Intervention de Aurélie Gal-Regniez

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 23 janvier 2020 : 1ère réunion
Table ronde sur l'égalité femmes-hommes enjeu de l'aide publique au développement

Aurélie Gal-Regniez, directrice exécutive d'Équilibres & Populations (Équipop), membre du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) :

La future loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI), qui devrait être examinée en 2020, aura pour objectif de concrétiser la nouvelle ambition de la politique de développement française sur le plan des moyens et de la méthode. L'aide publique au développement devrait atteindre 0,5 % du revenu national brut en 2022. La loi devrait également, s'agissant de la méthode, renforcer la dimension partenariale de la politique de développement par une plus grande mobilisation et l'inclusion de l'ensemble des acteurs et actrices concernés.

Cette loi, dont le calendrier n'est pas sans susciter l'inquiétude des membres du CNDSI, nous a été présentée dans sa première version en mars 2019, mais ne figure plus à l'agenda malgré les annonces qui avaient été faites. En conséquence, je ne vais pas pouvoir partager un regard critique sur la prise en compte de l'égalité femmes-hommes dans le texte proposé. En revanche, je suis en mesure de partager avec vous les points que je juge indispensables dans sa version finale.

J'aimerais souligner la particularité du moment politique que nous vivons. Nous nous trouvons à un véritable tournant, où la force des attentes citoyennes nécessite que les États se repositionnent sur cet enjeu et mènent une véritable politique extérieure féministe comme peuvent le faire le Canada, la Suède, le Luxembourg ou plus récemment le Mexique.

L'annonce du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations, le 8 mars 2019, témoigne d'un réel engagement de la France en faveur d'une politique féministe. Une marche a été franchie et le monde entier s'en félicite, en particulier les féministes. En effet, renouveler les politiques extérieures à l'aune d'une approche féministe est prometteur pour répondre aux changements qu'exige la période actuelle.

Pour que la LOP-DSI contribue réellement à ce renouveau de l'approche de politique extérieure, il faut qu'elle pose un cadre stratégique pour permettre de décliner les moyens en adéquation avec une vision assumée, partagée par l'ensemble des services de l'État, et qui pourra servir de référence à long terme.

Il faut que l'ambition d'une politique extérieure féministe soit affichée en préambule de la loi et que la politique extérieure de la France puisse s'appuyer sur un certain nombre de principes sécurisés par la LOP-DSI.

Ces conditions nécessitent de définir ce qu'est une politique féministe : il est extrêmement précieux que des instances comme le HCE puissent y contribuer. Certains États ont déjà défini les piliers de cette approche ; par ailleurs, sur la scène internationale, des chercheuses et des militantes définissent un cadre commun qui sera présenté à New York dans quelques semaines.

Parmi ces principes, il a été dit, et je le réaffirme, que l'approche par les droits est fondamentale. Elle doit en effet être posée comme un principe intangible au service duquel la politique de solidarité internationale doit se placer, en particulier la politique de solidarité internationale. Il faut rester vigilants quant à la cohérence de l'ensemble, et mettre en place des systèmes qui nous garantissent que les autres volets de la politique extérieure ne nuisent pas à ce principe d'approche par les droits.

Il faut également prioriser et faire apparaître dans la LOP-DSI les droits les plus contestés, notamment les droits et la santé sexuelle et reproductive.

La stratégie doit clairement être visible dans cette loi et doit pouvoir s'appuyer sur des personnes et organisations en capacité de porter le changement. Le succès d'une politique repose beaucoup sur les personnes et organisations partenaires en charge de sa mise en oeuvre. Il est fondamental que les professionnels dédiés à l'égalité femmes-hommes soient suffisamment nombreux au sein des institutions publiques. Par ailleurs, il faut poursuivre l'effort d'appropriation de cette démarche, aussi bien au niveau du ministère que des opérateurs, car les résistances sont nombreuses et le portage de cet enjeu encore très peu partagé. Nous savons qu'il existe un certain nombre de blocages enracinés dans un système qui perdure depuis des siècles. Le changement de paradigme qu'il faut accompagner suppose d'identifier clairement ces blocages et d'y répondre en conséquence. Sur ce point, nous pourrions nous inspirer d'exemples comme l'Argentine, qui à travers une loi adoptée récemment, s'assure que tous les fonctionnaires des instances législatives, judiciaires et administratives suivent une formation sur l'égalité femmes-hommes.

Par ailleurs, la LOP-DSI inscrit dans ses objectifs le renouvellement des partenariats et la nécessité d'être plus inclusifs. Cet aspect constitue un enjeu clé de travail avec les partenaires de la société civile, en particulier les associations féministes. La France se caractérise par un pourcentage de l'APD dédié aux associations extrêmement faible : 3 à 4 % de l'APD passent par les associations de la société civile, contre 13 à 17 % dans le reste de l'OCDE. Et parmi les associations de la société civile qui bénéficient de ces 3 à 4 % de l'APD, les associations féministes et les mouvements de femmes locaux sont peu nombreux...

Cet aspect révèle un défi important en termes de montant, mais suppose aussi de changer les modalités d'attribution de cette aide. Il ne s'agit pas simplement d'augmenter les montants attribués à un combat, mais de réfléchir à la méthode qui permettra un changement en profondeur du système. Actuellement, les modalités d'octroi des financements empêchent très clairement de créer des partenariats avec des associations locales et des mouvements de femmes à cause d'un effet barrière de certains critères.

Pour pouvoir bénéficier du soutien de l'AFD, ces associations et mouvements doivent notamment avoir déjà un budget conséquent. Or nous sommes dans une impasse, car les mouvements de femmes sur le terrain, ne pouvant prétendre à ce type de financements, n'auront donc pas la capacité d'augmenter leur budget et n'auront jamais suffisamment de financements pour mener leurs missions. Si nous ne changeons pas les critères d'attribution des financements, elles sont condamnées à l'indigence ! C'est une première chose.

Deuxièmement, pour qu'il soit vraiment efficace, il faut inscrire ce soutien dans la durée. Pour pouvoir travailler davantage avec les actrices et les acteurs qui mènent ces luttes, il faut pouvoir intégrer leur renforcement comme un objectif en soi de notre politique d'aide au développement.

Concernant la redevabilité, le marqueur 2 constitue un élément fondamental. La France doit soutenir des projets principalement dédiés à la lutte contre les inégalités femmes-hommes. L'approche doit se concentrer sur la qualité, au-delà de la logique comptable, et l'appréciation de ces projets doit intégrer l'évaluation de leur capacité à faire évoluer les rapports de pouvoir. C'est aussi la méthodologie qui doit changer, s'agissant de l'appréciation des projets éligibles à l'APD.

Le temps est venu de faire plus que de simples déclarations d'intentions sur les idéaux féministes en matière de politique étrangère. Nous espérons que la prochaine loi sera un outil pour y contribuer, et nous comptons à cet égard sur votre soutien.

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