Intervention de Claire de Sousa Reis

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 23 janvier 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur l'égalité femmes-hommes enjeu de l'aide publique au développement

Claire de Sousa Reis, déléguée générale d'Étudiants & Développement, référente au Conseil d'administration de Coordination Sud pour la commission Genre et développement :

Je représente la commission Genre et développement de l'ONG Coordination Sud, qui représente elle-même plus de 160 ONG françaises intervenant sur les questions de solidarité internationale.

Cette commission a pour mission l'échange de pratiques et d'expériences sur la question d'égalité des sexes dans les ONG, la mise en oeuvre de l'approche « genre », mais également la sensibilisation des ONG et des personnes qui les composent, ainsi que la proposition d'actions de plaidoyers pour l'intégration du genre dans les politiques de développement et de coopération française.

Le rapport d'Oxfam qui vient d'être publié, Celles qui comptent - Reconnaître la contribution considérable des femmes à l'économie pour combattre les inégalités, énonce : « ce n'est pas un hasard si, sur les richesses mondiales totales, les hommes en détiennent 50 % de plus que les femmes, car les pratiques et les politiques économiques sont partout favorables aux hommes. Dans le monde, les hommes détiennent plus de terres, d'actions et autres capitaux que les femmes. Dans de nombreux pays, la loi interdit même aux femmes de posséder de tels actifs ».

Les inégalités perdurent, voire s'aggravent. Les femmes sont les premières victimes de violences sexistes et sexuelles, leurs revenus sont nettement inférieurs à ceux des hommes, l'accès à la scolarisation des filles et des femmes constitue encore un défi et il reste un long chemin à parcourir sur la place des femmes à des rôles stratégiques et décisionnaires. Il est grand temps d'agir pour donner vie à l'objectif de développement durable n° 5, qui concerne l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes et des filles de manière transversale et spécifique.

Promouvoir l'égalité de genre est ainsi avant tout un enjeu de justice sociale et de respect des droits inaliénables de toute personne humaine, mais aussi une condition de l'efficacité du développement et de l'action humanitaire.

L'inclusion des femmes et des filles constitue un facteur avéré de croissance économique, d'innovation sociale, de stabilité et de pérennité du développement humain.

C'est un enjeu que l'aide financière et l'action internationale de la France, qui prennent déjà en compte ces éléments, puissent en faire davantage afin que chaque euro alloué APD et temps de travail participent à la réduction des inégalités entres les femmes et les hommes.

Notre appréciation de la Stratégie internationale de la France pour l'égalité femmes-hommes 2018-2022 a été formulée dans le cadre des réflexions de la commission Genre et développement, qui avait été préalablement consultée. L'objectif était de s'assurer de la pertinence de cette stratégie et d'un niveau d'ambitions rehaussé par rapport à la précédente stratégie. L'ensemble de la stratégie s'inscrit dans une dynamique positive d'appropriation et de portage de l'égalité par la France au sein du ministère et de ses agences. Ce sujet a été érigé en grande cause du quinquennat, poussant la France à se réclamer d'une diplomatie dite féministe.

Nous saluons ces progrès et la volonté politique qu'elle démontre. Nous relevons toutefois certaines insuffisances quant aux ambitions gouvernementales d'incarner une diplomatie féministe. Si les engagements institutionnels existent, il faut assurer une dynamique interne au sein des opérateurs sous tutelle de l'État, comme l'Agence française de développement, et une réelle appropriation du genre par ces instances. La diplomatie féministe que souhaite incarner le gouvernement implique de la part de ses administrations une exigence renouvelée envers l'égalité femmes-hommes. Les référents et les experts « Genre », quoique maillons essentiels pour poursuivre les efforts entrepris, ne doivent pas constituer les seuls agents sensibilisés à cet enjeu.

Il faut rappeler aussi que cette stratégie ne dispose pas d'un budget dédié, ce qui pose un problème de réalisation et de suivi des efforts entrepris pour l'intégration du genre dans les instruments de l'aide publique au développement.

Par ailleurs, l'objectif affiché de 50 % de l'aide publique au développement bilatéral programmable marquée genre est resté le même que pour de la précédente stratégie, qui n'a lui-même jamais été atteint. Pour rappel, 28 % de l'aide publique bilatérale contribuaient à l'égalité de genre en 2016, et seulement 2,5 % étaient marqués 2.

L'ambition féministe de nos gouvernements nécessite tout d'abord de dédier un budget spécifique à la mise en oeuvre de cette stratégie internationale, afin de réaliser les ambitions que nous partageons en termes de sensibilisation, de formation, d'élaboration d'outils de suivi et d'intégration du genre dans les instruments d'aide publique au développement.

Ensuite, il convient d'établir un système de redevabilité pertinent et largement approprié. Nous gagnerons toutes et tous à augmenter la transparence financière dans ce domaine afin de permettre un suivi plus précis des projets.

Nous souhaitons par ailleurs connaître la proportion de projets marqués 1 et 2 et le volume financier qu'ils représentent respectivement.

Nous aimerions également que soient étudiés conjointement les critères objectifs qui guident cette notation, afin de travailler ensemble à des pistes d'amélioration pour la prise en compte de l'approche « genre » dans les projets financés par l'AFD.

Nous affirmons notre besoin de précisions sur les modalités et canaux de financement dédiés aux projets impliquant le genre et nous demandons des plans d'actions spécifiques par rapport à ces modalités.

Il convient de s'assurer que tous les projets soutenus aient un véritable impact sur les conditions de vie des femmes et leur permettent d'atteindre leur propre émancipation. Nul n'est plus en mesure que les organisations féministes locales d'en juger : les associer à cette démarche est donc une nécessité, de même que l'implication des femmes et des jeunes filles dans les instances de décision de manière pleine, effective et égale.

Le futur projet de loi représente une opportunité importante pour entrer véritablement dans l'objectif de développement durable numéro 5. Il convient de fixer des objectifs clairs et ambitieux et de définir un cadre limpide de redevabilité par l'application systématique des marqueurs genre de l'OCDE afin de mesurer l'atteinte des objectifs, mais aussi d'assurer la formation de l'ensemble des agents et agentes de l'aide publique au développement à l'égalité de genre.

Il faut également intégrer l'égalité de genre de manière transversale dans l'ensemble des projets portés par la France. Il s'agit ici d'aligner les engagements français concernant l'APD Genre avec le Gender Action Plan de l'Union Européenne, dans un souci d'ambitions rehaussées et cohérentes. Il faudrait alors viser 85 % de l'aide publique au développement dédiée à l'égalité de genre, dont 20 % auraient pour objectif principal cette égalité.

Si la notation de 100 % des projets selon les marqueurs 1 et 2 semble encore inatteignable aujourd'hui, elle représente l'horizon vers lequel nous devons tendre pour atteindre l'égalité.

Nous comptons sur la mobilisation des parlementaires lors de l'examen de cette loi pour que l'égalité entre les femmes et les hommes ne soit pas reléguée à une politique sectorielle. Elle doit au contraire constituer une priorité transversale et structurante de la politique internationale de la France : il en va de sa légitimité à se prévaloir d'une diplomatie féministe et à incarner cet État champion organisateur du Forum Génération égalité.

La consultation et la prise en compte des organisations de la société civile représentent une condition essentielle à l'élaboration de politiques pertinentes et adéquates, spécifiquement concernant l'égalité de genre.

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