Intervention de Alain Ilboudo

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 février 2020 à 9h30
Situation sécuritaire de leurs pays et sur les suites attendues du sommet de pau du 13 janvier 2020 — Audition des ambassadeurs des pays du g5 sahel

Alain Ilboudo, ambassadeur du Burkina Faso :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, merci de nous accueillir. Je prends la parole, au nom de mes collègues ambassadeurs du G5 Sahel et je voudrais en notre nom à tous vous remercier de l'intérêt que vous accordez à ce qui se passe dans nos pays, qui subissent les attaques récurrentes de groupes armés terroristes. Le sommet du G5 Sahel s'est tenu hier à Nouakchott et la Mauritanie a pris la présidence du G5 Sahel, mais mon collègue mauritanien m'a demandé, de concert avec les autres collègues, de prendre la parole en tant que représentant de la présidence sortante.

La situation sécuritaire dans la région du G5 Sahel est marquée par des attaques terroristes récurrentes de la part de groupes armés, parmi lesquels le Groupe pour le soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), le Front de libération du Macina (FLM) ou Ansaroul Islam. Les actions terroristes sur le terrain ont évolué. Il s'agit de meurtres ciblés contre des acteurs politiques administratifs ou coutumiers, d'attaques contre des positions des forces armés, d'engins explosifs déposés sur les axes routiers, d'enlèvements et d'exécutions, d'attaques contre des lieux de culte accompagnées d'exécutions de fidèles et de responsables religieux, de destructions de biens privés, d'infrastructures socioadministratives et de symboles de l'État et, récemment, d'attaques contre des populations civiles sans défense. Les conséquences sont des pertes très importantes en vies humaines, civiles et militaires, la destruction ou la fermeture d'infrastructures socioadministratives, des déplacements de population avec les problèmes humanitaires afférents, l'instrumentalisation des sentiments communautaires et religieux, une dégradation certaine du tissu social, la perte de l'autorité de l'État sur certains terrains, l'entrave aux programmes de développement et l'affaiblissement des collectivités territoriales.

C'est une situation inédite pour nos États. Le caractère asymétrique du péril, l'impréparation de nos États à y faire face et la modicité des moyens dont ils disposent ont donné lieu à une situation d'ensemble préjudiciable, face à laquelle des réactions internes comme régionales et internationales se sont produites.

En interne, nos États ont redéployé les forces de défense et de sécurité pour répondre aux attaques menées contre eux ; ils ont renforcé leurs capacités, en formation comme en équipement, même si c'est encore insuffisant en raison de la modicité de nos moyens. Nos forces ont également été réorganisées pour être ajustées au péril nouveau. Elles ont donc pu mener des opérations de démantèlement des sanctuaires des groupes armés et de sécurisation dans les zones terroristes, parfois par l'instauration de l'état d'urgence afin de pacifier au maximum les régions concernées et de permettre le retour des populations. Il a fallu également organiser l'accueil des déplacés dans les territoires nationaux comme par-delà des frontières. Nos États ont dû revoir à la hausse les budgets des ministères concernés et ont entrepris de renforcer les programmes d'enseignement civique. À cette fin, les responsables coutumiers ont été mis à contribution pour que nos valeurs traditionnelles soient utilisées dans cette lutte. De même, les acteurs culturels, dans leurs différentes déclinaisons, ont été mobilisés pour sensibiliser les populations au péril du terrorisme et des initiatives ont été développées par les organisations non gouvernementales pour promouvoir le dialogue entre les cultures et les religions pour la paix. Nos États ont, enfin, adopté des plans nationaux et régionaux pour assurer le développement dans les zones concernées, comme les programmes d'urgence du Sahel dans le cadre du G5 ou les initiatives telles que Desert to Power, un programme visant à mettre l'énergie solaire à la portée des populations.

Sur le plan régional et international, un partenariat intergouvernemental a été engagé en 2014, qui a impliqué les cinq pays de la zone et qui a pour objectif de soutenir la coopération en matière économique et la sécurité dans le Sahel. Face à la recrudescence des attaques, le G5 Sahel a mis en place une force conjointe d'intervention dont les opérations reposent sur quatre piliers : le combat contre le terrorisme ainsi que la lutte contre les trafics de drogue et d'êtres humains, la contribution à restaurer l'autorité des États et le retour des déplacés, l'aide humanitaire et, enfin, la contribution à la mise en oeuvre des stratégies de développement dans la région. Au titre des apports en dehors de cette zone, l'opération Barkhane a été la première et apporte une contribution précieuse aux efforts des forces de défense et de sécurité pour la sécurisation de la région. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) n'est pas restée en marge de ce processus et a adopté un plan d'action quinquennal pour l'éradication du terrorisme afin d'accompagner les pays dans cette lutte contre la criminalité transfrontalière. L'Union africaine (UA) s'est également engagée aux côtés des pays concernés pour les soutenir dans leurs actions. Nous l'avons à ce titre récemment interpellée pour lui demander d'intensifier ses efforts en vue de mobiliser davantage d'aide de la part de partenaires comme la Chine et l'Union européenne au profit des pays du G5. J'ajoute au tableau l'initiative du partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel, issu du G7 de Biarritz, qui entendait soutenir les efforts du G5 dans sa lutte contre le terrorisme et pour le développement.

Le sommet de Pau de janvier dernier, qui a réuni les cinq pays concernés et la France, a mis en place un nouveau cadre politique, stratégique et opérationnel, la coalition pour le Sahel, qui marque un tournant décisif dans la lutte contre les groupes armés terroristes au Sahel. Cette coalition, qui se veut la plus large possible, devra rassembler les pays du G5 et la France, mais également tout partenaire désireux d'apporter sa contribution à nos efforts. Je voudrais rappeler ce que le président en exercice du G5, M. Kaboré, a déclaré à Pau : « Il nous faut des résultats probants rapides, parce que nous jouons tous la crédibilité de chaque pays ici présent et la crédibilité de la coalition. » C'est donc un appel qui est lancé à la communauté internationale pour intensifier les efforts et aller de l'avant.

La coalition pour le Sahel s'appuie sur quatre piliers : le combat contre le terrorisme, le renforcement des capacités militaires des États concernés, le retour de l'autorité de l'État sur le territoire et le développement. À ce jour, l'évaluation de ce nouveau cadre est réconfortante : on peut observer des progrès notables sur chacun des piliers, même s'ils ne suffisent pas à ce jour à enrayer le péril terroriste. Au titre du combat contre le terrorisme, relevons la formalisation du commandement conjoint entre Barkhane, la force conjointe du G5 et les armées nationales, le renforcement du contingent français - 600 hommes au lieu de 220 -, traduisant le réel engagement de la France sur le terrain, les 600 militaires tchadiens envoyés dans la zone des trois frontières, épicentre du terrorisme et l'opérationnalisation de la force conjointe du G5 Sahel, même si des moyens sont encore nécessaires pour que cette force atteigne la plénitude de son déploiement. À cela s'ajoute la signature de l'arrangement technique entre le G5, la Commission européenne et l'ONU pour la fourniture d'un appui opérationnel et logistique. Au-delà de ce premier pilier, nos États réitèrent leur appel au conseil de sécurité de l'ONU pour que la force conjointe du G5 soit placée sous le chapitre 7 de la charte et bénéficie d'un financement pérenne. La lutte contre le terrorisme est en effet une lutte de longue haleine.

S'agissant du deuxième pilier, citons l'élargissement du mandat de la mission de formation de l'Union européenne, d'abord concentrée sur le Mali, au Burkina et au Niger ainsi que l'accélération de la concrétisation des aides matérielles sur le terrain.

En ce qui concerne le retour de l'État sur le territoire, nous observons la reprise de certaines zones par les forces de défense et de sécurité et de l'opération Barkhane, ce qui permet une certaine restauration de l'administration et des services sociaux ainsi que la réinstallation des populations.

En matière de développement, enfin, les États appellent à l'accroissement des soutiens afin de relever les défis humanitaires des déplacés et des réfugiés. Nous avons fait le constat de la concrétisation appréciable des engagements de nos partenaires pour la mise en oeuvre du programme d'investissements prioritaires (PIP) du G5 Sahel. L'Assemblée générale de l'Alliance Sahel, qui s'est tenue en marge du sixième sommet de Nouakchott, ouvre des perspectives pour une meilleure articulation entre le pilier sécuritaire et celui du développement, avec l'accélération des appuis pour la mise en oeuvre du programme de développement d'urgence (PDU) du Sahel.

Grâce à l'ensemble des actions menées, des revers sérieux ont été portés aux groupes terroristes, mais cela n'est pas suffisant et des efforts doivent encore être fournis, pour lesquels une mobilisation accrue de l'ensemble des partenaires est nécessaire afin d'accompagner les États concernés.

Monsieur le président, vous avez souligné un phénomène qui a retenu l'attention de nos chefs d'État à Pau : les manifestations antifrançaises. Je voudrais vous assurer que ces événements ne doivent pas entacher la coopération exemplaire qui existe entre la France et nos pays en matière de lutte contre le terrorisme, cette guerre injuste imposée à nos populations qui ne demandent que de la quiétude pour s'investir dans des actions de développement et d'éradication de la pauvreté. À cet égard, la lutte contre le terrorisme doit impérativement intégrer la promotion du développement économique et social dans les zones concernées. Nos gouvernements sont déterminés à défendre chaque pouce de nos territoires, à assurer le mieux-être de nos populations, leur sécurité et le respect de nos valeurs : liberté, démocratie, égalité et justice. Nous menons une guerre de longue haleine, mais la victoire sera nôtre. Nous voulons partager avec vous l'espérance de faire du Sahel un espace de paix retrouvée, de stabilité, de sécurité et de prospérité.

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