Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis, une nouvelle fois, pour examiner la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dont chaque jour confirme un peu plus l’urgente nécessité.
L’urgence, nous la connaissons tous : l’impunité de ceux qui, chaque jour, bafouent nos lois en ligne est devenue inacceptable ! Agir est impératif, je dirais même vital, pour les démocraties, car chaque nouvel épisode – récemment, les affaires Noisiel et Mila – est un coup de canif porté à la crédibilité de la puissance publique dans sa fonction première : faire respecter la loi.
Pour agir, nous devons, bien sûr, mettre à jour notre fonctionnement institutionnel, peut-être même notre cadre réglementaire, pour que la loi soit effectivement appliquée. Tel est le sens de la présente proposition de loi, en particulier de son article 1er, dont nous débattons depuis plusieurs mois.
L’obligation de prompt retrait est prévue, depuis des années, par l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), sur le fondement duquel la responsabilité pénale des acteurs peut déjà être engagée. Là où le bât blesse, c’est que ce retrait n’est pas mis en œuvre, ou alors à des conditions à la main des réseaux sociaux, ce dont la puissance publique ne peut se satisfaire.
Dans ce contexte, que prévoit la proposition de loi ?
Elle rend effective l’obligation de prompt retrait, notamment par la création d’un délit autonome complété par un dispositif de régulation et de supervision tout à fait inédit, confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui doit introduire des règles et de la transparence là où règne aujourd’hui la plus grande opacité.
Il est temps de demander à ces réseaux sociaux des comptes sur la manière dont ils décident de retirer ou non les contenus mis en ligne par nos concitoyens. Il est temps de leur imposer des exigences à la hauteur du rôle et de l’emprise qui, de facto, sont aujourd’hui les leurs dans nos démocraties, et face auxquels le statu quo n’est pas tenable.
Cette initiative, je tiens à le souligner, n’a pas encore d’équivalent, puisque, à la différence de la loi adoptée en Allemagne, elle repose sur un véritable dispositif de supervision par une autorité administrative indépendante, destiné à assurer un dialogue étroit avec les acteurs concernés, à décliner de manière opérationnelle la future loi et à en garantir une application efficace.
Pour autant, ce texte ne s’en remet pas à la seule régulation des réseaux sociaux pour faire appliquer nos lois. Parallèlement à l’instauration de ces nouvelles règles, c’est notre arsenal judiciaire qui sera progressivement modernisé, avec la mise en place d’un parquet spécialisé dans les infractions commises en ligne et le déploiement progressif de dispositifs de plainte en ligne. Cette mise à niveau est absolument cruciale pour agir efficacement contre l’impunité qui prévaut actuellement en ligne ; le Gouvernement est pleinement mobilisé pour y parvenir.
Je ne m’explique pas – ou, peut-être, je me l’explique trop bien – comment une écriture de compromis n’a pu être trouvée entre les deux assemblées, sur un sujet où le consensus était à portée de main et en dépit de la gravité de l’enjeu comme de la profondeur du travail préparatoire mené. Je salue néanmoins l’action du rapporteur Frassa, qui a su, à son niveau, travailler positivement avec le Gouvernement.
Puisque nous sommes en nouvelle lecture, en sorte que chacun connaît déjà les tenants et aboutissants de la discussion, permettez-moi d’en venir directement à ce qui fait débat entre nous – à tout le moins, entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale.
Disons-le très clairement : l’équilibre entre liberté d’expression et protection des populations est un point essentiel, dont nous comprenons parfaitement qu’il ait été sensible pour nombre des parties prenantes au débat. Sous la pression de la demande de sécurité de nos populations, il peut arriver, dans nos sociétés, que la question de la liberté, pourtant une pierre cardinale de la démocratie, soit trop vite dépassée.
Le Gouvernement et la députée Laetitia Avia, auteure de la proposition de loi, ont été à l’écoute de ces sujets et des remarques afférentes. C’est notamment pour cette raison que le texte a largement évolué par rapport à sa première version, après son passage au Conseil d’État et en première lecture à l’Assemblée nationale, mais aussi en première lecture au Sénat, dont nombre des ajouts ont été conservés par les députés en nouvelle lecture.
Malgré toutes ces avancées, la majorité sénatoriale a choisi de faire échouer les discussions en commission mixte paritaire – sans même chercher, d’ailleurs, à entrer réellement dans le débat. Pourquoi ?
Le dispositif prévu constituerait « une police de la pensée et de l’expression », selon Mme Morin-Desailly. Voilà des termes forts et de beaux – ou de bons – mots, mais qui s’accommodent assez mal de la réalité des faits…
Dès lors que nous cherchons une ligne de crête, il s’agit de s’intéresser, au-delà des mots, aux détails des nombreuses modifications apportées au texte, notamment à l’article 1er. Les compléments ajoutés à celui-ci, particulièrement en ce qui concerne la notion d’intentionnalité et la suppression de la peine de prison, renforcent notre certitude : cet article ne conduira pas à des sur-retraits massifs de la part des plateformes du fait de la loi.
Oui, de tels phénomènes ont pu être observés récemment, alors même que la loi n’est pas en vigueur ; je pense notamment au retrait de certaines œuvres culturelles. Ils relèvent, à chaque fois, d’une application rigoureuse des conditions générales d’utilisation des plateformes concernées, non de la loi.
Le texte transmis au Sénat en nouvelle lecture est équilibré : il a été adapté et mieux calibré pour répondre aux préoccupations de la Commission européenne tout en restant ambitieux. Il assure la défense des libertés publiques, singulièrement de la liberté d’expression, tout en garantissant sur internet le respect de la loi – rien que la loi.
Grâce à cette proposition de loi, la France se positionne en pionnière face à l’urgence, quasi vitale, de la régulation de la haine en ligne.
C’est, du reste, l’ensemble de ces garanties qui a poussé la quasi-totalité des députés à voter cette proposition de loi, y compris les députés du groupe Les Républicains, que je remercie, au nom du Gouvernement, de leur sens des responsabilités.