Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 26 février 2020 à 15h00
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

En effet – c’est pourquoi cet échec était également prévisible –, vous avez privilégié une procédure accélérée qui n’a pas permis de faire converger les approches. Contrairement à ce que suggère l’Assemblée nationale, l’avis du Conseil d’État est loin d’être positif et celui de la Commission européenne est franchement critique. Hier, j’assistais encore à une réunion de travail à l’ambassade du Canada au cours de laquelle de nombreux juristes et universitaires spécialistes du sujet ont de nouveau exprimé leur scepticisme par rapport à ce texte, voire leur hostilité, qu’il s’agisse de son article 1er ou de l’article 1er de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Je regrette véritablement que, sur un sujet aussi important, nous n’ayons pas pu prendre ensemble un peu de hauteur. Plutôt que de vous lancer dans cette série de propositions de loi en tentant de bricoler des solutions, il aurait mieux valu aborder le sujet de manière systémique.

Nos amis britanniques, par exemple, ont décidé de traiter la question dans sa globalité, en évitant l’accumulation de textes puzzles. Ils ont ainsi annoncé mercredi dernier le renforcement des pouvoirs de l’autorité régulatrice des télécommunications au Royaume-Uni, l ’ Office of Communications (Ofcom), qui rassemble l’équivalent du CSA et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Membres ou pas de l’Union européenne, les défis sont les mêmes ; ils sont décidés, aiguillonnés par le scandale Cambridge Analytica, à traiter ce sujet comme un tout cohérent.

Ce manque de hauteur est d’autant plus regrettable que d’autres pays nous observent et prennent souvent exemple sur notre législation. Il est aussi question de l’impulsion que souhaite donner la France et des réponses qu’elle veut voir apporter sur le plan international à cet enjeu du XXIe siècle.

Il convient d’évoquer deux autres points, illustrés par l’actualité récente et à venir.

Tout d’abord, la question des moyens reste entièrement posée. Notez, monsieur le secrétaire d’État, que sur les dispositions de l’article 4, qui élargissent les prérogatives du CSA dans le cadre d’un contrôle systémique, nos positions étaient très proches de celles de l’Assemblée nationale, qui a d’ailleurs conservé les dispositions résultant des travaux du Sénat dans le texte définitif. Cependant, nous sommes interrogatifs sur les moyens. D’abord pour le régulateur, qui va devoir gérer en parallèle sa fusion avec la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la Hadopi, et une forte montée en compétence technique. Ensuite pour la justice, bien sûr, déjà singulièrement démunie.

Par ailleurs, vous envisagez la création d’un parquet spécialisé dans le numérique, initiative que j’approuve pleinement, mais cette nouvelle instance va nécessiter également des moyens et des expertises.

Je dirai quelques mots sur la formation. Là encore, tout est question de volonté et de moyens. C’est un sujet qui m’est cher puisque dès 2011 je faisais inscrire dans le code de l’éducation la nécessaire sensibilisation aux potentiels d’internet, mais aussi à ses risques et à la nécessité de maîtriser son image. Des exemples récents et malheureux montrent à quel point même des personnes que l’on pourrait croire très bien informées peuvent se laisser piéger !

Nombreuses sont les victimes de l’attrait irrésistible de la communication instantanée, gratuite et virtuelle conçue pour nous faire oublier que le monde numérique est tout aussi sauvage et impitoyable que le monde réel. Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d’État, je ne peux une nouvelle fois que vous inviter à renforcer d’urgence et concrètement la montée en compétence numérique de tous, à commencer par celle des décideurs.

J’ai été effrayée d’entendre à la radio le nouveau ministre des solidarités et de la santé, parlant de la capacité de réactivité de la Chine face au coronavirus qui a pris « des mesures de confinement très rapidement », préciser : « Je ne suis pas sûr qu’il serait possible de réaliser ça dans un pays où les réseaux sociaux seraient ouverts » !

Protection de la vie privée, manipulation des données et de l’information, contenus haineux, concurrence déloyale, abus de position dominante : c’est l’écosystème numérique que nous avons laissé béatement se développer qui pose fondamentalement problème, c’est l’hyperpuissance de ces oligopoles aux mains desquels toute notre vie est en passe de se trouver piégée.

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