Le contexte est particulier dans la mesure où 43 détenus condamnés pour faits de terrorisme vont sortir de prison cette année et, probablement, 60 détenus l'an prochain.
Comme l'a souligné le président Bas, le Parlement a été saisi du projet de loi SILT à l'été 2017. Cette loi, qui est entrée en vigueur le 1er novembre 2017, a introduit dans le droit commun quatre mesures inspirées de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, mais dont le champ d'application a été limité à la prévention des actes de terrorisme. Il s'agit des périmètres de protection, qui permettent au préfet de sécuriser un lieu ou un événement exposé à une menace terroriste ; de la fermeture des lieux de culte ; des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), qui permettent d'astreindre certains individus à des mesures de contrainte comme l'assignation dans un territoire ou encore l'obligation de « pointer » quotidiennement au commissariat ou à la brigade de gendarmerie ; et, enfin, des visites domiciliaires, nouveau terme employé pour désigner les perquisitions administratives.
Ces quatre mesures, qui étaient considérées comme sensibles au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis, ont été rendues temporaires, à l'initiative du Sénat ; elles arriveront à échéance le 31 décembre prochain, sauf si le Parlement décide de les pérenniser.
Afin d'évaluer l'efficacité et la pertinence de ces mesures, le Parlement a été doté de prérogatives de contrôle renforcé, comme cela était déjà le cas sous l'état d'urgence. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont été destinataires, d'une part, chaque semaine, de tous les actes administratifs pris par les autorités sur le fondement de cette loi et, d'autre part, de deux rapports d'évaluation du Gouvernement, dont le dernier nous a été remis il y a quinze jours.
Pour exercer ce contrôle, notre commission a créé, dès le 21 novembre 2017, une mission pluraliste, dont j'ai été désigné rapporteur. Son objectif est d'évaluer la mise en oeuvre de cette loi. En deux ans, nous avons entendu trente-deux personnes au total. Nous avons également réalisé deux déplacements, l'un à Lille, l'autre à Bruxelles.
Le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur les quatre mesures qui faisaient l'objet de notre contrôle, quelques semaines seulement après l'entrée en vigueur de la loi. À l'occasion de deux décisions rendues en février et mars 2018, il a conclu à la conformité à la Constitution de ces mesures, à l'exception de certaines dispositions ponctuelles qui concernaient, d'une part, les conditions de contestation des MICAS devant le juge administratif et, d'autre part, les conditions de saisie de documents lors d'une visite domiciliaire. Notre contrôle s'est donc exercé, dès le début, dans un cadre juridique sécurisé et s'est orienté sur l'évaluation de l'efficacité des nouveaux dispositifs que nous avions créés.
Ce cadre étant posé, j'en viens aux principales conclusions de notre mission. Dans l'ensemble, les quatre dispositifs ont fait l'objet d'une application mesurée.
Sur le plan statistique tout d'abord, il n'y a pas eu d'explosion du nombre de mesures : entre le 1er novembre 2017 et le 31 décembre 2019, 504 périmètres de protection ont été mis en place ; 7 lieux de culte ont été fermés ; 205 personnes ont fait l'objet d'une MICAS et 149 visites domiciliaires ont été réalisées.
Sur le plan qualitatif, nous avons pu vérifier qu'à de rares exceptions près, les mesures ont bien été mises en oeuvre aux seules fins de prévention du terrorisme, conformément à la volonté du législateur. Le très faible nombre d'annulations ou de suspensions par le juge administratif en témoigne : 87 recours ont été formés contre des MICAS, mais seulement cinq ont débouché sur une annulation ou une suspension par le juge ; les sept fermetures de lieux de culte ont toutes été contestées, mais toutes ont été confirmées par le juge.
Contrairement aux craintes que le Sénat avait pu exprimer lors de l'examen du projet de loi, la loi SILT ne s'est pas traduite par un empiétement de l'administratif sur le judiciaire. Lorsque cela était possible, des judiciarisations ont été préférées à la mise en place d'une mesure administrative. Dans une vingtaine de cas par exemple, le ministère public a ouvert une enquête judiciaire à la place d'une visite domiciliaire. Dans les autres cas, les mesures de cette loi ont permis de viser des situations intermédiaires pour lesquelles les éléments réunis étaient encore insuffisants pour engager des poursuites judiciaires, mais qui nécessitaient, de la part des services de l'État, une attention renforcée.
La seule exception à ce constat positif concerne les MICAS : dans une quinzaine de cas, des MICAS ont été mises en place à l'encontre d'individus déjà poursuivis par la justice et placés sous contrôle judiciaire. Cette pratique est étonnante - le contrôle judiciaire offre des possibilités de surveillance de même nature que la MICAS - mais, surtout, elle n'est pas optimale car en prononçant une MICAS dès le stade des poursuites, le ministère de l'intérieur réduit les capacités de surveillance à l'avenir. Pour répondre à cette difficulté, nous proposons de renforcer, dans la loi, l'information des autorités judiciaires, en particulier du parquet national antiterroriste (PNAT), sur les MICAS.
S'agissant de l'efficacité des mesures, les acteurs sont unanimes : les deux années de pratique confirment l'utilité des quatre mesures dans un contexte de menace terroriste durable et endogène. C'est pourquoi je vous propose de les pérenniser, au-delà du 31 décembre 2020, assorties toutefois de plusieurs ajustements, voire de compléments nécessaires pour assurer la pleine efficacité de cet arsenal, que je détaillerai mesure par mesure.
Les périmètres de protection ont été beaucoup utilisés, mais de manière très hétérogène. Leur utilisation a été très saisonnière - avec des pics observés à l'approche de Noël et de la période estivale - et leur appropriation par les préfectures très disparate - certaines ont eu très largement recours à cette mesure, alors que plus de trente départements ne l'ont jamais utilisée. La densité de population ne suffit pas à expliquer ces écarts : par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, aucun périmètre n'a été instauré en deux ans, alors même que plusieurs visites présidentielles s'y sont déroulées.
À 95 %, les périmètres de protection ont servi à sécuriser des événements et seuls quelques lieux ont été concernés - comme le Mont-Saint-Michel pendant les périodes de haute fréquentation touristique. Cela s'explique par le fait que d'autres dispositifs existent pour sécuriser les lieux sensibles, qu'il s'agisse des opérateurs d'importance vitale, des gares ou des aéroports.
Enfin, les agents de sécurité privée et les agents de police municipale ont été fortement mobilisés - dans 88 % des cas - pour assister les forces de police et de gendarmerie dans la réalisation des contrôles. C'est d'ailleurs dans cette capacité à mobiliser d'autres catégories d'agents et à créer un continuum de sécurité que réside la principale utilité des périmètres de protection.
Nous proposons donc de pérenniser cette mesure, tout en invitant le ministère de l'intérieur à accorder une attention particulière à la sécurité juridique des arrêtés pris par les préfectures. De manière générale, les périmètres ont été correctement utilisés, mais quelques cas d'utilisation à mauvais escient, pour des finalités d'ordre public et non de prévention du terrorisme, ont été recensés.
Des progrès ont été réalisés depuis l'entrée en vigueur de la loi, mais il demeure, à mon sens, des faiblesses dans la motivation des arrêtés - ils n'étayent pas toujours suffisamment le risque de menace terroriste - et dans la prise en compte de la situation des résidents. Il serait donc utile de diffuser aux préfectures un référentiel précis sur les conditions de mise en oeuvre de cette mesure et d'exiger des préfets une transmission sans délai de leurs arrêtés au ministère de l'intérieur.
S'agissant de la fermeture des lieux de culte, 7 lieux de culte ont été fermés sur le fondement de la loi SILT - cinq la première année et deux la deuxième. Bien qu'en nombre réduit, les fermetures prononcées ont démontré leur efficacité : cinq des sept lieux de culte n'ont ainsi pas rouvert à l'issue des six mois de fermeture et, dans les deux autres cas, l'activité cultuelle a repris, mais sous l'égide de nouvelles associations cultuelles, moins radicales et ne soulevant pas de difficulté. La fermeture, par nature provisoire, ne constitue pas, pour les autorités publiques, une fin en soi : elle est surtout un instrument utile mis à profit pour prendre des mesures de police administrative complémentaires - mesures d'expulsion à l'encontre de certains imams, dissolutions d'associations -, en vue de mettre un terme définitif au trouble à l'ordre public. L'efficacité de la mesure a toutefois tendance à se réduire : de nombreux prédicateurs font désormais preuve d'une grande prudence et privilégient, pour échapper aux mesures administratives, la diffusion de leurs théories en dehors des lieux de culte. Ce déport des discours et des prêches limite donc fortement l'impact de la mesure que nous avons créée en 2017 et explique aussi, en partie, le nombre relativement réduit de mesures prononcées.
C'est pourquoi l'une de mes propositions concerne l'extension du champ de la mesure : il s'agirait de viser, dans les mêmes conditions et pour les mêmes motifs que les lieux de culte, les lieux qui leur sont rattachés, c'est-à-dire les lieux gérés, exploités ou financés par la même personne physique ou morale. Pour des raisons constitutionnelles, cette extension devrait se limiter aux lieux accueillant des réunions publiques, qui sont les seules de nature à créer un trouble à l'ordre public. Pourraient par exemple être concernés des centres culturels, des centres d'enseignement, etc.
S'agissant des visites domiciliaires, les autorités préfectorales ont recouru assez tardivement à ce type de mesure. Au cours des six mois qui ont suivi son application, quasiment aucune visite domiciliaire n'a été demandée. Cela peut s'expliquer par le fait que, sous l'état d'urgence, beaucoup avait déjà été fait. Mais les attentats de Trèbes et de Carcassonne semblent avoir eu un effet déclencheur. Le nombre de mesures a en effet fortement augmenté à compter de mai 2018, avant de se stabiliser. L'originalité de la procédure explique, très probablement, la réticence initiale des autorités préfectorales. Il s'agit en effet d'une procédure relativement complexe : la visite domiciliaire doit être autorisée par le juge des libertés et de la détention (JLD), sur requête du préfet et après avis du PNAT et du parquet local compétent ; une deuxième autorisation du JLD est nécessaire pour autoriser l'exploitation des données informatiques ou des documents saisis au cours de la visite.
La première période d'appréhension du dispositif semble toutefois avoir laissé place à une plus grande fluidité dans les échanges. En témoigne la réduction du taux de rejet des requêtes préfectorales par le JLD, qui est passé de 20 % en 2018 à 15 % en 2019. Il semble également que la procédure ne constitue pas un frein majeur pour les services, car les délais de réponse du JLD sont généralement très rapides - inférieurs à deux jours en moyenne. En outre, tout le monde s'accorde aujourd'hui sur l'efficacité de cette mesure, qui a débouché, dans près d'une quinzaine de cas, sur des poursuites pour des faits en lien avec le terrorisme et a permis, dans un cas, de déjouer un attentat. Il me semble donc qu'il n'est ni essentiel, ni raisonnable compte tenu des risques constitutionnels, de simplifier cette procédure.
En revanche, je pense que l'on pourrait renforcer son efficacité en élargissant les possibilités de saisies informatiques dans le cadre des visites. Actuellement, lorsqu'une personne refuse de donner accès à ses terminaux informatiques, leur contenu ne peut être saisi. Je propose de surmonter cet obstacle, sur le modèle de ce qui se fait par exemple pour les saisies fiscales ou douanières.
S'agissant enfin des MICAS, le recours à cette mesure a été croissant et a connu une forte progression au cours de la deuxième année d'application de la loi : 134 personnes ont en effet été soumises à une MICAS en 2019, contre 71 en 2018. On compte, actuellement, une cinquantaine de MICAS en vigueur de manière concomitante. La durée des mesures prononcées a été majoritairement inférieure à six mois, ce qui s'explique par la nécessité de présenter des éléments nouveaux et complémentaires pour renouveler la mesure au-delà de cette durée. En ce qui concerne leur contenu, les obligations les plus fréquemment prononcées ont été l'interdiction de se déplacer en dehors d'un périmètre défini - le plus souvent la commune -, l'obligation de « pointage », l'obligation de déclarer son domicile et l'interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes.
Parmi les mesures de la loi SILT, la MICAS est probablement celle qui fait l'objet des avis les plus partagés. Les services de renseignement revendiquent toutefois son utilité, parce qu'elle permet de limiter la liberté de mouvement d'individus radicalisés et parce qu'elle facilite la surveillance conduite par les services et la collecte de renseignements. Ces arguments sont recevables, mais l'efficacité de ces mesures pourrait encore être améliorée : contrairement aux mesures d'assignation de l'état d'urgence, les MICAS ne sont en effet pas inscrites au fichier des personnes recherchées (FPR) et leur respect est donc plus difficile à contrôler ; nous recommandons donc que le décret relatif au FPR soit modifié en ce sens.
Deux difficultés relatives au périmètre d'application des MICAS nous sont apparues.
La première concerne le prononcé de MICAS à l'encontre de personnes présentant des troubles psychiatriques. Cela a concerné 26 personnes depuis l'entrée en vigueur de la loi, soit 13 % du total. Dans certains cas, nous avons pu observer un phénomène d'aller-retour entre MICAS et mesures de soins ou d'hospitalisation sans consentement. Cela pose un problème de cohérence dans les parcours de prise en charge des personnes concernées : la MICAS ne peut servir à combler l'absence de soins ! Un travail de coordination doit être engagé, au niveau local, pour renforcer l'articulation et le dialogue entre personnels de santé et autorités administratives.
La seconde difficulté concerne l'efficacité des MICAS à l'encontre des individus condamnés pour des faits de terrorisme à leur sortie de détention. Désormais, la doctrine du ministère de l'intérieur est de prononcer systématiquement cette mesure à compter de la libération des individus radicalisés. Ils constituent d'ailleurs désormais le principal public concerné par les MICAS - 57 % en 2019, contre 31 % en 2018. La MICAS offre, certes, des possibilités de surveillance renforcée, mais elle présente des limites qui ne la rendent pas suffisante pour gérer la question des sortants de détention. Elle est en effet difficile à motiver pour des individus ayant séjourné plusieurs années en détention, pour lesquels les services de renseignement ne disposent pas toujours d'éléments suffisants. Surtout, sa durée a été expressément limitée par le Conseil constitutionnel à douze mois - en continu ou en discontinu -, une durée jugée trop courte par les services de renseignement, mais que nous ne pouvons étendre sans encourir une censure constitutionnelle.
Or, le plus souvent, la MICAS est la seule forme de surveillance qui peut être mise en oeuvre, faute de dispositifs judiciaires adaptés. En effet, si nous avons étendu, en 2016, la peine de suivi socio-judiciaire aux individus condamnés pour des faits de terrorisme, elle ne peut, en pratique, être appliquée qu'aux individus condamnés pour des faits postérieurs à 2016. La plupart des condamnés terroristes qui seront libérés d'ici à 2022 ne pourront donc pas en bénéficier. Par ailleurs, les possibilités de prononcer des suivis post-peine à l'issue de la détention sont très restreintes, car les condamnés terroristes ne bénéficient plus de crédits de réduction de peine automatiques. Pour limiter les sorties sèches, il y a donc un vide juridique, car nous n'avons pas d'outil judiciaire et l'outil administratif est limité dans le temps.
Compte tenu de la difficulté à faire évoluer le cadre légal des MICAS, la voie judiciaire est à privilégier. N'oublions pas que les mesures judiciaires présentent des avantages certains : des possibilités de surveillance de plus longue durée ; des droits renforcés pour la personne concernée ; la possibilité d'associer obligations de surveillance et mesures de réinsertion.
Deux évolutions pourraient être conduites. En premier lieu, une nouvelle mesure de surveillance de sûreté adaptée au profil des condamnés terroristes pourrait être créée, comme le suggère le Parquet national antiterroriste. Il s'agirait de soumettre les individus déjà condamnés et incarcérés à des mesures de surveillance de même nature que celles du suivi socio-judiciaire, lorsqu'ils présentent, à leur sortie de détention, un niveau élevé de dangerosité. Je rappelle que le Conseil constitutionnel a admis, par le passé, de telles mesures, dès lors qu'elles sont encadrées de garanties suffisantes et limitées à des individus condamnés pour des faits graves. En second lieu, il serait souhaitable de renforcer la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire pour assurer, à l'avenir, une surveillance systématique des condamnés terroristes. À cet égard, il pourrait être proposé d'en faire une peine complémentaire obligatoire, sous réserve des précautions constitutionnelles pour laisser la possibilité au juge de ne pas la prononcer, et de systématiser l'obligation de suivre des actions de prise en charge de la radicalisation.
Certains services de sécurité ont exprimé le souhait d'aller plus loin et d'assouplir les critères des quatre mesures que je viens de vous présenter, afin de simplifier leur mise en oeuvre. Je n'ai pas souhaité les reprendre toutes à mon compte, car je crois que nous devons rester attentifs à ne pas remettre en cause l'équilibre trouvé entre sécurité et liberté.