jours est donc la bonne durée et il n'y pas de raisons d'en changer.
La létalité est l'autre paramètre important pour estimer la gravité potentielle de l'épidémie. Pour vous donner un ordre de grandeur, elle était de 10 % pour le SRAS, elle est de 1 pour 1 000 pour la grippe saisonnière et serait de 1 % pour ce coronavirus. Ce chiffre pourra évoluer à la baisse lorsqu'on aura une meilleure appréciation des formes réellement bénignes, voire asymptomatiques, des infections, mais cet ordre de grandeur reste une bonne grille de lecture. Les personnes âgées sont plus susceptibles de décéder : sur la série publiée de 45 000 patients chinois, 80 % des décédés avaient plus de 60 ans ; mais cela veut dire, en miroir, que 20 % avaient moins de 60 ans. C'est important parce que c'est lorsque des gens de trente ou quarante ans décéderont qu'il y aura un impact émotionnel de l'épidémie : on le voit avec la grippe pandémique et on l'a vu avec le SRAS.
Pr. Catherine Leport, infectiologue, responsable de la mission Coordination opérationnelle risque épidémique et biologique (Coreb). - Cette infection est à dominante respiratoire avec des signes d'affections respiratoires hautes ou basses, les formes basses étant les plus graves car exposant à la survenue d'un syndrome de détresse respiratoire aiguë, c'est-à-dire une défaillance des fonctions respiratoires dans une proportion faible de cas. Il y a des formes graves intermédiaires et en particulier des formes graves d'apparition un peu retardée : la maladie démarre de façon bénigne, dans la plupart des cas comme un rhume ou une grippe comme celle que nous avons tous déjà eue, mais vers le huitième à dixième jour un certain nombre de patients voient la maladie s'aggraver de façon conséquente. C'est un processus inhabituel en maladies infectieuses et cela a été noté très tôt.
Des outils diagnostics ont été mis en place dès que possible avec une mobilisation très forte du Centre national de référence (CNR) Paris-Lyon, sous la forme de tests qui permettent de savoir si un patient appelé suspect, puis « cas possible » selon les termes de l'Institut de veille sanitaire Santé publique France est, oui ou non, un cas confirmé, y compris dans la phase initiale de la maladie. C'est très important, car un cas confirmé, c'est une épingle dans une botte de foin : il y a une immensité de personnes qui ont de la fièvre. Une fois les tests mis à disposition, les établissements référents ont ensuite besoin de 3 à 4 jours pour les rendre opérationnels. Le directeur général de la Santé en dira sans doute un peu plus à ce sujet.
Une fois qu'on a fait le diagnostic, il faut traiter les patients. Or la difficulté aujourd'hui, c'est qu'il n'y a pas de médicament ayant fait réellement la preuve de son efficacité. Il y a des pistes de réflexion. Deux traitements ont été administrés chez les quelques cas français : d'une part le remdesivir, un médicament qui avait été développé pour la fièvre hémorragique Ebola, et d'autre part le lopinavir, un médicament anti-VIH.
Depuis ce matin, il y a également une bonne nouvelle - à vérifier parce que c'est un médicament vraiment ancien qui est cité à chaque fois : des données in vitro suggèrent que la chloroquine pourrait être un produit intéressant aussi bien dans le domaine du traitement curatif que de la protection des personnels soignants - ce n'est pas à négliger.