Intervention de Brigitte Grésy

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 23 janvier 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur l'égalité femmes-hommes enjeu de l'aide publique au développement

Brigitte Grésy, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes :

Merci, Madame la présidente. Je suis heureuse de me trouver parmi vous en ma qualité de présidente du Haut Conseil à l'égalité, mais également parce que j'ai appartenu au Conseil consultatif Égalité dans le cadre du G7 sous présidence française. Évidemment, l'intégration et la prise en compte de l'égalité dans l'action extérieure de la France constituent pour moi un sujet essentiel.

Le Haut Conseil à l'égalité a effectivement mené une évaluation de la stratégie Genre et développement 2013-2017, cette mission lui ayant été confiée en juillet 2013 par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement. Le HCE a publié un avis en 2013 en vue de l'élaboration de la Stratégie Genre et développement. Depuis lors, il a produit deux évaluations intermédiaires en 2015 et 2016 et une évaluation finale en 2017.

La nouvelle stratégie internationale de la France en matière d'égalité femmes-hommes 2018-2022 mandate également le HCE pour conduire un travail d'évaluation. Cette nouvelle stratégie est plus large et dépasse le cadre stricto sensu de l'aide publique au développement, puisqu'elle a pour mission d'intégrer l'ensemble des champs d'une diplomatie féministe, dans ses dimensions politiques, économiques, culturelles, éducatives, en intégrant les engagements internes du ministère de l'Europe et des affaires étrangères en matière de parité.

Nous avons commencé nos travaux en nous interrogeant en amont sur le concept même de « diplomatie féministe ». Un rapport sur ce sujet sera rendu en juin 2020. Je signale que la présidente de notre commission internationale, Martine Storti, est particulièrement impliquée à cet égard.

Nous nous félicitons du portage politique et de la détermination démontrée au niveau multilatéral par les autorités françaises en faveur de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, engagement réaffirmé par le Président de la République à l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2018, où il a appelé à en faire une Grande cause mondiale.

Nous soulignons également deux avancées accomplies sur la période 2013-2017. Il s'agit tout d'abord du travail méthodologique effectué de manière participative pour préciser notamment les indicateurs. Ce travail a permis de renforcer l'appropriation, par les deux acteurs principaux, à la fois du cadre et des concepts.

Ensuite, il s'agit des cadres institutionnels et des outils d'intégration du genre mis en place par les deux principaux acteurs : le cadre de redevabilité, renforcé au sein de la stratégie, ainsi que la mise en place de procédures et d'outils méthodologiques par l'AFD, avec le renforcement des réseaux de « référents égalité », tant au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères que de l'AFD.

Nous avons par ailleurs trois questionnements.

Tout d'abord, la France reste loin des objectifs d'engagement financiers fixés en 2013 pour 2017, et loin également des partenaires du Comité d'aide au développement de l'OCDE.

Le ratio de l'aide publique française au développement ayant pour objectif principal ou significatif l'égalité femmes-hommes a certes augmenté de 18 % en 2013 à 32 % pour 2016 et 2017. Il reste toutefois en deçà de l'objectif de 50 % en 2017 fixé dans la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale du 7 juillet 2014. Il reste également inférieur à la moyenne du Comité d'aide au développement de l'OCDE qui est de l'ordre de 38 %, et très en deçà des engagements des partenaires, en particulier de ceux qui affichent une politique étrangère féministe comme la Suède, qui atteint près de 90 % de l'APD marqué 1 ou 2 en 2016-2017, ou le Canada, près de 75 %.

En outre, le ratio de l'aide publique au développement ayant pour objectif principal l'égalité femmes-hommes reste extrêmement faible, avec moins de 5 % marqués 2 en 2016 et 2017, alors que la Suède affiche, pour ces projets ayant pour objectif principal l'égalité femmes-hommes, un ratio de 25 % et le Canada, près de 10 %.

Par ailleurs, l'ensemble de l'aide publique au développement doit pouvoir être intégralement examinée au prisme du marqueur genre, alors que seulement 80 % de l'aide publique au développement a été examinée en 2016-2017.

Il convient d'accorder une attention renforcée à l'évaluation qualitative des projets afin d'améliorer leur qualité de marquage.

La Stratégie internationale pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2018-2022 fixe à nouveau pour objectif d'atteindre 50 % de l'aide publique au développement en volume, dédiés à des projets ciblant l'égalité entre les femmes et les hommes, selon les marqueurs 1 et 2 de l'OCDE. Elle y ajoute un objectif de 700 millions d'euros par an de projets de l'Agence française de développement marqués 2.

L'objectif de la France pourrait être plus ambitieux, et viser les 85 % préconisés dans le Plan d'action pour l'égalité femmes-hommes de l'Union européenne, tout en ciblant un objectif précis d'aides marqué 2.

L'intégration du genre, en adéquation avec les engagements de la France, devrait être systématiquement envisagée dans des dispositifs tels que l'Agence Sahel, créée en 2017, dont l'objectif est d'aider les pays sahéliens à restaurer les bases d'une société stable en faveur d'un développement et d'une paix durables. En janvier 2019, l'Agence Sahel soutenait plus de 730 projets pour un montant global de 11 millions d'euros.

Il convient par ailleurs de veiller à ne pas saupoudrer les interventions sur des projets sectoriels classiques dans le but de remplir rapidement les objectifs. La prise en compte de projets innovants sera essentielle pour faire face au défi de l'égalité entre les genres.

Ensuite, il est nécessaire de renforcer l'appropriation de cette stratégie par l'ensemble des acteurs et des actrices concernés par les questions d'égalité femmes-hommes. La collecte partielle des données relatives à l'APD centrées sur le genre illustre la persistance de difficultés dans l'appropriation de cette stratégie. Parmi la trentaine de ministères et d'opérateurs sollicités par les directions du Trésor, seuls onze avaient répondu. Le ministère de la défense et le ministère de l'intérieur n'avaient pas utilisé le marqueur genre. Par ailleurs, le ratio d'aide de 18 % examiné au prisme du marqueur genre est resté faible au sein même du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, les données restant fragmentaires.

Le HCE recommandait de renforcer la démarche de transparence et de redevabilité en communiquant des données comparables et exhaustives, tous ministères et opérateurs concernés. Il recommandait également d'intensifier l'effort de formation au-delà des actions de sensibilisation. Il faut absolument étendre ces formations à l'ensemble des agents de catégorie A. 88 % des agents de la Direction générale de la mondialisation avaient été sensibilisés entre 2014 et 2017, mais n'ont pas été véritablement formés. Le HCE recommandait également de mobiliser l'ensemble des opérateurs sous tutelle.

Le pilotage administratif de cette stratégie était également insuffisant. 2,5 ETP consacrés à l'égalité femmes-hommes ont été relevés, lors des évaluations, à la Direction générale de la mondialisation, 3 à 4 ETP à l'AFD. Il faut renforcer ce pilotage administratif en insistant sur une participation pleine et entière des femmes à la gouvernance, ce qui n'était pas toujours le cas au moment du G7. Il s'agit d'une condition incontournable pour l'accélération de l'égalité femmes-hommes dans les politiques publiques d'aide au développement.

Enfin, le HCE soulignait la nécessité de passer d'un bilan quantitatif à une stratégie articulée, en renforçant l'égalité femmes-hommes dans la diplomatie bilatérale et en liant la mise en oeuvre de la Stratégie Genre et développement avec d'autres stratégies existantes, comme la stratégie en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs et le Plan national d'action « Femmes, paix et sécurité ».

Le HCE se félicite par ailleurs que la stratégie internationale de la France en matière d'égalité femmes-hommes (2018-2022) prenne en compte plusieurs de ses recommandations, notamment l'objectif d'intégration du genre à l'ensemble de la politique étrangère et plus seulement aux enjeux d'aide au développement stricto sensu, ainsi que le renforcement du portage institutionnel et politique favorisé par un pilotage de la stratégie à un haut niveau. Nous notons également, et cela est très positif, que l'AFD a pris l'engagement d'atteindre en 2022 un objectif chiffré de 700 millions d'euros annuels pour les projets notés 2, ayant pour objectif principal l'égalité femmes-hommes. Toutefois, les points de vigilance demeurent au niveau des financements, de la pérennisation du portage politique et institutionnel, ainsi que de l'appropriation par l'ensemble des agents de tous les enjeux relatifs à l'égalité.

Le Haut Conseil à l'égalité publiera en juin 2020 un rapport relatif à la diplomatie féministe, sa définition, ses critères. Il analysera, à la lecture de ce concept, le cadre mis en place par la stratégie internationale en matière d'égalité femmes-hommes (2018-2022), ses objectifs et ses indicateurs.

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